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Eugène Boudou

De Wikimanche

Affiche publicitaire pour le spectacle d'Eugène Boudou aux Folies-Rambuteau en mars 1884.

Eugène Frédéric Désiré Boudou, né à Tourlaville le 16 janvier 1859 et mort à Paris le 19 novembre 1894, dans le Xe arrondissement, est un Manchois présenté comme phénomène de foire sous le surnom d'« homme à la tête de veau », d'« homme à la tête de cochon » ou encore d'« homme à la tête d'âne » [1]. Il se donne en spectacle aux quatre coins de la France dans les années 1880. Le Progrès libéral estimait en septembre 1884 qu'il était l'un des cinq seuls « phénomènes » originaires de France [2]. Il fut pendant un an (1884-1885) presque aussi célèbre qu'Émile Zola lui-même [3].

Biographie

Eugène Boudou naît au hameau Penême [4] et est baptisé le lendemain. Son père Frédéric (1829-1859), boucher, fils de boucher et natif d'Équeurdreville, visiblement déjà malade à sa naissance, mourra un mois après celle-ci, le 14 février au hameau Saumarais [5]. Sa mère Léontine (1827-?) est ménagère. Deux mois avant la venue au monde de son enfant, cette dernière aurait été aspergée au niveau du visage du sang d'un veau qu'elle [6][7] ou son mari (selon les versions) s'occupait à égorger, et se serait évanouie. L'émotion aurait été telle qu'elle aurait eu des conséquences dans la formation de son fils dans son ventre, expliquant ainsi la déformation de sa tête [8]. Jean de Nivelle écrit qu'à partir de son nez, « la figure se prolongeait en mufle, et la bouche se trouvait à l'extrémité de ce prolongement de chair rougeâtre qui donnait à la physionomie une apparence en même temps bizarre et attristée » [8]. Le défaut physique de M. Boudou touche seulement sa tête, son corps, « très bien constitué » [9], étant « ordinaire et sans infirmités » [8]. D'après un médecin, Eugène Boudou est en réalité victime d'un « naevus vasculaire hypertrophique. [Ses] deux lèvres ont été triplées en longueur et en épaisseur par la dilatation des vaisseaux et des tissus. [Son] nez est coupé court, [ses] yeux sont enfoncés, [son] menton a disparu presque complètement, envahi par l'augmentation de volume des lèvres » [10]. Cette maladie de peau, accompagnée d'envies ou taches de vin [11], est certainement héréditaire [10]. À Paris, Eugène Boudou décrira sa situation par ces vers :

« Mesdam's et toute la compagnie,
Je vous souhaite le bonsoir;
J'arrive de la Normandie à Paris pour me faire voir.
C'est moi l'étonnant phénomène,
Le héros de cette semaine;
On parl' de moi dans les journaux,
J'suis l'jeune homme à la tête de veau !
En position intéressante,
Figurez-vous que ma maman
Fut pris' d'une envie dévorante
De têt' de veau subitement.
De là ma ressemblance parfaite
Avec la ruminante bête
Dont on fabriq' le fricandeau ...
Plaignez l'homme à la têt' de veau !
Près des dames j'n'ai que des déboires;
Quand je veux leur parler d'amour,
Elles m'envoient à la balançoire;
Près d'la beauté j'fais toujours four.
Ce que j'obtiens comme une grâce,
C'est de temps en temps quand elle passe
Sa petit' main sur mon museau ...
Plaignez l'homme à la têt' de veau ! »
[12]

En effet, très jeune, Eugène Boudou est victime de moqueries et d'exclusion [9]. « Les femmes grosses avaient bien soin de l'éviter » [8], il était « conspué partout, ridiculisé partout, aussi bien à l'école qu'à l'atelier [et il] n'apprit ni à lire ni à écrire, [n'ayant] jamais trouvé d'autre besogne que celle de servir les maçons » [8], pour lesquels il travaillait encore à Tourlaville en février 1884 [6]. Il travaille aussi comme « terrassier, employé aux travaux du port militaire de Cherbourg » [13].

