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===Une terre isolée===
===Une terre isolée===
[[Image:NezJobourg.jpg|thumb|250px|Nez de Jobourg et anse de Sennival]]
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Le caractère insulaire de la Hague et la difficulté pour s'y rendre ont donné à la région la réputation d'un pays de fraudeurs sous l'Ancien Régime. Il faut dire que la proximité des îles anglo-normandes facilitait la contrebande, qui était de deux types : celle du textile, au XVIIe siècle et celle du tabac au XIXe siècle. La première était le fait de quelques nobles dont le plus célèbre est probablement le [[Chevalier de Rantôt]]. La contrebande de tabac était, quant à elle, l'objet de plusieurs bandes organisées, menées autant par des agriculteurs que des pêcheurs. On trouve donc dans les murs de la Hague des caches à tabac, domestiques (de petite dimension, auprès des maisons, recueillant le tabac pour une consommation familiale) et des grandes caches, dissimulant les ballots de tabac tressé de plusieurs kilos.
Le caractère insulaire de la Hague et la difficulté pour s'y rendre ont donné à la région la réputation d'un pays de fraudeurs sous l'Ancien Régime. Il faut dire que la proximité des îles anglo-normandes facilitait la contrebande, qui était de deux types : celle du textile, au XVIIe siècle et celle du tabac au XIX{{e}} siècle. La première était le fait de quelques nobles dont le plus célèbre est probablement le [[Chevalier de Rantôt]]. La contrebande de tabac était, quant à elle, l'objet de plusieurs bandes organisées, menées autant par des agriculteurs que des pêcheurs. On trouve donc dans les murs de la Hague des caches à tabac, domestiques (de petite dimension, auprès des maisons, recueillant le tabac pour une consommation familiale) et des grandes caches, dissimulant les ballots de tabac tressé de plusieurs kilos.


Aussi lit-on dans un rapport de la maréchaussée de [[Valognes]] en [[1748]] : « ''C'est un pays de landes et de rochers où l'on a pratiqué quantité de cavernes servant de retraites aux voleurs, assassins et fraudeurs, qui attendent avec assurance et tranquillité le moment favorable pour passer aux îles voisines. Les plus grands chemins de ce canton sont de deux ou trois pieds, des deux côtés desquels se trouvent des précipices. Les habitants sont gueux, mauvais, fraudeurs insignes et ne vivent que de brigandages. Il y a des paroisses où les commis aux aides et les employés dans les fermes ont été un temps considérable sans oser y aller ; ils n'y vont même pas encore volontiers. '' »
Aussi lit-on dans un rapport de la maréchaussée de [[Valognes]] en [[1748]] : « ''C'est un pays de landes et de rochers où l'on a pratiqué quantité de cavernes servant de retraites aux voleurs, assassins et fraudeurs, qui attendent avec assurance et tranquillité le moment favorable pour passer aux îles voisines. Les plus grands chemins de ce canton sont de deux ou trois pieds, des deux côtés desquels se trouvent des précipices. Les habitants sont gueux, mauvais, fraudeurs insignes et ne vivent que de brigandages. Il y a des paroisses où les commis aux aides et les employés dans les fermes ont été un temps considérable sans oser y aller ; ils n'y vont même pas encore volontiers. '' »
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Les douaniers étaient chargé de surveiller les trafics mais aussi lutter contre les naufrageurs.  
Les douaniers étaient chargé de surveiller les trafics mais aussi lutter contre les naufrageurs.  


Mais la forte présence des douaniers et le renforcement des peines encourues ont mis fin peu à peu à la fraude au début du XXe siècle, dont subsistent aujourd'hui le chemin des douaniers le long de la côte (GR 223). La mauvaise réputation des Haguards en fait également des naufrageurs sans qu'aucune recherche ne soit réellement concluante. En revanche, la population pauvre avait l'habitude d'« aller à gravage », c'est-à-dire fréquenter les plages après les grosses tempêtes, pour ramasser les marchandises échouées ou passées par dessus bord, et de récupérer le bois des bateaux échoués
Mais la forte présence des douaniers et le renforcement des peines encourues ont mis fin peu à peu à la fraude au début du XX{{e}} siècle, dont subsistent aujourd'hui le chemin des douaniers le long de la côte (GR 223). La mauvaise réputation des Haguards en fait également des naufrageurs sans qu'aucune recherche ne soit réellement concluante. En revanche, la population pauvre avait l'habitude d'« aller à gravage », c'est-à-dire fréquenter les plages après les grosses tempêtes, pour ramasser les marchandises échouées ou passées par dessus bord, et de récupérer le bois des bateaux échoués


