Actions

Cité les Castors (Tourlaville)

De Wikimanche

Entrée de la cité les Castors entre les n°202 et 204 de la rue Carnot, août 2021. La polychromie est récente : seule la première maison à gauche a son enduit d'origine.

La Cité les Castors [1] est un ensemble de vingt maisons bâties en « autoconstruction » au début des années 1950 [2], à Tourlaville, aujourd'hui commune déléguée de Cherbourg-en-Cotentin. La voie en impasse qui les dessert porte le même nom.

Une 21e maison - au bout de l'impasse - est desservie par la voie, mais n'a pas été construite dans les mêmes conditions que les 20 autres.

Elle est une des deux cités Castors connues de Tourlaville [3], avec la cité Clair-Logis. D'autres cités sont connues dans le département, telles les cités Prairie et Croix-Bonamy à Octeville ou Clairs-Logis à Donville-les-Bains etc.

La voie débute au nord entre les numéros 202 et 204 de la rue Carnot [4], bifurque vers l'ouest 120 m plus au sud, et se termine en impasse 20 m plus loin.

Le « 202, rue Carnot » sera longtemps l'adresse postale collective de tous ses habitants.

Initialement en copropriété, la voirie passera dans le domaine public dans les années 1990, permettant la mise au « tout-à-l'égout » des habitations.


Le mouvement Castor

Face à la pénurie de logement de l'après-guerre, de nombreux particuliers se sont lancés dans l'aventure de l'autoconstruction. Certains l'ont fait en joignant collectivement leurs forces, notamment via des initiatives coopératives comme Les Castors.

On parle alors « d'apport-travail » : le chantier, mené en fin de journée, le week-end et pendant les congés payés compense la faible capacité d'emprunt des familles désireuses de se loger dignement.

Le principe de l'apport-travail est reconnu officiellement par Eugène Claudius-Petit, ministre de la Reconstruction, en mars 1951.

Cette reconnaissance officielle a permis aux Castors d'emprunter sans apport en espèces. Le regroupement permet d'approvisionner le chantier par grosses quantités, donc avec des tarifs avantageux. Mais surtout l'idée est de développer une culture de l'entraide censée accélérer la construction.

Ces ensembles de logements se montrent parfois bien plus importants que les cinq cités connues dans la Manche : 150 maisons à Pessac dans la Gironde, 340 ou 360 logements (selon les sources) à Montreuil dans la Seine-Saint-Denis.

La « Mutuelle du Logis de l'Agglomération Cherbourgeoise »

L'abbé Leroussel (on trouve aussi son nom écrit Lerouxel et Le Rouxel), curé de la paroisse des Mielles, se rend à Bordeaux pour y assister à un congrès catholique. Il y discute avec d'autres prêtres du problème du logement, auquel tous sont confrontés, quand il apprend qu'un village de Gironde « avec église, école et château d'eau » [sic] [5] est sorti de terre. Revenu à Tourlaville, il prend contact avec ses ouailles, qui, réunis un soir au presbytère [6], décident « de bâtir leurs maisons avec leurs mains et leur courage » [7]. La « Société mutuelle du logis de l'agglomération cherbourgeoise » est née [8][9]. Son président est M. Schlegel (1912-1989), comptable de métier, alors employé à la Cunard Line [10].

La presse locale fait la part belle à Pierre Schlegel à l'époque. Il faut rappeler cependant que l'aventure était collective, tous les sociétaires étaient d'égale importance sur le chantier. Cette réserve étant énoncée, on peut citer les journaux.

« [Schlegel] sut, par son énergie et son esprit d'initiative, inspirer confiance à l'ensemble du groupe » [11]. À ce titre, il fait « toutes les démarches » [11], à commencer par celles intéressant l'emplacement de la « place au soleil » [7] de ceux qu'on devait appeler Castors. Après avoir d'abord songé à un terrain appartenant à un Canadien et essuyé un refus, il va un jour trouver un certain M. Lefèvre dans son champ de pommes de terre. Là, il lui propose de louer son terrain d'environ 8000 mètres carrés pour y bâtir des maisons. L'endroit avait servi de camp de prisonniers pendant la guerre[12] (en 1944), et, dès 1946, « les surplus y entreposèrent leur hétéroclite marchandise »[12]. Ceci avait donc dû priver le sieur Lefèvre d'une partie de ses revenus; c'est peut-être cette perspective d'argent facile qui lui fait accepter (après réflexion) l'offre de Schlegel. Ce dernier sait, « par la suite, obtenir le concours technique et bénévole de MM. Fagnien et Mignot, ingénieurs des Ponts et Chaussées, des élèves de l'école des Beaux-Arts, et ensuite le concours financier de bon nombre de personnes d'esprit social » [11], ainsi que de M. Lelandais, « qui est du bâtiment », comme technicien.

