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Visite d'une église

De Wikimanche

Visite des églises dans le diocèse de Coutances et Avranches

Une église, est un édifice initialement consacré aux offices, à la prière et, jusqu'au XVIIe siècle, à enterrer les défunts dans le bâtiment lui-même. Dans la Manche ce sont des églises catholiques (ailleurs il y en a d'orthodoxes, par exemple dans le Calvados) [1]. Pour les édifices consacrés aux cultes protestants, on parle plutôt de temples [2].

Pour profiter de la visite des églises du diocèse, il est utile de connaître les éléments de leurs architectures, de leurs mobiliers et de leurs symboliques.

Architecture : les espaces d'une église

À Vaudrimesnil, la nef et le chœur sont d'un seul tenant. C'est seulement la perque qui les sépare symboliquement.

Il n'existe pas de plan type d'église. Ou plutôt, il en existe une multitude, ce qui revient à peu près au même. Depuis la simple salle rectangulaire d'une petite église rurale, jusqu'à la complexité inégalable de l'abbatiale du Mont-Saint-Michel, la disposition des espaces et des éléments bâtis est d'une très grande variété.

Le seul point commun qu'on peut trouver à toutes les églises catholiques, c'est que leur plan n'est jamais « barlong » : c'est à dire qu'il n'existe pas d'église dont l'espace intérieur soit orienté vers le plus long mur de l'édifice [3].

Cependant, au fil de l'évolution des modes de constructions et du rituel chrétien, il s'est établi un certain nombre d'éléments architectoniques reconnaissables d'une église à l'autre, dont on peut ici dresser un répertoire, sans prétendre à l'exhaustivité. C'est la raison pour laquelle on reconnaît toujours l'église du premier coup d'œil dans les villages, même si elles prennent des aspects totalement différents.

Au plus simple : une nef et un chœur

Arc triomphal d'une église rurale à Vrasville. L'arc triomphal est en plein-ceintre : il est semi circulaire.

L'église de Vaudrimesnil est un bon exemple d'église ayant un plan minimaliste : un rectangle. A minima l'espace interne d'une église est un simple rectangle, préférentiellement avec ses petits côtés à peu près à l'est et à l'ouest. On entre traditionnellement par le petit côté ouest directement dans ce qu'on appelle la nef. C'est l'espace principal d'accueil des fidèles.

Le chœur constitue alors l'extrémité est. Il peut se distinguer de la nef de multiples façons : un artifice mobilier, un emmarchement, etc. Le chœur est l'espace principal où est célébré le rituel. Suivant les périodes il peut être réservé au clergé.

Très souvent, nef et chœur sont séparés par ce que l'on appelle l'arc triomphal. Pour parler simple c'est un mur percé d'une baie, d'un arc si l'on préfère. L'air et l'espace passent librement entre nef et chœur. Dans les temps anciens, les fidèles n'en faisaient probablement pas autant.

Cette simplicité peut se doter d'un vocabulaire architectural très savant, comme dans la « famille d'églises » de Martinvast, Octeville et Tollevast

Voir et entendre l'église : le clocher

Un clocher à bâtière, ici entre nef et chœur, à Saint-Jean-des-Champs.

Le clocher est l'endroit où sont les cloches. C'est la seule et unique caractéristique commune à tous les clochers ! Cette construction s'élève au-dessus, à côté, à l'une ou l'autre des extrémités de l'église, il peut en être séparé de quelques mètres, ou de beaucoup plus ! Il affecte généralement la forme d'une tour, c'est la caractéristique iconique de tous les villages de France, mais ce n'est pas toujours le cas.