Pendant des siècles, la vie dans la Hague n'a pas énormément évolué. La ressource principale est l'agriculture (élevage et pluriculture), permettant une relative autarcie. L'industrialisation des techniques ont peu de prise sur les terres divisées en petites parcelles difficiles à travailler, propriétés de nombreux petits exploitants. Il faudra attendre les années [[1950]] et [[1960]] pour voir l'apparition des tracteurs et des techniques agricoles modernes, comme l'illustre le film ''[[Le Passager de l'été]]'', situé à [[Digulleville]] après la [[Seconde Guerre mondiale]]. La pêche est souvent une ressource complémentaire aux agriculteurs (on parle des agriculteurs-pêcheurs ou ''crateurs''), rarement un métier à part entière, excepté à [[Omonville-la-Rogue]], [[Auderville|Goury]] et [[Flamanville|Diélette]].
Pendant des siècles, la vie dans la Hague n'a pas énormément évolué. La ressource principale est l'agriculture (élevage et pluriculture), permettant une relative autarcie. L'industrialisation des techniques ont peu de prise sur les terres divisées en petites parcelles difficiles à travailler, propriétés de nombreux petits exploitants. Il faudra attendre les années [[1950]] et [[1960]] pour voir l'apparition des tracteurs et des techniques agricoles modernes, comme l'illustre le film ''[[Le Passager de l'été]]'', situé à [[Digulleville]] après la [[Seconde Guerre mondiale]]. La pêche est souvent une ressource complémentaire aux agriculteurs (on parle des agriculteurs-pêcheurs ou ''crateurs''), rarement un métier à part entière, excepté à [[Omonville-la-Rogue]], [[Auderville|Goury]] et [[Flamanville|Diélette]].


Isolée, la presqu'île est longtemps restée éloignée du tourisme, mise à part la station balnéaire d'Urville-Hague au début du XXe siècle, largement détruite lors des bombardements de [[1944]].
Isolée, la presqu'île est longtemps restée éloignée du tourisme, mise à part la station balnéaire d'Urville-Hague au début du XX{{e}} siècle, largement détruite lors des bombardements de [[1944]].


La marine était alors souvent la seule possibilité d'échapper à la destinée agricole, du fait de la proximité du [[port militaire de Cherbourg]] et de son arsenal. [[Alfred Rossel]] chantait ainsi  dans ''[[Sus la mé]]'', un père dont les deux fils sont engagés dans les colonies (''J'i déeuss fis dauns la Marène/Déeuss forts et hardis gaillards/ L'eun revyint dé Cochinchène/ L'aôtre dé Madagascar'').
La marine était alors souvent la seule possibilité d'échapper à la destinée agricole, du fait de la proximité du [[port militaire de Cherbourg]] et de son arsenal. [[Alfred Rossel]] chantait ainsi  dans ''[[Sus la mé]]'', un père dont les deux fils sont engagés dans les colonies (''J'i déeuss fis dauns la Marène/Déeuss forts et hardis gaillards/ L'eun revyint dé Cochinchène/ L'aôtre dé Madagascar'').
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L'ancienneté et la stabilité du socle géologique du cap de la Hague, remontant au précambien, met à l'abri ce territoire des tremblements de terre. Le [[raz Blanchard]] offre des courants parmi les plus forts d'Europe qui permettent la dispersion la plus efficace des rejets en mer. L'isolement de la péninsule favorise l'implantation d'une installation militaire à haut risque, opération immobilière de plus facilitée par la faible densité démographique du plateau. Ainsi, le CEA commence en [[1962]] à acheter à prix d'or des terrains de landes, parfois labourés au moment de la vente pour en tirer un meilleur prix. Les 190 hectares sont acquis sans aucune expropriation, malgré 150 propriétaires, tant ces fortes sommes ont permis à certains de moderniser leurs exploitations, voire de se reconvertir. Plusieurs de ces propriétaires ont négocié en plus de la valeur des parcelles, leur entrée comme salarié de l'usine de lui ou celle d'un fils.  
L'ancienneté et la stabilité du socle géologique du cap de la Hague, remontant au précambien, met à l'abri ce territoire des tremblements de terre. Le [[raz Blanchard]] offre des courants parmi les plus forts d'Europe qui permettent la dispersion la plus efficace des rejets en mer. L'isolement de la péninsule favorise l'implantation d'une installation militaire à haut risque, opération immobilière de plus facilitée par la faible densité démographique du plateau. Ainsi, le CEA commence en [[1962]] à acheter à prix d'or des terrains de landes, parfois labourés au moment de la vente pour en tirer un meilleur prix. Les 190 hectares sont acquis sans aucune expropriation, malgré 150 propriétaires, tant ces fortes sommes ont permis à certains de moderniser leurs exploitations, voire de se reconvertir. Plusieurs de ces propriétaires ont négocié en plus de la valeur des parcelles, leur entrée comme salarié de l'usine de lui ou celle d'un fils.  