« Cette formule a eu le grand avantage de réduire au maximum le prix de revient et par là même, les charges financières, mais pour les intéressés, ce fut une dure épreuve physique et familiale », dira plus tard M. Valot, président du conseil d'administration du Crédit immobilier de Cherbourg et du Cotentin [11]. En effet, pour « subvenir aux premières dépenses [13], chaque famille versa 30.000 fr., somme difficile à réunir pour certains sans de sérieux sacrifices » [7]. Des personnes de tous les milieux sociaux leur prêtèrent sans intérêt [14]. Schlegel, de son côté, fit une demande d'emprunt à la caisse d'Allocations familiales pour l'achat du terrain. L'accord de la caisse fut donné le 28 juillet 1951 et alloua à la « Mutuelle du Logis de l'agglomération cherbourgeoise » la somme de 2 millions 500 000 francs (625 000 francs de subventions et 1 million 875 000 francs de prêts remboursables en dix ans).
« Cela permit de couvrir l'achat du terrain et les frais.
La commune de Tourlaville accorda la fourniture des matériaux nécessaires à la mise en place de la voirie, l'adduction d'eau et l'évacuation des eaux; les travaux devaient être exécutés par les "bâtisseurs". [...] Mais de nouveaux problèmes surgissaient chaque jour. Ils furent résolus par la générosité et la volonté de certains spécialistes de questions qui demandaient des connaissances techniques approfondies. Me Thiébot accepta de s'occuper des affaires juridiques concernant les achats de terrain, les emprunts et les clauses de la mutuelle; M. Fagnen, suivant le projet établi par l'urbanisme de Coutances, dressa les plans qui furent dessinés par les élèves de M. Lebreton, directeur de l'École des Beaux-Arts. » [7]

Statuts et cahier des charges

Le 11 avril 1951 - soit quelques semaines après la reconnaissance officielle de l'apport travail -, vingt sociétaires adoptent en assemblée générale les statuts d'une association loi 1901. Ce sont les vingt auto-constructeurs de la cité. Extraits [15]:

« Article 2 :
Cette société a pour but l'entraide, principalement au point de vue main d'œuvre, pour la construction de maisons familiales destinées aux sociétaires »
Article 3:
[…] Les membres actifs sont ceux qui participent effectivement à la construction des maisons familiales des sociétaires. Ils doivent être français, majeurs, salariés ou appointés, ne pas posséder déjà de maison […]

On s'étonnera de la nécessité d'être français…

Les statuts sont suivi par le « cahier des charges de la cité des Castors [16] ». Il définit entre autres la surface de chacune des parcelles. On en appréciera l'article 13 :

« [Les sociétaires] donneront à leur maisons et clôtures le meilleur aspect et entretiendront leur propriété de façon à lui maintenir constamment excellente allure de propreté, voire de coquetterie. »

Le début du chantier à Tourlaville

Description du début du chantier dans La Manche libre.
Les castors « travaillaient sans relâche. Le soir, dès leur besogne terminée à l'arsenal ou ailleurs, ils se donnaient rendez-vous et la main dans la main, œuvraient, pleins d'ardeur. » [7]

Un article de presse en 1951

Le 28 octobre 1951, La Manche Libre publie un reportage très renseigné sur la cité, signé Pierre Montjoie [12].