Typologie des clochers

Il n'y a pas de termes consacrés pour toutes les situations du clocher, mais on peut distinguer :

  • Le clocher mur, généralement au-dessus de l'entrée (exemple : Champeaux), ou à d'autres endroits notamment posé au-dessus de l'arc triomphal comme à (Auderville).
  • Le clocher porche, situé à l'ouest en avant de la nef et dans le pied duquel se trouve l'entrée de l'église (Baubigny)
  • Le clocher à l'extrémité ouest au-dessus de la nef, qui est généralement un ouvrage de charpente (Fontenay) mais peut aussi être maçonné (Maupertuis).
  • Le clocher à l'extrémité est (Agneaux, Ardevon).
  • le clocher qu'on appellera ici latéral, au nord ou au sud de l'église (sud à Tamerville, nord à Breuville), généralement situé à hauteur de la limite entre nef et chœur.
  • le clocher entre nef et chœur, au-dessus de l'église (Bérigny)
  • le clocher à la croisée du transept (on verra ce terme plus loin) (Marchésieux)
  • Le clocher autonome du type campanile, fréquent dans les églises de la reconstruction (Donville-les-Bains ou Sainte-Croix-de-Saint-Lô).
Église de Fermanville, on distingue tout là haut son clocher, dans une situation atypique.
  • On trouve aussi des clochers très éloignés de l'église comme à Fermanville. L'église étant située au fond de la Vallée des Moulins, le son des cloches, si on les avait avait placées dans l'église, aurait été réverbéré par les flancs du vallon et n'aurait eu qu'une portée très médiocre. Il a donc été construit sur les hauteurs du lieu, simplement pour avoir de la voix. Il n'avait plus besoin d'être une tour et ressemble donc à une bâtisse tout à fait banale.
  • Certaines églises sont dépourvues de clocher comme à La Luzerne. Une cloche est simplement suspendue à un support métallique en façade Est.
  • À l'inverse, d'autres églises ont deux clochers totalement différents, comme celles de Saint-Jores ou Gatteville-le-Phare.

Le sommet des clochers

La couverture des clochers peut affecter au moins quatre formes :

  1. Ce peut être une terrasse, entourée d'un garde-corps généralement une dentelle de pierre (Saint-Pierre-Église). De tous temps la terrasse a été un organe architectural difficile à réaliser à cause de l'étanchéité. Ces clochers, fréquents dans le Nord Cotentin sont réputés avoir une une fonction défensive de tour de gué depuis leur origine, mais aussi beaucoup plus tardivement ! Témoin l'église de Réthoville, dont le garde-corps sommital a été copieusement bétonné pour servir de protection aux artilleurs allemands durant la Seconde guerre mondiale [4]. Espérons qu'un jour un habile restaurateur saura jouer du burin pour retrouver l'originale dentelle de pierre qui est - paraît-il - toujours noyée dans l'épouvantable ouvrage défensif.
    On parle souvent dans ce cas d'église fortifiée.
  2. Il peut s'agir d'une simple toiture à deux versants. On parle alors de clocher en bâtière [5]. Ce type est par construction le plus facile à réaliser, car ne comportant que des pannes rectilignes portées par les murs-pignons ; c'est donc le clocher le moins onéreux à construire…
  3. Ou bien une « flèche » ouvrage pyramidal très aigu, le plus souvent à structure de charpente comme à Saint-Loup.
  4. On trouve aussi des clochers couverts d'un dôme, maçonnés en pierre comme à Sainte-Marie-du-Mont, ou en charpente comme à Sacey, ces derniers sont nombreux dans le Sud-Ouest du département.


Certains clochers combinent plusieurs formes :

Un pas de plus dans la complexité : les bas-côtés et le transept

Nous n'avons jusque là parlé que des formules d'église les plus simples en plan. Il faut maintenant parler de coupe pour distinguer des dispositifs de plus en plus complexes. Donc empoignons une église pour la scier vigoureusement et regarder à quoi ressemble notre trait de scie, et voyons apparaître les bas-côtés (aussi appelés les collatéraux).

Quatre coupes possibles sur la nef d'une église
Église sans bas-côté, à nef unique simple avec un plafond horizontal en bois. Église sans bas-côté, avec voûte en berceau. La voûte peut fréquemment être un ouvrage de charpente dans la Manche. Église avec bas-côtés, le vaisseau central est plus haut que les collatéraux, mais n'a pas de fenêtres. Église avec bas-côtés, le vaisseau central est nettement plus haut que les bas-côtés, on a pu y placer des verrières dans les hauts.

