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Gare anglaise des Flamands

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.Figure 1 : photographie au niveau du sol (1918), légendée « Tourlaville (Flamands) - La Gare Anglaise »
Figure 2 : photographie au sol, légende manuscrite : « Cherbourg (gare des Anglais aux Flamands) près de Tourlaville [T.C ?] ». Au dos est écrit « Souvenirs de 1914 et 1917 pour la vie. »
Figure 3 : Photo aérienne (1920). Si l'image parait inclinée, c'est qu'on replacé le nord en haut de la page.
Figure 4 : Photo aérienne (1944)
• en rouge le tracé commun au Tue-Vaques et à la SNCF
• en mauve tracé du seul Tue-Vaques
• en vert, desserte de la Pyrotechnie et du Fort des Flamands
• en Jaune-orangé, desserte du port des Flamands.
• en bleu, un « triangle de retournement » et l'emprise de la gare de triage.

La gare anglaise des Flamands est une ancienne gare ferroviaire de la Manche, située sur le territoire de la commune de Tourlaville.

Il ne faut pas la confondre avec la Gare des Flamands qui n'est desservie que par le Tue-Vaques.

Son implantation, l'emprise de ses installation expliquent encore aujourd'hui (2024) la structure urbaine du quartier des Flamands et de la frange à l'est du quartier des Mielles.

Historique

Les terrains de la « gare anglaise » ont été réquisitionnés pendant la Première Guerre mondiale [1]. À l'instar de la « gare anglaise d'Abbeville » [2], cette installation ferroviaire a été construite par l'armée anglaise, de manière à transporter troupes et matériels vers le front.

Tout ceci est probablement conçu et construit en même temps que le camp anglais des Mielles à quelque centaines de mètres de là.

Les Anglais quittent la gare fin 1919 [3], mettant à la vente des tonnes de tôle ondulée, des cornières, des madriers, des bois de démolition, du fil de fer barbelé, des pioches, des pelles, des poêles de chauffage ou encore des fourneaux de cuisine ... [4] La gare, demandée par le ministère des Travaux publics et des Transports à l'armée anglaise [5], est acquise par les chemins de fer de l'État, qui la louent à leur tour aux Américains. Ceux-ci s'en servent alors de base pour y entreposer les corps de leurs soldats morts au combat.

La description du lieu nous est donnée en 1920 par Le Journal de la Manche et de la Basse-Normandie, qui écrit qu'il s'y trouve:

« six vastes hangars, construits avec des charpentes en bois et des tôles ondulées, qui ont été transformés par la base américaine en vastes dépositoires [6]. Des charpentiers les ont spécialement aménagés pour y recevoir tous les corps exhumés des soldats américains tombés sur le sol français » [7].

Les corps devaient en effet être placés dans des cercueils fabriqués à Cherbourg avec du bois de chêne envoyé par bateau par le gouvernement américain, puis envoyés à la gare, où ils seraient disposés dans les hangars, puis rapatriés en Amérique. Le 17 avril 1921, une délégation de la 271e section se rend à la « nécropole américaine » pour y « saluer les 2.800 héros américains morts au cours de la grande guerre » [8]. Des dizaines d'ouvriers [9] ont été employés au montage et à la réception des cercueils à la base des Flamands, dont des Coréens [10]. Notez que la gare de triage d'Équeurdreville avait la même vocation de « dépôt mortuaire » que celle de Tourlaville [11], mais qu'elle a dû être aménagée après celle-ci [12].

En 1922, la gare est affectée au « service des ports maritimes » [1]. Les hangars et les voies ferrées appartiennent à la Chambre de commerce de Cherbourg [13].

Puis les voies ferrées auraient été cédées à l'entreprise Christiani et Nielsen vers 1928 [14].