On l'a dit, il y a en tout vingt sociétaires :

  • deux maçons
  • deux couvreurs
  • deux menuisiers
  • un charpentier bois
  • trois charpentiers fer
  • un douanier
  • un déménageur
  • trois électriciens
  • un manœuvre
  • trois mécaniciens
  • un comptable

Henry Leterrier, sociétaire, explique au journaliste la procédure d'obtention des permis de construire, qui paraît aujourd'hui totalement effrayante :

« Le terrain acheté, nous avons entrepris la fabrication des agglos [17]. En deux mois nous en avons fait 35 000. Ils nous reviennent à 32 fr. pièce. À l'achat ils nous auraient coûté de 72 à 75 frs [18]. Nous avons utilisé 100 tonnes de ciment et fabriqué notre vibreuse…
En ce moment nous en sommes au terrassement, à l'aménagement du lotissement. En effet pour obtenir l'autorisation de bâtir, il faut que le lotissement soit fait. Avec l'autorisation de bâtir nous obtiendrons le prêt que doit nous consentir le Crédit immobilier. Et alors nous nous attaquerons aux maisons. »

En résumé, les sociétaires ont acheté le terrain par six ventes signées entre le 17 et le 29 septembre 1951 [19] et construisent la chaussée en octobre pour valider le « permis d'aménager », qui leur permettra de demander les « permis de construire », lesquels leur donneront droit à « l'apport travail » et donc à une capacité d'emprunt suffisante pour se loger. On est heureux pour eux qu'un blocage administratif ne se soit pas produit dans l'échafaudage de procédures.

Toujours dans le même article, on apprend que six des sociétaires ont bénéficié de subventions de la Caisse d'allocations familiales (CAF) d'Avranches, les autres d'un prêt consenti par la même caisse, remboursable en vingt ans, pour acheter le terrain.

Le prêt du Crédit Immobilier y est donné pour 20 millions de francs (1951), un million par maison, remboursable en 20, 25 ou 30 ans, suivant l'âge de l'emprunteur. Ce million d'anciens francs correspond à 25 000  (2020) [20]. Pour des maisons de 120 m2 habitables, on comprend l'intérêt de l'opération.

Enfin, l'article précise que seules les menuiseries seront acquises préfabriquées : portes fenêtres et escaliers.

Un autre article en 1952

Ouest-France publie à son tour un reportage non signé sur la cité, le 17 décembre 1952 [21]. À nouveau il y est question d'une location préalable du terrain, ce qui parait toujours difficile à croire, mais le calendrier est précisé :

  • 9 juin 1951 : location du terrain, début de la fabrication des agglos « suivant une méthode d'ailleurs primitive qu'ils devaient moderniser par la suite ».
  • Vers décembre, l'emprunt est demandé.
  • Janvier 52, mise en place des fondations. Rappel : la vente du terrain ne sera signée qu'en septembre !
  • Février, l'argent est débloqué par le crédit immobilier.
  • Décembre, la chaussée est réalisée, sauf le revêtement. L'eau et le gaz sont distribués, l'électricité ne saurait tarder. 13 maisons sont couvertes.
  • En prévision : l'emménagement pour la Pâques 1953, et inauguration le 9 juin. Coût estimé : 15.000 francs du mètre carré, soit 423 euros, valeur 2023 !

On apprend cependant que « pour certains, le financement devient difficile ». Un appel à l'aide est lancé au Conseil Général.

« Le tout a été réalisé sans entrepreneur, et pratiquement sans main d'œuvre salariée. Les Castors ont seulement bénéficié de l'aide apportée par des amis, par des scouts, par des parents, par des séminariste ».

Bref, on comprend que l'entreprise était encore plus risquée que ce qu'expliquait l'article de 1951 : le chantier était déjà sérieusement avancé avant que les propriétaires ne soient titrés !

Pièces graphiques

Plans coupes et façades d'un groupe de trois maisons mitoyennes

Tirage à l'ammoniac des plans coupes façades d'un groupe de trois maisons de la « Cité les Castors » à Tourlaville.

À Tourlaville, un arrangement est convenu avec l'école des beaux-arts de Cherbourg : les plans des maisons sont dressés par les élèves [22] et approuvés en janvier 1952. C'est à ce moment-là que les fondations sont faites en commun, puis chacun devient son propre entrepreneur, « ce qui n'exclut pas à l'occasion un coup de main du voisin » [14].

On a pu conserver un exemplaire des plans [23] d'un des groupes de trois maisons. Ces plans sont dressés à l'échelle « d'un centimètre par mètre » (1/100), ce qui est typiquement l'échelle de documents de permis de construire. Il semble qu'il n'y ait jamais eu de plans plus détaillés.

