« Traits normano-picards » : différence entre les versions
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* [g] en position forte devant [a] > normano-picard [g] noté ''g(u)'' = français [ʒ], noté ''j'', ''g(e)'' : <small>'''G'''AMBA</small> > normand '''''g'''ambe'', français '''''j'''ambe''; <small>°'''G'''ARBA</small> (mot emprunté au [[francique]]) > normand '''''gu'''erbe'', français '''''g'''erbe'', etc. | * [g] en position forte devant [a] > normano-picard [g] noté ''g(u)'' = français [ʒ], noté ''j'', ''g(e)'' : <small>'''G'''AMBA</small> > normand '''''g'''ambe'', français '''''j'''ambe''; <small>°'''G'''ARBA</small> (mot emprunté au [[francique]]) > normand '''''gu'''erbe'', français '''''g'''erbe'', etc. | ||
Les deux derniers traits concernent plus particulièrement des sons d'origine germanique, importés plus ou moins tardivement : | |||
* germanique [g] en position forte devant [e] et [i] > normano-picard [g] noté ''gu'' = français [ʒ], noté ''g(e)''. Ce type d'évolution est surtout sensible dans les toponymes et les anthroponymes. Il est à noter par ailleurs que certains mots d'origine latine manifestent ce traitement : ainsi, <small>AR'''G'''ILLA</small> > normano-picard ''ar'''gu'''ille'', ''er'''gu'''ille''. | * germanique [g] en position forte devant [e] et [i] > normano-picard [g] noté ''gu'' = français [ʒ], noté ''g(e)''. Ce type d'évolution est surtout sensible dans les toponymes et les anthroponymes. Il est à noter par ailleurs que certains mots d'origine latine manifestent ce traitement : ainsi, <small>AR'''G'''ILLA</small> > normano-picard ''ar'''gu'''ille'', ''er'''gu'''ille''. |
Version du 15 juillet 2012 à 12:01
Plusieurs traits normano-picards caractérisent la phonétique d'un certain nombre de patois de la Manche.
Généralités
Au dessus de la ligne Joret (isoglosse qui, dans la Manche, s'étend en gros de Granville à Villedieu-les-Poêles), on peut noter dans les parlers dialectaux l'existence de plusieurs caractéristiques phonétiques communes aux dialectes normands et picards, qui définissent dans le nord-ouest de la France la zone ou l'aire normano-picarde.
Ces caractéristiques sont issues de l'évolution particulière (ou de l'absence d'évolution) de certains sons gallo-romans (et germaniques assimilés), entre le cinquième et le septième siècle de notre ère :
- [k] (noté c en latin) en position forte [1] devant la voyelle [a] > normano-picard [k] noté k, c, qu, cqu = français [ʃ] noté ch : CATTU (latin cattus) > (ancien) normand cat, français chat; CANE (latin canis) > ancien normand kien, normand de la Manche quien, tchien [2], français chien; VACCA > ancien normand vake, vaque, normand vaque, français vache, etc.
- [k] en position forte devant [e], [i] et [j], ou [t] devant [j] > normano-picard [ʃ] noté ch = français [s] noté c(e), c(i)), ç, s, ss : CINQUE (latin quinque) > normand chinc, français cinq; °CAPTIA > normand cache, français chasse; °BACCINU (mot probablement d'origine gauloise) > normand bachin « bassin; petite poêle », français bassin, etc.
- [g] en position forte devant [a] > normano-picard [g] noté g(u) = français [ʒ], noté j, g(e) : GAMBA > normand gambe, français jambe; °GARBA (mot emprunté au francique) > normand guerbe, français gerbe, etc.
Les deux derniers traits concernent plus particulièrement des sons d'origine germanique, importés plus ou moins tardivement :
- germanique [g] en position forte devant [e] et [i] > normano-picard [g] noté gu = français [ʒ], noté g(e). Ce type d'évolution est surtout sensible dans les toponymes et les anthroponymes. Il est à noter par ailleurs que certains mots d'origine latine manifestent ce traitement : ainsi, ARGILLA > normano-picard arguille, erguille.