En parallèle des premiers travaux, le CEA pour être accepté et rassurer, développe une campagne de lobbying, auprès des élus et des élites religieuses. Ainsi les notables du canton ont-ils pu visiter en grandes pompes les sites de Marcoule et de Saclay. La fierté d'accueillir une technologie de pointe, les difficultés du milieu agricole et le licenciement en 1962 des derniers mineurs à la fermeture de la [[Mine de Diélette|mine de fer de Diélette]] finissent de convaincre la population. Ainsi en 1966, les premiers châteaux de combustible irradié en provenance de la centrale nucléaire de Chinon arrivent sans la moindre contestation.
En parallèle des premiers travaux, le CEA pour être accepté et rassurer, développe une campagne de lobbying, auprès des élus et des élites religieuses. Ainsi les notables du canton ont-ils pu visiter en grandes pompes les sites de Marcoule et de Saclay. La fierté d'accueillir une technologie de pointe, les difficultés du milieu agricole et le licenciement en 1962 des derniers mineurs à la fermeture de la [[Mine de Diélette|mine de fer de Diélette]] finissent de convaincre la population. Ainsi en [[1966]], les premiers châteaux de combustible irradié en provenance de la centrale nucléaire de Chinon arrivent sans la moindre contestation.


En [[1969]], Infratome cherche à la demande du CEA un lieu pour l'enfouissement des déchets faiblement radioactifs. Le site de la Hague semble parfait. Mais aucune commune ne veut devenir une décharge. Pourtant, le maire de [[Digulleville]] accepte d'accueillir ce qui sera le [[Centre de stockage de la Manche]] en bordure de l'usine de retraitement. Passé sous le giron de l'[[ANDRA]] en 1991, il a reçu son dernier colis en 1994 et est, depuis en phase de surveillance, pour trois siècles.
En [[1969]], Infratome cherche à la demande du CEA un lieu pour l'enfouissement des déchets faiblement radioactifs. Le site de la Hague semble parfait. Mais aucune commune ne veut devenir une décharge. Pourtant, le maire de [[Digulleville]] accepte d'accueillir ce qui sera le [[Centre de stockage de la Manche]] en bordure de l'usine de retraitement. Passé sous le giron de l'[[ANDRA]] en [[1991]], il a reçu son dernier colis en [[1994]] et est, depuis en phase de surveillance, pour trois siècles.


Le 1er juin [[1976]], l'usine atomique du CEA devient usine de retraitement de la COGEMA. La production de plutonium à visée militaire devient recyclage d'uranium civile, sans que les technologies ne changent. Le secret défense se lève un peu, et surtout, la taxe professionnelle et les impôts locaux sont exigibles par les collectivités. Face à cette manne financière sans précédent, qui aurait dû profiter essentiellement aux communes de [[Jobourg]] et d'[[Omonville-la-Petite]], et du fait des équipements que nécessitent l'accueil de la nouvelle population, les élus du canton décident la constitution d'un district en [[1977]].
Le 1{{er}} juin [[1976]], l'usine atomique du CEA devient usine de retraitement de la COGEMA. La production de plutonium à visée militaire devient recyclage d'uranium civile, sans que les technologies ne changent. Le secret défense se lève un peu, et surtout, la taxe professionnelle et les impôts locaux sont exigibles par les collectivités. Face à cette manne financière sans précédent, qui aurait dû profiter essentiellement aux communes de [[Jobourg]] et d'[[Omonville-la-Petite]], et du fait des équipements que nécessitent l'accueil de la nouvelle population, les élus du canton décident la constitution d'un district en [[1977]].