Ces maisons sont à rez-de-chaussée plus un étage carré plus combles habités. Ces combles sont dits « à l'hollandaise » dans l'article de La Manche Libre, c'est-à-dire que par le jeux de chiens-assis, il n'y a pratiquement pas d'espaces mansardés.

Les plans sont dotés de dénominations fantaisistes : sous-sol pour le rez-de-chaussée, rez-de-chaussée pour l'étage, greniers dans les combles. Il s'agissait peut-être d'une astuce permettant une obtention plus facile du permis de construire, plus probablement pour réduire le montant des impôts fonciers, on ne sait pas trop.

Au rez-de-chaussée on trouve un garage, une laverie et une « cave ». Cette cave est en fait un atelier tous corps d'état : le chantier continuera longtemps, en site occupé. L'étage comprend la cuisine et la salle à manger, la salle d'eau, un WC séparé, et une ou deux chambres. Le concept de « séjour » n'existait alors tout simplement pas. Sur les plans, le dessin des escaliers est incohérent d'un niveau à l'autre.

Le chantier, au moment de la pose des menuiseries extérieures. Les verticales ont été redressées.

Les prétendus « greniers » des combles sont bien évidemment des chambres. En revanche, un vrai grenier difficilement accessible fut aménagé au dessus de leurs plafonds, à hauteur de l'entrait retroussé de la charpente.

Le garage était probablement une idée d'avant-garde, et restera longtemps vide, faute de pouvoir acheter une voiture ! Les maisons n'avaient pas d'isolation thermique, on compte quatre conduits de fumée qui montent depuis le premier étage, y permettant l'installation théorique de quatre poêles à charbon. Le rez-de-chaussée n'était donc pas chauffé du tout, et les chambres en comble étaient censées n'être chauffées que via les poêles de l'étage du dessous.

L'ensemble offre environ 120 m2 habitables plus 50 m2 de services à rez-de-chaussée, sur une parcelle de 310 m2 en moyenne par maison [24]. On voit que l'idée de dignité a emmené les constructeurs à voir grand, donc épuisant à construire. Mais les logements produits étaient bien plus confortables que le standard du moment : électricité partout, sanitaires intégrés, etc.

Le dessin de la « façade principale » montre un revêtement calepiné qui ne sera jamais mis en œuvre.

Façades d'un groupe de deux maisons mitoyennes

Cité les Castors, façades principales des maisons n° 13 et 15.

Les maisons des n° 13 et 15 sont atypiques [25], ce sont les deux seules à avoir une toiture à croupes, on ne comprend trop bien pourquoi. Ces toitures sont évidemment plus difficiles à construire que de simples toitures à deux versants.

Il y avait d'autres types de maisons, notamment à rez-de-chaussée avec seulement un comble habitable (aux n°2 et 4). Il n'y a donc pas eu de tirage au sort des lots entre participants (pratique connue dans d'autres cités Castors) puisque les maisons étaient différentes dès leur conception.

Une seule des 21 maisons n'est pas mitoyenne, celle qui n'est pas « Castor ». On compte deux groupes de deux maisons, quatre de trois, et un seul groupe de quatre maisons.

Suite et fin du chantier

Début des travaux de charpente

Début octobre 1952, quelques maisons ont terminé la maçonnerie, et l'une pose la charpente [14]. En tout, quarante mille agglos ont été utilisés. La route bordée de trottoirs, les canalisations d'eau, le gaz, l'électricité et les égouts ont été faits en commun.

« En principe, tout le monde devrait les habiter pour le 1er janvier prochain pour éviter un double loyer. En fait, très peu seront habitées. » [14]

Émulation dans l'agglomération cherbourgeoise

« [La cité des Castors] servit d'exemple immédiatement à deux autres groupes qui se constituèrent pour la construction, l'un de la "Croix Bonamy" à Octeville : l'autre aux "Flamands", à Tourlaville.
Ce fut alors M. Schlegel qui considéra comme un devoir d'utiliser l'expérience acquise en conseillant ces deux groupes. À la lumière de ses expériences, il fut décidé que, pour l'avenir, il conviendrait d'améliorer le système, afin de réduire le temps de construction et d'alléger les fatigues des constructeurs. C'est avec cette formule que M. Schlegel prit en main toutes les démarches pour la construction de trois nouveaux groupes : un à Tourlaville, deux à Octeville. C'est donc un total de 110 maisons qui, grâce à l'impulsion, au concours dévoué et bénévole de M. Schlegel, furent construites, abritant 110 familles ouvrières, groupant environ 400 enfants. Cette formule rencontra la plus grande sympathie de notre société [26], laquelle finança 81 maisons. » [11]