En 1931, un litige oppose, d'une part, les familles Jean Lemoigne et Masse, propriétaires des terrains réquisitionnés, et d'autre part l'administration de la Guerre, peu encline à verser les indemnités dues après l'occupation par les Anglais [15]. L'État, qui proposait moins de 6 300 francs de réparations au total, est condamné par le tribunal civil de Cherbourg à payer 23 182,87 francs pour l'indemnité due à l'occupation, 14 940 francs pour privation de jouissance, et encore 7 000 francs à la veuve Louis Lemoigne [16].

Le terrain et peut-être même les bâtiments sont occupés de 1958 à 1974 par le collège Denis-Diderot[17].

Documents photographiques

Sources

En 2023, on ne dispose pour l'instant que de deux photographies prises depuis le sol documentant la gare :

  1. Figure 1, carte postale (le message au dos est daté du 20 juillet 1918), l'image correspond avec une incroyable précision avec les photos aériennes de 1920, on le verra plus loin.
  2. Figure 2 montrant de très nombreux petits bâtiments aux faîtages perpendiculaires à la voie. L'image, non datée est énigmatique et sans rapport avec la figure 1 : elle ne correspond à aucune des configurations de la gare observables sur les photos aériennes.

Il peut y avoir deux explications :

  • soit on y voit les bâtiments construits par les Anglais, bâtiments qui n'auraient duré que quelques années, voire quelques mois, avant d'être démolis par les Américains, dans tous les cas de figure avant 1918. Le croisement des routes à cet endroit fait penser aux actuelles rues Henri Becquerel et Justin Godart.
  • soit la légende manuscrite est une erreur complète, et il s'agit d'un autre lieu. Le talus visible à droite du cliché semble peu compatible avec la topographie des Flamands, laquelle topographie est à peu près plate comme la main.

On peut consulter par contre pléthore de photographies aériennes :

  1. L'Institut Géographique National met à disposition de très nombreuses images (dont la figure 3) prises depuis 1920 jusqu'à 2013 ! [18]
  2. Figure 4, une exceptionnelle photographie aérienne datée du 6 juin 1944, mise en ligne par les archives américaines où on distingue clairement les installations à ce moment réquisitionnées par l'occupant nazi.

Évolution des installations

Avec cette incroyable abondance de photos, il est possible de suivre l'évolution de la gare[18].

1920

La gare est déjà presque à son extension maximum. La photo aérienne correspond rigoureusement à la Figure 1, on comprend même l'endroit où Annet Veyssières avait posé son appareil photo : au premier étage du 261 rue Aristide Briand ! On y distingue clairement à droite de la carte postale les « six vastes hangars » décrits dans le Le Journal de la Manche et de la Basse-Normandie la même année [11], au centre une vaste aire de stockage et de manœuvre, à gauche le faisceau de triage. Tout correspond point par point à la photo aérienne.

Les lignes desservent la pyrotechnie et deux quais du port des Flamands. Les installations pétrolières (citernes à mazout), construites vers 1911 [19][20] à l'est du port ne sont par contre pas desservies. Seul élément manquant : le raccordement à l'est sur la ligne du Tue-Vaques, alors qu'il ne restait que quelques dizaines de mètres à parcourir. On peut comprendre que les armées anglaises ou américaines n'aient pas vu l'intérêt d'aller à Barfleur.

En 1937, la gare n'a plus d'intérêt militaire, les terrains sont loués à des exploitants agricole par l'administration des ponts et chaussée [21].

Pendant l'occupation

À nouveau l'armée anglaise arrive à la mi-septembre 1939 et établit sa base dans la gare et en face de l'église des Mielles, probablement au même endroit qu'en 1914, au camp anglais des Mielles. Cette fois, les tommies s'en iront en fin de matinée du 18 juin 1940 : le jour de l'appel ![21]

L'armée de l'occupant nazi utilise la gare (ainsi que la Gare des Flamands) pour le service de la batterie « Gneiseneau » : un énorme canon sur rail, qui sera constamment déplacé le long de la ligne du Tue-Vaques, et souvent stationné dans l'anse du Poulet, immédiatement à l'Ouest de l'anse du Brick [21].