- germanique [w] (et latin assimilé, noté v) > normano-picard [v] = français [g], noté g(u) : > WADU (latin vadum) > normand vey, français gué; WASTU « inculte » (mot latin influencé par le francique) > toponyme normand le Vast, français le Gast, etc.
Attestations de ces traits dans la Manche
Traitement [k] + [a] > [k-]
Toponymie et hydronymie
- Élément camp « champ » [3] dans Cambernon; Cametours; Camprond; Champcervon (forme ancienne Campcervor 1178/1182); Champrepus (si la forme Camprepus de 1753/1785 est sincère). — Dérivé Champeaux (formes anciennes Campels 1071/1085, Campeaus 1172).
- Canisy [4].
- Élément cante « chante » [5] dans Cantelou [6], ancien hameau à Agneaux; Canteloup, commune; Canteloup, hameaux à Geffosses et Saint-Gilles; Cantepie [7], hameaux à Auvers, Bretteville, Grosville, Guilberville, Saint-Lô, Les Veys; la Canteraine [8], ruisseau à Tamerville; Canteraine, hameau et ferme à Tamerville; Cantereine, ferme à Angoville-au-Plain, hameau à Saint-Pierre-de-Semilly.
- Élément capelle « chapelle » [9] dans la Capelle, hameau à Écoquenéauville; lieu-dit et zone industrielle à Saint-Lô; lieu-dit à Saint-Martin-le-Hébert; les Capelles, lieu-dit à Gréville-Hague; La Chapelle-du-Fest (forme ancienne Cappelle du Feist 1494); La Chapelle-en-Juger (forme ancienne Capelle Enjugerii 1253); La Chapelle-Heuzebrocq (forme ancienne Cappelle Heuzebroc 1494).
- Carantilly [10].
- Carentan [11].
- Élément carrière « chemin carrossable » [12] : Carrière Bertran.
- Carteret ? [13].
- Cauquigny [14].
- Cavigny [15].
- Chausey (formes anciennes Calsoi 1022/1026, Causé 1179/1181) [16].
- Élément quief « tête », puis « extrémité, bout » [17] : Chef-du-Pont (forme ancienne le Quief du pont 1461).
- Élément ro(c)que « roche », puis « château fort » [18] : Canville-la-Rocque.
Anthroponymie
- Abatquesne, « abat chêne », ancien surnom médiéval devenu nom de famille [19].
- Lecanu / Le Canu, « le chenu », ancien surnom médiéval devenu nom de famille [20].
Traitement [k] + [e], [i], [j]; [t] + [j] > [ʃ-]
Toponymie et hydronymie
- Cerisy-la-Forêt (formes anciennes Cherisiacum 1337, Cherisi 1356, Cherisy 1370, 1434, 1494) [21].
- Créances (formes anciennes Crienches ~1190, 1280, ecclesia de Crienchiis 1332, Crienches 1377) [22].
- Fontenay-sur-Mer, autrefois Fontenay-le-Berceur (formes anciennes Fonteney le Bercheur 1552, Fonteney Bercheur 1555) [23].
Traitement [g] + [e], [i] > [g]
Toponymie et hydronymie
- Gerville-la-Forêt (formes anciennes Guirevilla 1221, ~1280, Guerevilla 1231, 1332, Guerville 1252, Guierevilla 1287, Guirevilla 1332, Guiervilla 1351/1352) [24].
Traitement [w] > [v]
Toponymie et hydronymie
- Élément vast « terre inculte » [25] présent dans Barnavast, Brillevast, Chiffrevast, Hardinvast, Martinvast, Pépinvast, Reniévast, Sottevast, Tollevast; Le Vast; Vasteville [26].
- Ancien normand vei, vey, vé « gué » [27] : Beuzeville-sur-le-Vey, Les Veys.
Anthroponymie
- ancien normand waster « gâter » [28] dans Wasteble (1195) « gâte-blé », forme normano-picarde ancienne du patronyme Gadbled, dont Wattebled est une variante plus rare, originaire du nord de la France.
Notes et références
- ↑ C'est-à-dire à l'initiale d'un mot ou après consonne.