On comprend qu'il s'agit d'agrandir l'église. En écartant les murs on arrive vite à la limite des procédés de construction, qu'il soient de bois ou de pierre. Par exemple on ne trouve pas d'arbre assez grand pour faire une poutre qui va d'un mur à l'autre, ou bien l'arc maçonné devient tellement long qu'il serait très fragile et de toute façon très coûteux à construire. La lumière a de plus en plus de mal à entrer jusqu'au centre du bâtiment. L'idée est donc de remplacer les longs murs par une série de piliers, et de créer deux nouveaux espaces de part et d'autre de la nef en reportant plus loin l'enveloppe du bâti : ce sont les bas-côtés.

En même temps que cette innovation en coupe, on voit apparaître le transept qui, cette fois, bouleverse le plan : de rectangulaire, l'église peut prendre une forme de croix généralement latine, rarement grecque. Quand une croix latine est debout, le transept en serait la barre horizontale.

L'exemple de Marchésieux

Plan de l'église de Machésieux. Décalque d'un relevé dressé par Marc Thibout, avant 1937.

Voilà, à titre d'exemple, le plan de l'église de Marchésieux. Elle est du troisième type signalé ci dessus : le vaisseau central est plus haut que les bas-côtés, mais ne prend pas pour autant de lumière par le haut. Sur le plan on a repéré les différents espaces créés par l'invention du bas côté et du transept. Au passage on y comprend ce qu'est une travée et on voit apparaître deux autres éléments : le porche et la sacristie.

Les époques de construction de l'église de Machésieux.

La sacristie est une annexe de l'église où sont déposés les vêtements sacerdotaux, les vases sacrés, etc.

Le porche est un espace de transition, couvert mais non clos, fréquent dans la Manche. Il est préférentiellement en façade ouest, mais on peut le trouver aussi sur le flanc sud de la nef.

À Marchésieux, si le portail affecte une forme courante, par contre la sacristie prend une position atypique. Dans la Manche on la trouve plutôt à l'Est du chœur, ici elle est au Sud, principalement par manque de terrain.

On remarque que la première travée de la nef (à l'ouest, donc à gauche sur le plan) est très particulière. D'une part parce que c'est… la première, mais surtout parce que ses bas côtés étant aveugles, elle s'éclaire à l'ouest. Il serait excessif de parler de narthex, mais l'idée est là. C'est un espace de transition entre le profane (l'extérieur) et le sacré (la nef et le chœur). Localement on trouve dans les écrits anciens le terme de « portail » [6] pour désigner cette première travée. On préfèrera garder le terme « narthex » pour des ouvrages plus complexes ou plus caractérisés (exemple : Saint-Quentin-sur-le-Homme). On trouve souvent une tribune dans cette première travée, renforçant l'aspect narthex du rez-de-chaussée. Cette tribune ayant été établie pour loger quelque seigneur et patron dans les époques reculées, ou plus simplement l'orgue de l'église.

Il faut aussi parler du « chevet », qui désigne exactement la même chose que le terme « chœur » mais cette fois vu de l'extérieur. On a ici un « chevet plat », c'est-à-dire que sa façade orientale est rectiligne. Ce chevet plat est « à verrière » : il est percé d'une grande fenêtre.

À Marchésieux, le clocher est à la croisée du transept. Il repose sur les quatre piliers centraux, ce qui est somme toute un tour de force structurel. Il faut monter (à la main) quelques centaines de tonnes de cailloux sur quatre malheureux poteaux.

Quand le transept a la même largeur que la nef, le clocher peut alors se poser sur la totalité de la croisée du transept comme au Mesnil-Villeman, ou dans l'abbaye de Lessay ce qui paraît plus simple à construire.

Une curiosité à Marchésieux : l'église est dotée d'un seul et unique arc-boutant ! Il apparaît dans l'angle Nord-est, en haut à droite du plan.

Parlons un peu chantier. On voit sur le deuxième plan coloré que les plus anciennes parties datent de la fin du 12e siècle et que depuis l'église est en perpétuelle reconstruction sur elle-même. La dernière grosse campagne de travaux datant d'après la seconde guerre mondiale, puisqu'une bombe s'est égarée par là et (par chance) n'a fait tomber que le clocher [7]. Il est donc souvent hasardeux de dire qu'une église date de tel ou tel siècle !