1944

Le 25 juin, l'armée américaine prend place dans la gare, utilisée jusque là par la Wehrmacht. En juillet, ils s'en servent comme base de ravitaillement [21].

On constate que la gare a été raccordée à l'est sur la ligne du Tue-Vaques. Par contre, son faisceau de triage est presque entièrement démonté. Il n'est plus accessible par le triangle de retournement à l'ouest. À la place, on trouve les installations allemandes, principalement du matériel stocké en plein air et quelques bâtiments de petite taille. Il reste des voies en impasse seulement accessible depuis l'est. Les six hangars des Anglais ont été réunis en un seul bâtiment. Faute d'image intermédiaire entre 1920 et 1944, on peut supposer qu'à un moment donné, la gare anglaise a formé un shunt de la gare des Flamands proprement dite, entre Bagatelle et le Becquet.

1946

La « société nationale de vente des surplus américains » s'y installe, puis la gare devient le « camp 504 » : les corps de certains soldats américains d'abord enterrés au « cimetière américain 504 » près de Carentan sont exhumés pour être rapatriés via le port de Cherbourg. La gare reprend donc son rôle mortuaire, tout comme en 1919.

Témoignage
« d'après les conversations que j'ai eu avec mon papa, les dépouilles des américains identifiés avec leurs plaques militaires étaient déposés là, et souvent c'était des parachutistes donc, faute de cercueil ils étaient "emballés" dans la toile de leur parachute avant d'être rendus à leurs familles. » [22]

Après la gare

1947

Le terrain n'est plus du tout desservi par le chemin de fer, les hangars anglais ont été remplacés par un très long bâtiment peu épais qui sera bientôt réaménagé (1958) pour abriter le Collège Denis-Diderot. Le reste du terrain est entièrement occupé par du stockage en plein air. C'en est fini de la gare de triage.
Il n'y a plus de desserte du port des Flamands. Deux voies du triangle de retournement sont déferrées, son tracé commence à se dissoudre.

1955

La surface du triage est maintenant débarrassée de tout stockage, la végétation y a repris ses droits. Le Tue-Vaques n'est plus exploité depuis 1951, mais la ligne ne semble que partiellement déferrée, notamment au droit de la nouvelle cité Clair-Logis. Il n'y a plus de desserte de la pyrotechnie.

1958

Installation du CES Diderot.

1966

On constate l'apparition des premières habitations pavillonnaires (cité Cosron), au nombre de sept, des deux côtés du chemin d'accès qui donne dans la rue Aristide-Briand. Le chemin, dépouillé de ses rails, est désormais goudronné. Trois groupes de salles de classe sont ajoutés sur la limite sud, le CES est dans ses locaux.

1971

Un quatrième groupe de salles de classe est ajouté dans le prolongement des trois précédents. Il est au moins deux fois plus long que les autres.

1974

Déménagement du collège vers ses nouveaux locaux, au 237, rue Augustin-Le-Maresquier.

1978-1979

La route n'est pas prolongée : elle donne maintenant directement sur deux courts de tennis, immédiatement attenants, au nord-est, à une cité pavillonnaire tout juste sortie de terre (aujourd'hui résidence Jules-Lemoigne) mais qui conserve un bout de l'ancien chemin. Derrière la cité, il s'agit toujours d'un terrain vague mais une véritable route (l'avenue de Northeim) serpente désormais dans ce que nous connaissons aujourd'hui comme le terrain de cross pour rejoindre les rues Justin-Godart et Henri-Becquerel. C'est au niveau du point d'intersection de ces deux rues que nous trouvons le début de la nouvelle route d'accès à la cité, située une trentaine de mètres au nord de l'ancienne voie de la gare et qui est aujourd'hui une piste cyclable. En 1979, l'avenue de Northeim a pris son tracé actuel (2023). On retrouve le nouveau collège Diderot un peu plus loin, à quelques mètres au sud de l'extrémité nord-est de ce qui était encore une gare trente ans auparavant.
Le CES a déménagé depuis 1974, les salles de classe récentes ont été démolies. Ne reste que les bâtiments de stockage d'après-guerre.