Les mouvements écologistes ne se font pas entendre à l'époque. Les premières mobilisations répondent au projet de construire la [[centrale nucléaire de Flamanville]]. Le site est occupé plusieurs jours à la fin des années 1970. Les manifestations contre les transports nucléaires vers la Cogema se développent au début des années 1980. Le désengagement des militaires délie quelques langues, et la CFDT provoque un mini-scandale en produisant un film critique traitant du travail en milieu confiné.
Les mouvements écologistes ne se font pas entendre à l'époque. Les premières mobilisations répondent au projet de construire la [[centrale nucléaire de Flamanville]]. Le site est occupé plusieurs jours à la fin des années 1970. Les manifestations contre les transports nucléaires vers la Cogema se développent au début des années 1980. Le désengagement des militaires délie quelques langues, et la CFDT provoque un mini-scandale en produisant un film critique traitant du travail en milieu confiné.

Version du 18 juillet 2010 à 17:15

Vue aérienne de la presqu'île de la Hague.

La presqu'île de la Hague est formée de la pointe nord-ouest du Cotentin.

Son nom signifie haie ou enclos en vieux norrois.

Géographie

La croix du Vendémiaire face au phare de la Hague, Goury, Auderville

Ses limites sont traditionnellement la Divette et la Diélette.

La Hague présente un littoral varié : des falaises abruptes (entre Landemer et Omonville-la-Rogue et entre Auderville et Vauville) ; de grandes plages de sable (Urville-Nacqueville et Vauville) ; des îlots et platiers rocheux (cap de la Hague ; pointe de Jardeheu ; les Herbeuses…), des massifs dunaires (Biville), grèves de galets (anse Saint-Martin), des marais arrières-littoraux (Mare de Vauville), des vallons boisés (Hubiland, Sabine…). La côte est également agrémentée de petits ports (Goury, le Houguet, Port Racine, Le Hâble…) et de mouillages.

Le littoral haguais est protégé au titre de la loi du 2 mai 1930 relative à la protection des monuments et sites naturels, depuis la vallée du Hubiland (Urville-Nacqueville), jusqu'aux dunes de Biville, à l'exception de l'anse des Moulinets, où se situent les installations de l'usine de retraitement de la Hague.

Faune et flore

La péninsule est principalement un pays de landes sur la côte et de bocage à l'intérieur des terres.

Les landes sont formées de fougères, bruyères, genêts, ajoncs... Sur la côte, on trouve dans les haies d'aubépines, chênes, frênes, sycomores et sureaux. Il existe également une concentration d'ormes dans les haies de la côte nord, malheureusement très atteints par la graphiose.

Les falaises sont recouvertes de lichens noirs ou orangés, de salicornes, d'asperges prostrées, de statices de l'ouest et de carottes à gomme. Les corniches accueillent pelouse rase, arméries et silènes maritimes. Aux abords des plages sont présents le chou marin (objet d'une protection), la véronique en épi, l'œillet de France.

Dans les jardins, on trouve traditionnellement nombres d'hortensias, des camélias et quelques palmiers.

La Hague possède plusieurs réserves ornithologiques (le Nez de Jobourg, les Herbeuses...), où se côtoient les goélands (argentés et marins), les fous de Bassan, les grands corbeaux, les fulmars boréals, les mouettes tridactyles, les cormorans, les foulques. La mare de Vauville accueille plus de 140 espèces d'oiseaux : migrateurs (comme la fuligule morillon ou le pipit farlouse), canards (colverts, sarcelles...), gravelots, ou encore hérons. Nichent également dans la Hague quelques rapaces comme le busard des roseaux et le faucon crècerelle.

Outre les oiseaux, on trouve également des batraciens (crapauds accoucheurs, rainettes vertes) et des petits reptiles (lézards verts, orvets...). Grands dauphins et marsouins sont présents au large.