On aura remarqué qu'avec l'invention de tous ces espaces savants les mots pour les désigner deviennent tous ambigus. La nef peut désigner tout ce qui est avant le transept, ou seulement le vaisseau central, voire la totalité du long bras de la croix latine incluant dès lors le chœur. Le chœur est ce qui est dans l'espace interne à l'est mais vu de dehors, on dit que c'est un chevet, etc. Tout dépend de celui qui écrit, n'y attachons pas trop d'importance.

Encore un pas dans la complexité : l'abside et la crypte

Abside de l'église Saint Martin à Tollevast.

On voit bien qu'à Marchésieux, le plan affecte des formes simples : murs rectilignes sur une trame orthogonale. Enfin, à peu-près…

En lieu et place du « chevet plat », on trouve souvent une « abside » : en plan le chevet a pris la forme d'un demi cercle.

C'est une forme héritée de l'antiquité romaine, qui fait florès dès les premières églises paléochrétiennes.

L'espace prend une tout autre saveur, ses limites disparaissent presque, tant elles sont difficiles à appréhender… On dit parfois qu'il devient fuyant.

Ceci se paye au prix de nombreuses difficultés techniques : qu'on songe simplement à la charpente conique nécessaire à la couverture…

L'église de Saint-Marcouf offre un bel exemple d'abside et nous permet de définir un autre élément caractéristique de certaines église. La crypte est un étage, la plupart du temps enterré ou semi enterré, logé le plus souvent sous le chœur dont il reprend la forme. À Saint-Marcouf, il prend donc la forme semi-circulaire de l'abside.

Les cryptes étaient destinées à recueillir et exposer des reliques, le plus souvent la dépouille d'un saint homme.

Encore une fois le vocabulaire est ambigu, puisque certains auteurs parlent « d'absides carrées » ce qui confine au contresens.

Complexité ultime : abbatiales et cathédrales

On l'a vu le bas-côté dédouble les espaces des églises paroissiales. Pour les très grandes églises, l'imagination des bâtisseurs va sans limite ajouter des espaces aux espaces : absidioles ajoutées aux absides ou aux bras du transept, chapelles rayonnantes ajoutées au chœur etc.

La Manche comptait deux cathédrales, mais n'en a plus qu'une à Coutances, celle d'Avranches ayant été rasée au 19e siècle.

Pour Avranches on lit bien maintenant la structuration du plan : on reconnaît le vaisseau central avec ses bas-côtés, mais cette fois on a encore ajouté une épaisseur supplémentaire : les chapelles.

Le transept est curieusement très court. Un « jubé » y était installé, c'est à dire un dispositif architectural séparant la nef du chœur.

Lequel chœur est ici en abside, il a formellement ses propres bas côtés qu'on appelle alors « déambulatoire ». C'est un espace de circulation tournant autour de l'abside.

Mais à nouveau on a ajouté une nouvelle couche de chapelles, dont la plus petite (celle qui est dans l'axe) prend elle-même une forme absidiale : on parle alors « d'absidiole » et de « chapelles rayonnantes »

Sur le plan de Coutances les absidioles sont plus clairement exprimées. Il y en d'ailleurs une au bras Sud du transept.

Et enfin, à tout seigneur tout honneur, un mot sur l'abbatiale du Mont-Saint-Michel. Tous les éléments de vocabulaire architectural qu'on a tenté d'expliquer ici s'y déploient dans une grâce qui paraît évidente, alors qu'on connaît les impossibles conditions du chantier, commencé au VIIe siècle et qui continue aujourd'hui…

Élévation et couverture

Puisqu'il s'agit ici d'une simple visite d'une église on n'entrera pas plus dans le détail de tout ce qui peut s'y développer en élévation, c'est-à-dire tous les ouvrages verticaux de l'église, ni pour sa couverture.

Le lecteur curieux pourra assez facilement trouver de quoi se documenter sur les joies du triforium, de l'arc en plein-cintre, brisé ou en tiers-point, le voûtement en berceau, à croisée d'ogive quadripartite ou sexpartite, les embases fûts et chapiteaux des colonnes et piliers, écoinçons, tours lanternes…

En bref un foisonnant inventaire à la Prévert, passionnant mais sortant un peu du cadre d'un Wiki territorial : cela amènerait à comparer avec d'autres églises hors Manche.