- ↑ Cette dernière forme en [ʧ-], notée tch-, est le résultat d'une palatalisation tardive devant une voyelle d'avant dans l'ouest de la Normandie.
- ↑ Ancien normano-picard camp, forme dialectale de champ < gallo-roman CAMPU, du latin campus « champ, plaine, terre cultivée ».
- ↑ Du gallo-roman °CAN(N)ABIACU ou °CANAVIACU, « (domaine) de °Can(n)abius ou Canav(i)us ».
- ↑ Ancien normano-picard cante, forme dialectale de chante < gallo-roman CANTA « chante ! », du latin canta, impératif (2e p. sg) du verbe cantare « chanter ».
- ↑ De cante-loup, « chante-loup ».
- ↑ De cante-pie, « chante-pie ».
- ↑ De cante-raine, « chante-grenouille ».
- ↑ Ancien normano-picard capele, forme dialectale de l'ancien français chapele < gallo-roman CAPPELLA « petit manteau », faisant primitivement référence au légendaire manteau de saint Martin.
- ↑ Du gallo-roman °CARANTILIACU, « (domaine) de Carantilus ou Carantilius ».
- ↑ Du gallo-roman °CARANTÓMAGU < gaulois °Carantómagos, « cher / beau (?) champ / lieu » ou « champ / lieu de Carantos ».
- ↑ Ancien normano-picard carriere, querriere, queriere, forme dialectale de l'ancien français chariere, français régional charrière < gallo-roman CARRARIA, dérivé du latin d'origine gauloise carrus « char ».
- ↑ Dans l'hypothèse ou ce nom repose sur le gallo-roman °CARTERIACU, « (domaine) de Carterius », ce qui n'est pas assuré.
- ↑ Ce nom semble reposer soit sur le gallo-roman °CALKINIACU, « (domaine) de Calko = Skalko », soit °CALCANIACU, « (domaine) de °Calcaneus ».
- ↑ Du gallo-roman °CAVIN(N)IACU, « (domaine) de Cavin(n)ius », ou °CAVANNIACU, « (domaine) de Cavannius ».
- ↑ D'un radical °CALS- dont l'analyse n'est pas assurée.
- ↑ Ancien normano-picard quief, forme dialectale de l'ancien français chief « tête » < gallo-roman °CAPU, du latin classique caput « tête » < indo-européen °kap-ut-, élargissement de °kap- « tête, crâne ».
- ↑ Ancien normano-picard roke, roque, forme dialectale de roche < gallo-roman ROCCA, représentant un étymon pré-latin °rokkā, d’origine indéterminée.
- ↑ Ancien normano-picard quesne < gallo-roman °CASSANU, adaptation du gaulois cassanos « chêne ».
- ↑ Ancien normano-picard canu < gallo-roman °CANUTU, du latin canutus « aux cheveux blancs ».
- ↑ L'étymologie ultime de ce nom est discutée, mais les différents étymons proposés (°CERETIACU, °CERISIACU, °CERASIACU < °CESARIACU, etc., « (domaine) de Ceretius / °Cerisius / Cesarius… ») manifestent tous une initiale en °CE-.
- ↑ Même remarque; les étymons possibles sont °CRIENTIAS ou °CREDENTIAS, « (les terres ) de Crientius / °Credentius », avec [t] + [j].
- ↑ Du nom de famille LE BERCEUR / LE BERCHEUR reposant sur l'ancien français berseur (ancien normand bercheur) « tireur à l’arc », dérivé de berser / bercher « tirer à l’arc » < °BERTIARE, avec [t] + [j].
- ↑ Le premier élément de ce toponymie repose soit sur l'anthroponyme de type francique Gero, soit sur son équivalent scandinave Geiri, Gerri.
- ↑ Du gallo-roman °WASTU, croisement du latin vastus et du francique °wōsti.
- ↑ Ici, l'élément vaste- est un adjectif, « désert, en friche ».
- ↑ Du gallo-roman °WADU, réfection du latin vadum « gué, bas-fond », par analogie avec le mot francique apparenté °wad.
- ↑ Du gallo-roman °WASTARE, réfection, d'après °WASTU, du latin vastare « rendre désert; ravager, ruiner ».