Depuis une vingtaine d'années, les falaises de Jobourg abritent une harde de chèvres sauvages. Traditionnellement, chaque ferme avait quelques chèvres afin de nettoyer landes et haies. L'usage se perdant avec la mécanisation, ces animaux ont été peu à peu laissés à la vie sauvage, formant un troupeau qui arpente le chemin des douaniers. Elles permettent l'entretien nécessaire de la lande et sont à ce titre, désormais protégées par le Conservatoire du Littoral.

Concernant l'élevage, les vaches omniprésentes comme dans toute la Normandie, partagent les prés avec les moutons roussins et quelques ânes du Cotentin et ânes normands.

Histoire

Une terre isolée

Nez de Jobourg et anse de Sennival

Le caractère insulaire de la Hague et la difficulté pour s'y rendre ont donné à la région la réputation d'un pays de fraudeurs sous l'Ancien Régime. Il faut dire que la proximité des îles anglo-normandes facilitait la contrebande, qui était de deux types : celle du textile, au XVIIe siècle et celle du tabac au XIXe siècle. La première était le fait de quelques nobles dont le plus célèbre est probablement le Chevalier de Rantôt. La contrebande de tabac était, quant à elle, l'objet de plusieurs bandes organisées, menées autant par des agriculteurs que des pêcheurs. On trouve donc dans les murs de la Hague des caches à tabac, domestiques (de petite dimension, auprès des maisons, recueillant le tabac pour une consommation familiale) et des grandes caches, dissimulant les ballots de tabac tressé de plusieurs kilos.

Aussi lit-on dans un rapport de la maréchaussée de Valognes en 1748 : « C'est un pays de landes et de rochers où l'on a pratiqué quantité de cavernes servant de retraites aux voleurs, assassins et fraudeurs, qui attendent avec assurance et tranquillité le moment favorable pour passer aux îles voisines. Les plus grands chemins de ce canton sont de deux ou trois pieds, des deux côtés desquels se trouvent des précipices. Les habitants sont gueux, mauvais, fraudeurs insignes et ne vivent que de brigandages. Il y a des paroisses où les commis aux aides et les employés dans les fermes ont été un temps considérable sans oser y aller ; ils n'y vont même pas encore volontiers.  »

Les douaniers étaient chargé de surveiller les trafics mais aussi lutter contre les naufrageurs.

Mais la forte présence des douaniers et le renforcement des peines encourues ont mis fin peu à peu à la fraude au début du XXe siècle, dont subsistent aujourd'hui le chemin des douaniers le long de la côte (GR 223). La mauvaise réputation des Haguards en fait également des naufrageurs sans qu'aucune recherche ne soit réellement concluante. En revanche, la population pauvre avait l'habitude d'« aller à gravage », c'est-à-dire fréquenter les plages après les grosses tempêtes, pour ramasser les marchandises échouées ou passées par dessus bord, et de récupérer le bois des bateaux échoués

Pendant des siècles, la vie dans la Hague n'a pas énormément évolué. La ressource principale est l'agriculture (élevage et pluriculture), permettant une relative autarcie. L'industrialisation des techniques ont peu de prise sur les terres divisées en petites parcelles difficiles à travailler, propriétés de nombreux petits exploitants. Il faudra attendre les années 1950 et 1960 pour voir l'apparition des tracteurs et des techniques agricoles modernes, comme l'illustre le film Le Passager de l'été, situé à Digulleville après la Seconde Guerre mondiale. La pêche est souvent une ressource complémentaire aux agriculteurs (on parle des agriculteurs-pêcheurs ou crateurs), rarement un métier à part entière, excepté à Omonville-la-Rogue, Goury et Diélette.

Isolée, la presqu'île est longtemps restée éloignée du tourisme, mise à part la station balnéaire d'Urville-Hague au début du XXe siècle, largement détruite lors des bombardements de 1944.

La marine était alors souvent la seule possibilité d'échapper à la destinée agricole, du fait de la proximité du port militaire de Cherbourg et de son arsenal. Alfred Rossel chantait ainsi dans Sus la mé, un père dont les deux fils sont engagés dans les colonies (J'i déeuss fis dauns la Marène/Déeuss forts et hardis gaillards/ L'eun revyint dé Cochinchène/ L'aôtre dé Madagascar).