Églises atypiques

  • Vue de dehors Saint-Germain-le-Gaillard donne l'impression d'avoir deux nefs (ce qui peut exister), mais l'espace intérieur donne l'impression d'une nef unique dotée d'un seul bas-côté…
  • L'église Saint-Martin à Fermanville a un plan en croix grecque et une entrée au Nord. C'est plus surement du à l'exiguïté du terrain disponible qu'à une volonté délibérée des bâtisseurs.
  • L'Église Saint-Clément à Cherbourg, est orientée pratiquement plein Nord. C'est qu'elle est conçue au 19e siècle dans le cadre de l'urbanisation du quartier du Val de Saire, exactement sur un axe monumental commun avec l'hôpital Pasteur.
  • Saint-Joseph-des-Mielles à Tourlaville était surprenante à plus d'un titre. Elle était orientée pratiquement plein Sud avec une charpente métallique, une tribune en gradin en « U » tout autour de la nef, en symétrie d'un théâtre installé dans le même bâtiment.
  • Les églises de Saint-Pierre-d'Allonne et de Notre-Dame-d'Allonne, distantes de seulement quelques mètres partageaient le même enclos paroissial et donc le même cimetière.
  • L'église Saint-Martin à Condé-sur-Vire est maintenant dirigée (on ne va pas dire orientée) vers l'ouest !

Périodes et styles

Travées romanes au Mont-Saint-Michel : prééminence du mur. On devine le bas de la « nave » en charpente.

Notre présentation allait jusque-là dans l'ordre croissant de complexité géométrique.

Il est temps de regarder la chronologie.

Aujourd'hui, il est malencontreux de parler de style roman, gothique, renaissance ou classique. Le terme de style utilisé autrefois en histoire de l'art correspond plutôt a des compréhensions du monde variant d'une époque à l'autre. En revanche, au XIXe siècle, le terme est tout à fait valide pour désigner tous les « néo-quelque-chose » revendiqués par les architectes des églises : néo-roman, néo-gothique, néo-byzantin, etc.

Et il reste intéressant en période romane pour le « style normand ». On y reviendra.

Haut moyen-âge

Sauf erreur il n'existe plus de bâtiments paléochrétien en élévation dans la Manche. Du haut moyen-âge il ne nous reste que les fondations du Baptistère de Portbail, le plan tréflé de la chapelle Saint-Germain à Querqueville, et un objet très précieux : l'autel de Saint-Pierre du Ham aujourd'hui conservé à Valognes daté de 679.

Roman

Les maîtres bâtisseurs de la période romane tablaient sur de puissants murs. Il ne faut pas prendre le faible éclairement de nombreuses églises romanes pour un manque de compétence : c'est au contraire une volonté délibérée de différencier l'obscurité rassurante de l'espace sacré par opposition à un extérieur lumineux et potentiellement dangereux. Il s'agissait de mettre les fidèles « à l'abri de la morsure des loups dévorants » [8].

À ce titre, entrer dans l'église de Tollevast par une belle journée d'été est une expérience surprenante : on y devient subitement aveugle tant il y entre peu de lumière. Il faut prendre le temps de laisser nos yeux s'y habituer pour découvrir à quel point cet espace est apaisant.

Et c'est ici qu'on découvre le style normand [9]. Ce style est dans un premier temps caractérisé par le refus de la voûte maçonnée ! C'est encore visible dans ce qu'il reste de la nef du Mont-Saint-michel ou dans la « nave » de Tollevast : ce qu'il y a au dessus de vos têtes y est construit en bois. Il est vrai qu'y amener à nouveau quelques centaines de tonnes de cailloux y eût été difficile, mais ce n'est pas la raison première. Et puisque nous sommes dans les années 1070, les plus beaux fleurons du style normand sont sans surprise en Angleterre… Un certain Guillaume y aurait accompli quelques exploits conquérants.

