Actions

Légende du raz-de-marée de 709

De Wikimanche

La légende du raz-de-marée de 709 est une légende du Moyen Âge liée à la Manche, en baie du Mont-Saint-Michel.

Ce récit est établi par l'abbé François Manet (1764-1844), selon lequel un cataclysme se serait produit en baie du Mont-Saint-Michel et en baie de Saint-Malo (aujourd'hui Ille-et-Vilaine) au mois de mars 709. Ce cataclysme, conjonction improbable d'une tempête, de grandes marées et d'un séisme, aurait provoqué en quelques heures l'inondation permanente de la baie du Mont Saint-Michel, auparavant occupée par plusieurs villages et forêts.

Des travaux ultérieurs ont complètement invalidé ce récit.

Origine

D'après François Manet, la baie du Mont-Saint-Michel et la baie de Saint-Malo, qui n'ont pas toujours été recouvertes par les eaux, l'auraient été à la suite d'un cataclysme [1]. Plusieurs facteurs — une tempête avec des vents de nord, additionnée à une marée d'équinoxe et à un tremblement de terre — auraient provoqué en une nuit un raz-de-marée recouvrant la forêt de Scissy.

L'abbé Manet ne s'appuie que sur les affirmations d'un moine ayant vécu au Moyen Âge et ne démontre rien scientifiquement. En fait, s'il est avéré aujourd'hui qu'il y a bien eu transgression marine [2], il a aussi été démontré qu'aucun cataclysme capable d'engloutir en une nuit forêts et villages ne s'est produit dans ce territoire.

Contredit par la science

Dès 1882, l'abbé Manet est scientifiquement contredit par Alexandre Chèvremont dans Les Mouvements du sol sur les côtes occidentales de la France dans le golfe normand-breton, travail récompensé par l'Académie des sciences. Au chapitre 22, l'auteur démonte les sources de l'abbé Manet et montre que s'il y a bien eu transgression marine, elle ne s'est faite que lentement et que l'étude des sols montre qu'il n'y a jamais eu de raz-de-marée [3].

Interprétations

D'après François Manet dans son ouvrage De l'état ancien et de l'état actuel de la baie du Mont-Saint-Michel et de Cancale, des marais de Dol et de Châteauneuf, les deux causes du prétendu cataclysme sont une grande marée et une tempête. Il écrit :

Ces premières dévastations, toutes funestes qu'elles furent, n'étaient rien en comparaison de celle qu'opéra la fatale marée de mars de l'an 709, l'une des plus considérables qu'on eût jamais vues, et qui, par malheur, fut soutenue d'un vent de nord des plus terribles.

Une autre cause, mise en avant par l'abbé Maurice Jacques Graindor dans son ouvrage Chronique de la sismicité de la Normandie, serait un séisme qui aurait frappé la baie du Mont-Saint-Michel.

Les phénomènes pouvant fonder ces hypothèses sont :

Une marée d'équinoxe

Selon le service hydrographique et océanographique de la marine, les marées les plus importantes du mois de mars 709 se sont déroulées le samedi . Le coefficient était de 114 pour des pleines mers à 8 h 20 et 20 h 44. C'est un coefficient très important.

On trouve aussi par ordre décroissant des marées en pleine mer :

  • vendredi à 20 h 03, coefficient 113 ;
  • vendredi à 7 h 37, coefficient 111 ;
  • dimanche à 9 h , coefficient 111.

Les autres coefficients en ce mois de mars 709 ne dépassaient pas 110.

Ces valeurs sont calculées dans le port de Saint-Malo par le service hydrographique et océanographique de la marine de Brest (Finistère).

Un tremblement de terre

D'après Maurice Cossmann (1850-1924), le séisme de mars 709 est le plus ancien dont nous ayons la certitude en Normandie. D'intensité inconnue, son épicentre serait situé près de Jersey et aurait concerné toute la baie du Mont-Saint-Michel, la presqu'île du Cotentin ainsi que les îles Anglo-Normandes. Il y a eu d'autres séismes importants mentionnés aussi par François Manet notamment en 1427 en Bretagne qui détruisit une partie de Nantes (Loire-Atlantique) et engloutit treize villages des environs de Dol-de-Bretagne (Ile-et-Vilaine).

Cependant, ces travaux datent du 19e siècle. Le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) ne référence aucun tsunami, ou faux tsunami, et tsunami douteux avant 1500 mais la dernière liste n’a pas vocation à recenser toutes les tempêtes historiques, fussent-elles très anciennes.

Une tempête

Rien ne permet d'affirmer qu'une tempête s'est déroulée en baie du Mont-Saint-Michel à cette date.

Dans la littérature

  • Paul Féval écrit :

    [ ...] Si vous descendez de nuit la dernière côte de la route de Saint-Malo à Dol, entre Saint-Benoît-des-Ondes et Cancale, pour peu qu'il y ait un léger voile de brume sur le sol plat du Marais, vous ne savez de quel côté de la digue est la grève, de quel côté la terre ferme. À droite et à gauche, c'est la même immensité morne et muette. Nul mouvement de terrain n'indique la campagne habitée ; vous diriez que la route court entre deux grandes mers. Où passe à présent le chemin, la mer roula ses flots rapides. Ce marais de Dol c'était une baie. Et, chose merveilleuse, car ce pays est tout plein de miracles, avant d'être une baie, c'était une forêt sauvage !

  • Victor Hugo fait référence à cet événement mythique dans sa préface de son ouvrage Les travailleurs de la mer :

    En 709, soixante ans avant l’avènement de Charlemagne, un coup de mer a détaché Jersey de la France. D’autres sommets des terres antérieurement submergées sont, comme Jersey, visibles. Ces pointes qui sortent de l’eau, sont des îles. C’est ce qu’on nomme l’archipel normand.

    C’est en 709, nous l’avons dit, que l’océan a arraché Jersey à la France. Douze paroisses furent englouties. Des familles actuellement vivantes en Normandie ont encore la seigneurie de ces paroisses ; leur droit divin est sous l’eau ; cela arrive aux droits divins.

Bibliographie

  • Robert Bertrand, Une forêt en baie du Mont-Saint-Michel, enquête sur une légende, 1999
  • Charles Cunat, Histoire de Saint-Malo, 1851
  • Jules de Geslin de Bourgogne, Mouvements de la mer, 1872
  • Abbé Maurice Jacques Graindor, Chronique de la sismicité de la Normandie, 1973
  • André Laisné, Étude sur l'ancien état de la baie du Mont-Saint-Michel, d'après les manuscrits de l'abbaye de ce nom, 1866
  • François Manet, De l'état actuel et ancien des environs de Saint Malo, 1829
  • François Manet, Histoire de la Petite Bretagne ou Bretagne armorique, éditions E. Caruel, 1834 (lire en ligne)
  • François Manet, Histoire de la Petite Bretagne ou Bretagne armorique, éditions E. Caruel, (lire en ligne)
  • Léopold Quenault, Invasions de la mer sur les côtes du Cotentin, 1863
  • Alexandre Chèvremont, Les Mouvements du sol sur les côtes occidentales de la France et particulièrement dans le golfe normanno-breton, Paris, Ernest Leroux Éditeur, , 479 p. (lire en ligne).

Notes et références

  1. François Manet 1834, p. 144.
  2. En géologie, une transgression marine est l'envahissement durable de zones littorales par la mer, dû à un affaissement des terres émergées ou à une élévation générale du niveau des mers.
  3. Alexandre Chèvremont 1882, p. 342.

Liens externes

  • « Sismicité du Cotentin et de la Basse-Normandie », cossmannia.fr, site internet (voir en ligne) (consulté le )