La première pierre de la cité des Castors d'Octeville fut posée le 17 février 1953 par le préfet Henri Larrieu [27]. La cité Clair Logis, avec ses vingt-neuf logements, était alors déjà construite (en partie en préfabriqué), et le préfet visita quelques-uns des vingt logements de La Mutuelle du Logis en présence de MM. Schlegel et Lebreton, architecte [27].

Cent-quatre enfants et le problème de la voirie

"Les Castors rongent leur frein". Rubrique "nos lecteurs ont la parole. Probablement dans La Presse de la Manche en juillet 1988.

Le président Pierre Schlegel, occupe la rubrique « Nos lecteurs ont la parole » de la presse locale à plusieurs reprises à la fin des années 1980 [28]. Hormis les habituels jeux de mots (Les Castors rongent leur frein, en titre), on y apprend que dès 1977, la demande était faite de classer la voirie dans le domaine communal. Ce classement était d'ailleurs évoqué dès la rédaction des statuts de la mutuelle.

Mais ces articles mentionnent une autre donnée intéressante : la cité aurait abrité en tout 104 enfants !

Un petit peu plus que cinq enfants par famille !

Qui étaient les Castors ?

Célébration de la "Fête-Dieu" sur le chantier de la cité des castors, probablement en 1952

Il existe une littérature [29] - certes peu abondante - relatant diverses expériences Castor en France. Globalement, elle tend à dresser un tableau idyllique, à propos d'utopies, de cités idéales, bref d'une vision magnifiée de ces multiples chantiers. Mais comme le relatent quelques rares recueils de témoignages [30], la réalité n'aura pas été si rose.

Précisément à Tourlaville, même si certains étaient issus de milieux militants, et notamment de la Jeunesse Ouvrière Chrétienne (JOC) [31] il semble que la solidarité n'ait pas résisté aux très sévères exigences du chantier, lequel, au final, a provoqué des frictions entre participants.

D'autre part parmi les sociétaires on comptait Pierre Schlegel, ancien conseiller municipal de Tourlaville pendant l'occupation nommé par l'administration de Vichy [32], et Paul Tesson, futur conseiller municipal de Tourlaville « apparenté communiste »[33], on comprend qu'il n'y avait pas de vision commune du « mouvement ».

Il n'empêche : l'aventure des Castors aura permis à leurs familles d'y grandir dans la dignité.

Plan de situation

Le contour est approximatif. On peut voir que plusieurs appentis ont été construits dans les jardins et que certaines maisons ont été fortement remaniées ou agrandies depuis le chantier initial. Le tracé bleu en pointillé correspond à l'ancienne voie ferrée.

Chargement de la carte...

Étude urbaine

En 2022, des étudiants en urbanisme de l'université de Caen, remettent aux services d'urbanisme de Cherbourg-en-Cotentin [25] le fruit de leur travail d'enquête et de projet sur la cité.

Le document transmis analyse à grands traits les déplacements moyens des habitants, et propose d'aménager le reliquat de terrain laissé libre (depuis l'origine) au fond de l'impasse.

Témoignages

Plaque de la cité les Castors

On citera ici anonymement les témoignages et les souvenirs des habitants de la cité. Ils sont bien évidemment sans source écrite, et ne valent que par la mémoire de leurs auteurs. On a séparé les témoins par des points de suspension[34].

  • [Hormis la « vibreuse » citée ci-dessus,] le chantier se fera avec un outillage extrêmement rudimentaire : pas d'outils électriques, pas de bétonnière, pas de moyens de levage.
  • Des moules à parpaings sont fabriqués chez un garagiste local, par soudure de trois tôles épaisses. Le béton fortement chargé en mâchefer est tourné à la pelle pour remplir les moules. Tout se fera à la truelle, à l'égoïne et à la chignole.
  • Les familles commencent à emménager moins de trois ans après le début du chantier, souvent dans des conditions précaires : l'escalier n'a pas encore ses marches, il manque des garde-corps, alors qu'il s'agit d'y loger des enfants en bas-âge…
  • Le père n'avait cimenté les tuiles que du côté du vent dominant à l'Ouest. À l'Est elles n'étaient que crochetées, ce qui fait que la toiture était réputée étanche à l'eau mais pas étanche à l'air. Ça a très bien marché pendant une trentaine d'années, jusqu'à ce qu'on ait une exceptionnelle tempête de neige plein Est. Il a fallu vider le grenier avec un seau de toute la neige qu'il avait embarqué, et repeindre un plafond qui du coup avait été gâché