Gothique

Le chœur (gothique) du Mont-Saint-Michel : disparition du mur. À comparer avec l'image précédente où l'on voit un mur, certes complexe, fortement exprimé.

Les bâtisseurs de la période gothique auront l'attitude exactement inverse, ils ont imaginé tout ce qu'ils pouvaient pour faire disparaître le mur, et faire entrer abondamment la lumière dans l'église, même si éventuellement cette lumière est transformée par les vitraux. Le plus fort témoignage manchot de cette volonté est dans le chœur du Mont-Saint-Michel. Regardez bien dans les hauts : le mur a complétement disparu. Corolaire embarrassant : le bâtiment devient fragile : affaissements, déformations et effondrements sont légion.
Traditionnellement on débite la période en plusieurs étapes, mais ce ne sont que des variantes décoratives :

  • Gothique rayonnant : entre 1230 et 1380, le gothique évolue vers des fenêtres de plus en plus grandes, des colonnes de plus en plus fines, et des ornements plus nombreux (cercles, trèfles polylobes, rosaces...).
  • Gothique flamboyant : postérieur à la Guerre de Cent Ans, ce style est caractérisé par une profusion décorative : portails monumentaux aux multiples statues, pinacles, balustrades sculptées…

Époque moderne

Curieusement, du XVIe au XVIIIe siècles, bien qu'on continue à bâtir de nouvelles églises et à en embellir d'anciennes l'influence de la renaissance ou des périodes ultérieures ne se fait guère sentir dans les églises manchotes. Et pourtant le château de Tourlaville est un manifeste renaissance, celui de Saint-Pierre-Église un exemple de classicisme. On ne saurait trop dire pourquoi, mais le vocabulaire inventé au Moyen Âge perdure jusqu'au XIXe siècle dans l'architecture religieuse. Tout au plus peut-on citer quelques façades dont celle notable à l'entrée de l'abbatiale du Mont-Saint-Michel, après que quatre travées de la nef se soient effondrées [10].

XIXe siècle

Le dix-neuvième nous amène donc ses styles divers et variés, et ses procédés constructifs de plus en plus industriels. Le résultat présente souvent des églises à l'aspect sévère, intérieurement comme extérieurement.

Reconstruction

Reconstruction : après les destructions de la seconde guerre mondiale, de nombreuses églises sont restaurées ou reconstruites.

  • reconstruites à l'identique comme à Lessay
  • rebâties en intégrant les parties encore debout comme à Valognes.
  • ou recréées de toute pièce en appliquant les méthodes constructives du moment : usage quasi-exclusif du béton, vaisseau souvent unique éclairés de grandes verrières aux vitraux abstraits (Laulne, Millières).

Et plus tard encore

Quelques églises sont encore construites postérieurement à la reconstruction, principalement dans les années 60 et 70. On peut citer Notre-Dame-du-Travail à Tourlaville ainsi que Saint-Pierre-et-Saint-Paul à Octeville.