La presqu'île au nucléaire

Mais les années 1960 ont vu l'implantation de l'usine de retraitement de la Hague qui a bouleversé l'aspect du plateau central. Cette installation fait venir des personnels extérieurs à la région et apporte des ressources nouvelles que l'agriculture n'aurait pu procurer.

En 1960, des ingénieurs inspectent les landes de Jobourg et Omonville-la-Petite, selon eux pour l'implantation possible d'une usine de plastique puis de casseroles. La décision de construire l'usine atomique du Commissariat à l'énergie atomique (CEA) sur les hauteurs de la Hague est alors prise, sans la moindre information des élus locaux, laissant les populations locales, sinon dans l'ignorance, au minimum dans le flou, que le classement "secret défense" de l'installation accentue.

L'ancienneté et la stabilité du socle géologique du cap de la Hague, remontant au précambien, met à l'abri ce territoire des tremblements de terre. Le raz Blanchard offre des courants parmi les plus forts d'Europe qui permettent la dispersion la plus efficace des rejets en mer. L'isolement de la péninsule favorise l'implantation d'une installation militaire à haut risque, opération immobilière de plus facilitée par la faible densité démographique du plateau. Ainsi, le CEA commence en 1962 à acheter à prix d'or des terrains de landes, parfois labourés au moment de la vente pour en tirer un meilleur prix. Les 190 hectares sont acquis sans aucune expropriation, malgré 150 propriétaires, tant ces fortes sommes ont permis à certains de moderniser leurs exploitations, voire de se reconvertir. Plusieurs de ces propriétaires ont négocié en plus de la valeur des parcelles, leur entrée comme salarié de l'usine de lui ou celle d'un fils.

En parallèle des premiers travaux, le CEA pour être accepté et rassurer, développe une campagne de lobbying, auprès des élus et des élites religieuses. Ainsi les notables du canton ont-ils pu visiter en grandes pompes les sites de Marcoule et de Saclay. La fierté d'accueillir une technologie de pointe, les difficultés du milieu agricole et le licenciement en 1962 des derniers mineurs à la fermeture de la mine de fer de Diélette finissent de convaincre la population. Ainsi en 1966, les premiers châteaux de combustible irradié en provenance de la centrale nucléaire de Chinon arrivent sans la moindre contestation.

En 1969, Infratome cherche à la demande du CEA un lieu pour l'enfouissement des déchets faiblement radioactifs. Le site de la Hague semble parfait. Mais aucune commune ne veut devenir une décharge. Pourtant, le maire de Digulleville accepte d'accueillir ce qui sera le Centre de stockage de la Manche en bordure de l'usine de retraitement. Passé sous le giron de l'ANDRA en 1991, il a reçu son dernier colis en 1994 et est, depuis en phase de surveillance, pour trois siècles.

Le 1er juin 1976, l'usine atomique du CEA devient usine de retraitement de la COGEMA. La production de plutonium à visée militaire devient recyclage d'uranium civile, sans que les technologies ne changent. Le secret défense se lève un peu, et surtout, la taxe professionnelle et les impôts locaux sont exigibles par les collectivités. Face à cette manne financière sans précédent, qui aurait dû profiter essentiellement aux communes de Jobourg et d'Omonville-la-Petite, et du fait des équipements que nécessitent l'accueil de la nouvelle population, les élus du canton décident la constitution d'un district en 1977.

Les mouvements écologistes ne se font pas entendre à l'époque. Les premières mobilisations répondent au projet de construire la centrale nucléaire de Flamanville. Le site est occupé plusieurs jours à la fin des années 1970. Les manifestations contre les transports nucléaires vers la Cogema se développent au début des années 1980. Le désengagement des militaires délie quelques langues, et la CFDT provoque un mini-scandale en produisant un film critique traitant du travail en milieu confiné.