  • [les constructeurs] avaient dû demander l'autorisation du curé pour travailler le dimanche

les numéros 1, 3 et 5 de la Cité les Castors à Tourlaville photographiés en 1953.
  • Les charpentes ont été montées avec du bois de récupération. Il venait des caisses d'emballage des chars, que l'armée américaine laissait à l'abandon. Au moment de moiser deux pièces de bois, papa s'est aperçu qu'elles venaient du même arbre : le fil et les nœuds correspondaient, ce qui en dit long sur les méthodes de travail américaines…
  • Le mâchefer qu'on trouvait en abondance dans le béton des parpaings provenait des résidus des chaufferies de l'arsenal, ramenés par chariot à bras depuis là-bas [35].
  • Le revêtement de façade qu'on voit sur les plans devait être de béton lavé et calepiné. Faute de moyens, il n'a été mis en œuvre que sur une seule maison, celle de Schlegell (président de la mutuelle du logis de l'agglomération cherbourgeoise). Cela a posé des problèmes au moment de la conformité [au permis de construire], mais les autorités ont dû s'en accommoder devant le fait accompli.

  • Je me souviens que les relations dans les années 70 étaient médiocres entre le « fond » et « l'entrée » de la cité. Les surnoms plus ou moins aimables fusaient… En vrai, plutôt franchement pas aimables… Le fait que certains étaient militants syndicalistes et d'autres dans la « maîtrise » de l'arsenal n'a pas dû simplifier les conversations. Il restait de sombres histoires de partage inégalitaire quand les menuiseries ont été livrées, certains arrivés plus tôt que les autres ayant choisi les « meilleures » [?]. Des histoires de mur mitoyens montés à la va-vite écroulés dans une tempête aussi. Je ne sais pas trop, c'est seulement ce qu'on m'a raconté. [il y avait aussi] un clan formé par trois frères qui avaient construit trois maisons mitoyennes. Ce qui n'a pas été bien vécu par les « autres ».

  • Que de bons souvenirs dans cette maison […]. En particulier, les nuits de tempête! Ça craquait de partout, cependant, énorme sentiment de sécurité. C'était du solide les constructions de la cité des Castors.

  • Très long à construire. Tous les soirs après le boulot, les hommes venaient faire leurs agglos, puis quand ils ont commencé à construire les maçons faisaient de la maçonnerie, les électriciens faisaient de l’électricité enfin, euh c’était vraiment… ils étaient très très unis [25].