Objets liturgiques

  • Le bénitier : récipient fréquemment en forme de coquille contenant l'eau bénite avec laquelle les catholiques tracent sur eux le signe de croix en entrant dans l'église.
  • Les fonts baptismaux : cuve destinée à recevoir l'eau utilisée lors du sacrement du baptême.
  • La chaire : située au milieu ou en haut de la nef, surélevée grâce à un escalier, elle permet au prêtre de faire entendre son homélie aux fidèles.
  • L'autel : n'est situé au centre de l'édifice que depuis le concile de Vatican II (1962). Il rappelle désormais à la fois la prière du sacrifice et la table de la Cène (dernier repas de Jésus avec ses disciples). Avant 1962, il y avait couramment plusieurs autels même dans les églises de faible importance, et les prêtres officiaient en regardant dans la même direction que leurs fidèles, donc en leur tournant le dos. Les autels étaient donc contre un mur ou un retable.
  • Le tabernacle : petit meuble fermant à clé où sont conservées les hosties consacrées. Il est souvent situé au centre du retable principal.
  • Le retable : décor vertical au delà de l'autel.
  • L'ambon ou lutrin : pupitre destiné à recevoir le livre de la parole de Dieu qui est lu au cours de toute célébration.
  • La poutre de Gloire (ou « perque » en Normandie) : poutre portant le crucifix ou un calvaire, elle est placée à l'entrée du chœur.
  • Les quatorze stations du chemin de croix.
  • Les stalles : situés dans le chœur, ces sièges sont destinés au clergé. Souvent constituées de « miséricordes » : une sorte de strapontin de bois, qui une fois relevé, permettait aux religieux âgés ou souffrant d'avoir une position « assis-debout » moins fatigante…
  • Les statues : représentent les Saints honorés par l'Église en raison de la qualité religieuse de leur vie. Elles sont souvent fleuries en raison d'une dévotion particulière (patron de la paroisse, légende locale, saint guérisseur, etc.). Durant la période gothique, la statuaire devient un art en soi et demeure, jusqu'au XVe siècle, une expression de l'art local, avec comme principal sujet la Vierge à l'Enfant, ainsi que quelques Christs aux liens (Colomby, Quettehou, Saint-Sauveur-le-Vicomte).
  • Les ex-votos : symboles de foi et de reconnaissance. On trouve de nombreux ex-votos marins dans la Manche.
  • Les vitraux : grisés ou colorés, ils diffusent une lumière douce et propice au recueillement. Ils représentent bien souvent la vie des saints, des épisodes bibliques ou de la vie de la paroisse. D'autres sont des hommages aux morts de la paroisse lors des Première ou Seconde Guerres mondiales. Ils sont souvent le fruit de donation de paroissiens. Sur ces vitraux ou sur le maître-autel sont souvent représentés les quatre évangélistes accompagnés de leurs « quatre vivants » : il s'agit du lion pour Marc, du taureau pour Luc, de l'aigle pour Jean, de l'homme pour Matthieu.
  • Les reliques : restes, prétendus ou avérés, d'un saint, les reliques sont l'objet de vénération importantes à partir du IXe siècle et peuvent apporter richesse ou notoriété à l'église qui les abrite. Il peut s'agir de reliques de saints locaux, tel le reliquaire du bienheureux Thomas Hélye à Biville, le crâne d'Aubert à Avranches, les reliques de Guillaume Firmat à Mortain ou des portions de la Vraie croix et de la Couronne d’épines, comme à la cathédrale Notre-Dame de Coutances.
  • L'ostensoir : ouvrage généralement d'orfèvrerie destiné à recevoir une hostie consacrée visible à travers une vitre pour l'adoration du Saint-Sacrement.
  • L'encensoir : l'encensoir est une sorte de brûle-parfum mobile, suspendu par un jeu de 3 chainettes, plus une autre chainette servant à soulever le couvercle. Pendant les offices, le thuriféraire y place un morceau de charbon allumé servant à brûler l'encens ; il entretient la combustion en balançant l'encensoir pour que ce charbon reste allumé. L'officiant encense les personnes, l'autel... en signe de purification et de sanctification.
  • La navette : tenue par le naviculaire, elle contient l'encens destiné à être brûlé dans l'encensoir.
  • La sonnette : manipulée par un des servants , elle est utilisée pour marquer les moments importants durant les offices, par exemple, la Consécration.
  • Les burettes : deux flacons contenant l'un le vin, l'autre l'eau versés dans le calice par le célébrant durant la messe. Elles peuvent être en verre, en cristal, ou en tout autre matériaux ; si elles ne sont pas transparentes, un signe distinctif signale celle contenant le vin. La burette d'eau sert également au célébrant pour se laver les mains avant la Consécration, après quoi il les essuie avec le manuterge.