L'ouverture de l'usine entraine l'arrivée de nouvelles populations. En même temps que l'agrandissement de l'usine (UP3), il est donc décidé de lancer le "grand chantier", pour construire logements, écoles et infrastructures. Alors que le canton vieillissait et vivait d'une petite agriculture autarcique, la population de la Hague en quelques années s'accroît, se rajeunie et se diversifie. Certains villages doublent leur nombre d'habitants en accueillant des cités, comme Coriallo à Beaumont-Hague ou celle des Arbres à Omonville-la-Rogue. Auderville sera distingué en 1984 du prix national de l'habitat pour la bonne gestion de l'arrivée de ces "horsains". Mais le plus souvent, elles sont en périphérie des bourgs, ne facilitant pas le brassage. Pourtant, cet afflux d'une population nombreuse et atypique (beaucoup de cadres, chimistes ou scientifiques arrivent, dans une région constituée essentiellement d'agriculteurs, et de quelques ouvriers, militaires et petits notables locaux) a été digérée sans heurt et sans acculturation.

Aujourd'hui, le débat sur les avantages et les dangers de cette usine est étroitement lié au débat sur l'énergie nucléaire. Les mesures de sécurité en vigueur sur l'usine sont défendues par les "pro", tandis que les "anti" rappellent les nombreux accidents de son homologue anglaise de Sellafield, et l'impact négatif en terme d'image pour la région et ses productions issues de l'agriculture et de la pêche. La population locale est partagée entre la peur d'une pollution invisible, et la reconnaissance envers une industrie qui a transformée l'économie locale et tenu en vie une pointe promise à la désertification.

À la recherche d'une autre identité

Port Racine, plus petit port de France

Après avoir accueilli comme un soulagement l'usine, les élus locaux ont pris conscience de la lourde contrepartie pour l'image de la région. Ils ont d'abord cherché à protéger la nature de la péninsule, en classant des parties importantes de la côte, interdisant ou réduisant les possibilités de construction. Jusqu'alors, l'isolement et la relative pauvreté de la région avait permis de préserver les paysages et l'habitat traditionnel, en pierre avec des couvertures en lauzes de schiste bleu, regroupé en hameaux blottis au gré des reliefs pour se protéger des vents marins. Ainsi, aujourd'hui, les franges côtières, parsemées de quelques restes de blockhaus du Mur de l'Atlantique, ont gardé un aspect traditionnel, et près de la moitié de la côte haguaise appartient au Conservatoire du littoral.

Depuis quelques années, les Haguards cherchent à accroître l'attrait touristique de la presqu'île, tout en gardant son caractère sauvage. Ils ont créé des équipement tels l'observatoire Ludiver et le centre culturel du Tourp, et tentent de communiquer autour des atouts de la région pour prouver que la Hague est plus que l'usine qui s'étale sur 1% de son territoire.

Population

Vu en 1748 comme des « gueux, mauvais, fraudeurs insignes et ne vivent que de brigandages », les habitants de la Hague sont décrit un siècle et demi plus tard par Charles Frémine, dans Promenades et rencontres (1905), ainsi : « L'habitant, le Hagard, vit exclusivement des champs et de la mer. Laboureur ou pêcheur, souvent les deux à la fois. Il tient plus du Breton que du Normand. [Les pirates normands] ne firent qu'y planter leurs tentes, qu'y déposer en lieu sûr leur butin sans se mêler aux aborigènes dont les Hagards d'aujourd'hui semblent les descendants directs. [...] Ils tiennent de la race bretonne, non par l'idiome et le costume qui sont normands, mais par le caractère et la physionomie ».

Lieux et monuments

...

Économie

La principale industrie est celui de l'énergie, plus particulièrement du nucléaire, avec l'usine de retraitement de la Hague et le centre de stockage de la Manche, près de Beaumont-Hague, et la centrale nucléaire de Flamanville dans le canton des Pieux.

Outre le nucléaire, les ressources économiques de la Hague proviennent de l'agriculture (élevage) et de la pêche. Isolée, la presqu'île est longtemps restée éloigné du tourisme, mis à part Urville, proche de Cherbourg. Depuis quelques années, les élus locaux cherchent à développer l'attrait touristique de la presqu'île, tout en gardant son caractère sauvage (campagnes de communication nationales, création d'équipement tels l'observatoire Ludiver et le centre culturel du Tourp...).

La communauté de communes a pris en 30 ans une telle importance que la fonction publique territoriale est le deuxième plus gros secteur d'emploi.

Personnalités liées à la région

La Hague dans la culture

Les paysages de la Hague ont souvent inspiré les artistes.