1984

Pas de changement notable. La cité au nord-est des courts de tennis est toujours debout. On observe l'apparition de la cité Diderot, derrière le collège du même nom.

1994

Les courts semblent partir à l'abandon faute d'entretien, la cité pavillonnaire attenante a disparu, rasée, mais cinq maisons bordent désormais le côté ouest de l'avenue de Northeim. La piste de cross prend son aspect actuel (2023).

1997

L'état des terrains de tennis s'est encore détérioré, une nouvelle cité pavillonnaire est sortie de terre à la place de l'ancienne : il s'agit maintenant véritablement de la résidence Jules-Lemoigne. La piste cyclable est apparue à la place de la route d'accès à la résidence ; l'entrée se fait désormais par l'allée de la Périgouelle.

2000

Nous arrivons à la configuration actuelle des lieux (2023), sauf en ce qui concerne les courts, qui finissent de disparaître dans les années 2010 ...

Situation

Le tracé noir correspond au Tue-Vaques. On remarque que le fossile érodé du triangle de retournement reste encore visible !

Chargement de la carte...

Notes et références

  1. 1,0 et 1,1 « La gare anglaise des Flamands », Le Nouvelliste de Bretagne, 12 novembre 1922 (lire en ligne)..
  2. Modernisation de l’étoile ferroviaire de Saint-Pol-sur-Ternoise (lire en ligne).
  3. L'Ouest-Éclair, 18 octobre 1919.
  4. L'Ouest-Éclair, 27 août 1919. (lire en ligne).
  5. L'Usine, organe de l'industrie des Ardennes et du Nord-Est, 8 mai 1919.
  6. Dépositoire : Nom donné au lieu où l’on dépose les corps des morts, avant de les enterrer. Attention à ne pas lire « dépotoir » quand on lit trop vite…
  7. Le Journal de la Manche et de la Basse-Normandie, 23 octobre 1920. (lire en ligne).
  8. Le Vétéran : bulletin de la Société nationale de vétérans des armées de terre et de mer et des soldats de la Grande Guerre, n°4, avril 1921.
  9. Le Journal de la Manche et de la Basse-Normandie, 25 décembre 1920. On peut déduire cette information des dix-huit personnes licenciées suite au refus de la baisse de leur salaire.
  10. « Drame mortel entre Chinois », Le Journal de la Manche et de la Basse-Normandie, 14 mai 1921.
  11. 11,0 et 11,1 Le Journal de la Manche et de la Basse-Normandie, 3 juillet 1920. (lire en ligne)
  12. L'Ouest-Éclair, éd. de Caen, 23 novembre 1920.
  13. L'Ouest-Éclair, 25 mars 1924. (lire en ligne).
  14. L'Ouest-Éclair, 21 mars 1928. (lire en ligne).
  15. L'Ouest-Éclair, 12 mars 1931.
  16. Cherbourg-Éclair, 18 mars 1931.
  17. Témoignage personnel d'un ancien élève de 6eme en 1973/74 au collège Diderot.
  18. 18,0 et 18,1 IGN, « Remonter le temps » (lire en ligne). Cette impressionnante collection de plusieurs millions d'images est remarquable, mais d'un usage un peu déroutant. Il n'est malheureusement pas possible de créer des liens directs vers les images que nous avons analysées dans la suite de cette page.
  19. Le Journal de la Manche et de la Basse-Normandie, 26 avril 1911.
  20. Journal de la Manche et de la Basse-Normandie, 6 mai 1914 (lire en ligne)..
  21. 21,0 21,1 21,2 et 21,3 Marcel Corbet, Jean-Jacques Beauruel et Thierry Bonhomme, Souvenirs de Tourlaville, impr. Artistique Lecaux,Tourlaville, 1998.
  22. Témoignage de Laure Villot, recueilli via Facebook

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