Notes et références

  1. Le nom « cité des castors » est fautif relativement à la plaque apposée à l'entrée de la « cité les Castors ». C'était cependant le nom utilisé par les habitants eux-mêmes… et par le cadastre actuel.
  2. De 1951 à 1953 pour le clos-couvert.
  3. Cités Castors de France portail du mouvement d'autoconstruction Castor. Le site dénombre vingt-neuf cités Castors dans toute la Normandie. Il n'est pas certain que ce répertoire soit exhaustif, tant les structures Castor étaient différentes d'une cité à l'autre. À titre indicatif, le site recense 138 cités en Bretagne.
  4. Selon une brochure intitulée « La Police cherbourgeoise vous renseigne » (Imprimerie commerciale cherbourgeoise, sd [1953]), le terrain était le lieu d'installations de la direction régionale de la Compagnie métallurgique du Centre-Ouest. C'est totalement incompatible avec l'acte de vente notarié conservé dans les familles des Castors.
  5. L'abbé Leroussel se laisse emporter par son enthousiasme. Une cité Castor dotée d'un château d'eau ne peut être que celle de Pessac. Mais si elle dispose bien de bâtiments publics, ce ne sont ni une église, ni une école.
  6. Il s'agit peut-être de l'assemblée générale citée plus bas.
  7. 7,0 7,1 7,2 7,3 et 7,4 « Une œuvre de volonté et de confiance : la "cité Castors" de Tourlaville », Ouest-France, 31 octobre 1957.
  8. Cette Société est en fait une simple association loi 1901, cf. Archives Manche sous le n° 725.
  9. op. cit. et Bulletin paroissial de la paroisse Saint Gabriel, 4 mars 2009.
  10. « Pas de résorption du chômage dans les mois à venir », Ouest-France, 30 octobre 1968.
  11. 11,0 11,1 11,2 11,3 et 11,4 « À l'issue de l'inauguration des nouveaux locaux du Crédit immobilier de Cherbourg et du Cotentin, M. Pierre Schlegel reçoit l'insigne de chevalier du Mérite social », Ouest-France, 24 novembre 1960.
  12. 12,0 12,1 et 12,2 Selon une coupure de presse conservée dans la famille d'un des Castors : « À Tourlaville près de Cherbourg vingt "Castors" ont entrepris de construire vingt maisons ».
  13. Il fallait payer le ciment, le sable ...
  14. 14,0 14,1 14,2 et 14,3 Ouest-France, 10 octobre 1952.
  15. Ces statuts sont conservés dans une famille de Castor. Avec le cahier des charges c'est un document de 9 pages A4.
  16. Et il est bien écrit cité des Castors.
  17. Agglos : il faut comprendre parpaings.
  18. Soit pour le prix d'un parpaing 0,80  au lieu de 1,81 à 1,89 .
  19. Le terrain est acquis pour la somme de 2 197 160 F (55 243,82 euros - acte notarié conservé dans une famille Castor).
  20. Convertisseur franc-euro sur le site de l'INSEE.
  21. Voir l'article de Ouest-France (lire en ligne)
  22. Le plan montré en illustration porte les noms de Lucas, Dubost, Latrouite, Ferrand, Fauvel, Brugnot, Papon, élèves aux Beaux-Arts de Cherbourg.
  23. On n'a pas osé déplier complètement ces plans tant le support papier est devenu cassant, raison pour laquelle l'image jointe à cet article est difficilement lisible.
  24. Surfaces données par cadastre.gouv. Seule la maison enclavée tout au fond de la cité bénéficie d'une parcelle de 609 m2, c'est la maison construite hors Castors. Les autres parcelles ont des surfaces variant entre 253 et 359 m2. L'ensemble occupe actuellement une surface de 7 700 m2 (0,7 hectares) dont 1 435 m2 pour la voirie.
  25. 25,0 25,1 et 25,2 Bardou Alice, Baudin Marie, Limare Agathe, Madeline Adrien, M1 – GAED parcours Territoires en transition, Université de Caen - Normandie. Le rapport utilise des documents préalablement publiés ici.
  26. du Crédit immobilier de Cherbourg et du Cotentin
  27. 27,0 et 27,1 « La visite de M. le préfet à Équeurdreville, Tourlaville et La Glacerie », Ouest-France, 19 février 1953.
  28. Coupures de presse déjà citées, hélas conservées sans date et sans mention du titre du journal. Il s'agit très probablement de La Presse de la Manche .
  29. Voir cette page « boutique » qui peut servir de bibliographie.
  30. L'esprit Castor : Mythe et réalités - Caroline Bougourd (Lire en ligne).
  31. La cité de Pessac, prototype des autres cités Castor de France, avait précisément été initiée par Étienne Damoran : un prêtre ouvrier de la JOC.
  32. Cherbourg-Éclair, 21 mars 1941.
  33. Dominique Gros, Paroles de militants, éd. Vent Qui Passe, 2008. Pages 136 à 141. »
  34. Voir aussi témoignage d'un des Castors Paul Tesson.
  35. L'arsenal est quand même distant de 4 km.

Lien interne

Liens externes

  • « Cités Castors de France », Portail du mouvement d'autoconstruction Castor, site internet (voir en ligne)
  • « Fonds Roger Blanc », Association Culturelle des Castors de Pessac, Archives - Mémoires du mouvement d'autoconstruction Castor, site internet (voir en ligne)
  • Article « Castors (mouvement coopératif) », Wikipédia en français (auteurs)
  • Émission Karambolage de la chaîne de télévision Arte, qui présente correctement le mouvement Castors en quatre minutes. (voir en ligne)