Selon Philippe Quévastre [1], le premier film tourné dans la péninsule serait Les Enfants du Capitaine Grant, qui avait utilisé en 1913 les falaises de Gréville. En 2005, il dénombre 18 longs métrages tournés au moins partiellement dans le canton de Beaumont-Hague. Le rôle du décorateur de cinéma, Trauner, est important puisque, résidant à Omonville-la-Petite, il a fait venir plusieurs réalisateurs dans la Hague, comme Joseph Losey, qui a tourné Les Routes du sud en partie dans la maison même de Trauner, mais aussi son ami le scénariste et poète Jacques Prévert, qui s'installe également dans ce village.

Ont également été accueillis les tournages de :

En matière littéraire, écrivains locaux et nationaux ont mis en scène la péninsule dans leurs ouvrages. Boris Vian, adolescent, y venait en vacances dans la maison de ses parents à Landemer et il y est resté fidèle toute sa vie. Didier Decoin, auteur parisien qui a élu domicile à la Roche, à Auderville, publie Les Trois vies de Babe Ozouf en 1983 (éd. Seuil), et Vue sur mer en 2006 consacrée à sa maison. Catherine École-Boivin s'est fait une spécialité de romans documentaires sur le passé agricole : Jeanne de Jobourg, parole d'une paysanne du Cotentin, 2001 ; Jean de la Mer : paroles d'un Mathieu-Sala du Cotentin et La Hague, Embruns de mémoires, 2002 ; La Petite Misère. Claudie Gallay y situe Les Déferlantes (Éditions du Rouergue, 2008) à Auderville.

La Hague est le pays natal du peintre Jean-François Millet, qui immortalise sur ses toiles l'église de Gréville et le hameau Gruchy, le prieuré de Vauville, le Castel Vendon. Après lui, ce sont William Didier-Pouget (1864-1959), Charles Le Mière (1884-1980), Georges Moteley, Émile Dorrée ou encore Guy Colson, qui peignent les côtes haguaises.

Références

  1. Hag'tions n° 33, avril 2005

Bibliographie

par ordre chronologique de parution
Livres
  • Émile de Pontaumont, Récits d'une soiréee d'hiver dans la Hague, Baratria-P. Pança, sd
  • Albert Sorel, La Grande falaise, 1872
  • Jean Fleury, Littérature orale de la Basse-Normandie : Hague et Val de Saire, Maisonneuve, 1883
  • Jean Fleury, Essai sur le patois normand de la Hague, Maisonneuve, 1886
  • Jules Lucas, La Hague jusqu'aux temps de Guillaume le Conquérant (Périodes celtique, gallo-romaine et danoise), 1903
  • Claude Pithois, La Hague, terre ignorée, Librairie G. Gautier, 1961
  • Michel Lambert, Peur sur la Hague, éd. Ocep, 1978
  • Jean Decosse, Michel Lambert, Rencontres au pays haguard, éd. Ocep, 1978
  • Xavière Gauthier, La Hague, ma terre violentée, Mercure de France , 1981
  • Françoise Zonabend, La Presqu'île au nucléaire, Odile Jacob, 1989
  • Roger-Jean Lebarbenchon, Les Falaises de la Hague, Centre d'études normandes, 1990
  • Roger-Jean Lebarbenchon, La Hague (2 vol), Société nationale académique de Cherbourg, 1998
  • Guillaume de Monfreid, Trésors de la Hague, éd. Isoète, 2004 (sur l'architecture des maisons)
  • Patrick Courault, La Hague, rivages de lumière et de légende, éd. Isoète, 2002
  • Dominique Gros, Paysages, pays sages : la Hague, éd. Le Vent qui passe, 2003
  • Guillaume de Monfreid, Normandie extrême. Voyage à la pointe de la Hague, éd. Isoète, 2006
  • André Hamel, 1939-1945 en Hague-Sud (Les chemins victorieux de la 9th division US), Inédits et introuvables du patrimoine normand, 2008
Articles
  • Digard de Lousta, « Coup d'œil sur la Hague : considérations générales, topographiques, mœurs, traditions », Mémoires de la Société nationale académique de Cherbourg, vol. 5, 1847

Voir aussi

Liens externes