Ornements et symboles

  • Les peintures murales : les murs des églises peuvent être recouverts de peintures. Ainsi à Sainte-Colombe voit-on la Flagellation et le Christ aux outrages, à Omonville-la-Rogue la mort de Thomas Beckett et la légende de saint Hélier, le retable peint de Digulleville, la légende du pendu dépendu à Canville-la-Rocque, les anges et la vierge à l'enfant dans la crypte de Brévands, ainsi que celles protégées de Marchésieux, de Savigny, et de la chapelle du château de Grainville à Granville.
  • La Croix : symbole par excellence de la foi chrétienne. Elle se trouve dans le plan même des églises à transept et à l'intérieur de l'édifice. Croix d'autel ou de « perque », la Croix rappelle le sacrifice du Christ pour l'humanité.
  • L'orientation : les églises sont généralement « orientées », c'est-à-dire tournées avec le chœur vers l'Orient, là où le soleil se lève ; mais certaines églises ne respectent pas cette règle générale : par exemple, l'église Saint-Clément à Cherbourg-Octeville pour laquelle le chœur est au nord. Le croyant entre dans l'église par la façade occidentale (du côté de l'ombre le matin) et s'avance vers la lumière – le Christ (du côté du levant).
  • Le carré du transept : il symboliserait la terre, la création dans sa plénitude et sa solidité. Il peut dans les hauts se transformer en octogone (par l'usage d'écoinçons) forme qu'on qualifie parfois d'intermédiaire entre le carré et le cercle qui symboliserait le ciel.
  • La verticalité : elle symbolise l'aspiration à la transcendance, à l'ascension spirituelle. L'âme s'élève en même temps que le regard.
  • Les évangélistes : chacun est représenté avec son symbole :
    • Mathieu avec un homme ou un ange
    • Marc avec un lion
    • Luc avec un bœuf
    • Jean avec un aigle.
  • Les apôtres : ils sont aussi représentés avec des attributs spécifiques :
    • Pierre avec des clefs ou un coq
    • Jacques avec la coquille du pèlerin
    • Paul avec le livre ou l'épée.
  • Les tympans : surface triangulaire encadrée par les corniches d'un fronton. Partie fixe verticale maçonnée ou menuisée en remplissage sous voûte en arc sur porte, portail.

Bibliographie

  • Monseigneur Perrier, Visiter une église, Ed. Centurion, 1993
  • Les Églises communales, Comité national d'art sacré, Ed Cerf, 1995
  • Bernard Beck, Quand les Normands bâtissaient des églises, éd. OCEP, 1981
  • Marc Thibout, « Les églises des XIIIe et XIVe siècles dans le département de la Manche », Bulletin Monumental, tome 96, n°1, année 1937, pp. 5-43 (lire en ligne).
  • Entre ombre et lumière - les églises de la Reconstruction de la Manche. CAUE de la Manche (lire en ligne).
  • Aurélia Lachaud, « Les vitraux commémoratifs de la Première et de la Seconde Guerre mondiale dans le département de la Manche », Revue de la Manche, n° 225, 2014

Notes et références

  1.  Sanctuaire orthodoxe Saint-Serge dans Wikipédia.
  2. Depuis 1907, tous les édifices catholiques (même ceux reconstruits après la Seconde Guerre mondiale) sont propriété publique (de l’État pour la cathédrale de Coutances, des communes pour les églises). Ils sont mis à la disposition des fidèles et des ministres du culte. Les édifices construits après 1905 sont la propriété des associations cultuelles ou diocésaines qui les ont construits.
  3. Encore existe-t-il des églises dites « à plan centré » qui n'ont pas de direction préférentielles comme la Chapelle du Bon-Sauveur à Picauville. Par ailleurs, signalons que des églises orthodoxes peuvent devenir quasi-barlongues face à leurs iconostases et que le plan barlong est une caractéristique de très nombreuses mosquées dites arabes par opposition aux mosquées ottomanes.
  4. Selon un panneau d'information lisible sur place.
  5. Il y aurait dans la Manche plus de trois-cent-quarante clochers en bâtière
  6. Par exemple, dans de nombreux actes d'inhumation : untel « a été inhumé dans le portail, proche des fonts baptismaux ».
  7. Les plans de Marchésieux présentés ici sont établis sur une relevé de 1937, et ne peuvent donc pas montrer les éventuelles modifications d'après-guerre.
  8. Selon l'inscription précisément trouvé sur l'autel du Ham cité au dessus.
  9. Univers Roman - Encyclopédie  : Architecture universelle - Texte : Raymond Oursel, photos Jacques Rouiller, préface Hermann Baur page 132 - 1964 - office du Livre ed.
  10. Si un contributeur de Wikimanche connaît des contrexemples on sera ravi de les découvrir.