« On dirait du veau ! »

Recruté par un ouvrier du port « croyant voir en ce phénomène une source de grosses recettes » [14], il part pour Paris, où il arrive au début du mois de mars 1884 dans le but de gagner sa vie grâce à sa difformité. Il se présente dans les bureaux de nombreux journaux parisiens, à commencer par Le Gaulois le 4 mars, qui lui offre « une voiture au mois pour faire son persil » [15]. « Sous de tels auspices, il a facilement pénétré dans le monde où l'on s'amuse, depuis les salons politiques jusqu'aux cabarets de nuit, partout choyé et fêté comme l'homme de la situation ; le conseil municipal lui a offert de rajeunir à son profit la promenade du bœuf gras, avec l'autorisation du ministre de l'intérieur, et, naturellement, il n'a eu qu'à décliner ses noms et qualités pour être admirablement reçu à la place Beauvau » [15]. « Doué d'une jolie voix » [8], il commence à se produire aux Folies-Rambuteau comme « artiste chanteur et siffleur » le 20 mars 1884 [16]. Des milliers d'affiches à son effigie avaient été collées dans tout Paris pour faire sa publicité [17], et lorsqu'il paraît enfin, en habit noir [18], sur la scène du café-concert, des spectateurs s'écrient : « C'est vrai, tout de même, on dirait un veau ! ». Ainsi serait née l'expression « on dirait du veau ! », que beaucoup relient en effet à Boudou, tel le philologue Roger Alexandre [19] ou le rédacteur en chef du Voltaire, qui l'avait rencontré [20]. Présenté au public de la Scala à la fin du mois de mars [21], Eugène Boudou s'engage ensuite pour le mois d'avril au Palais de Cristal [22]. Il est attendu peu après à Marseille [23]. Il aurait été engagé par une dépêche de Phineas Barnum à la fin du mois de juin [24] mais il revient à Cherbourg, puisqu'il y est arrêté le 19 août pour « outrage et rébellion envers la police » [25]. La police lyonnaise constitue aussi un dossier sur lui, alors qu'il se trouve sur les planches du Casino des Arts [26]. Il se produit depuis quelques jours à Saint-Étienne (Loire), lorsque le 2 octobre, alcoolisé, il se jette du premier étage de l'établissement de spectacle où il officie, occasionnant plusieurs lésions internes et l'apparition d'une péritonite qui nécessitent son transfert d'urgence à l'hôpital [11]. On le croit mort, mais on annonce sa venue à l'Alcazar de Dijon pour le 15 octobre [27] et il revient à Paris, où il fait de son propre aveu « des affaires d'or » [28]. En 1885, on le retrouve aux Folies-Bergères à Bordeaux (Gironde), où il attire beaucoup de monde [29]. En juin 1885, il est engagé pour l'hiver au théâtre de l'Odéon [30], mais on le trouve aussi place de la République, « en face de la caserne » [31] et non loin de son domicile du quai de Valmy.

Il est exhibé dans de nombreuses fêtes foraines [1], tant à Paris (foire du Trône en 1884-1885, foire de Neuilly, Montrouge en 1888) [17] qu'en province (Lille en 1885 [32], Barbézieux (Charente) en 1889 [33], Bordeaux en 1890 [29]). Il finit par prendre la fuite avec l'épouse de son barnum cherbourgeois, dont il était l'amant depuis longtemps.

Le 27 octobre 1894, un journal rapporte qu'il a été relevé « complètement ivre » par des policiers sur la place de l'Église, à Pantin (Seine-Saint-Denis) et que « plus de trois cents personnes poussant des cris d'animaux » l'ont accompagné au poste [34][1]. Il est inhumé dans cette ville un mois plus tard, le 21 novembre [35], « noyé dans l'oubli comme les autres » [17], sans qu'aucun journal ne l'apprenne, bien que L'Indépendant des Basses-Pyrénées du 15 novembre 1894 le tienne déjà pour mort à cette date [36].

Postérité

  • Paul Arène surnomme Albert Wolff « homme à la tête de Wolf » en son souvenir [37].
  • Raoul Ponchon le fait intervenir dans ses vers (Rosa-Josepha) dans Le Journal en 1910 [38].

Notes et références

  1. 1,0 1,1 et 1,2 Le Petit moniteur universel, 27 octobre 1894.
  2. Le Progrès libéral, 25 septembre 1884.
  3. Les Silhouettes parisiennes, 1er mai 1885.
  4. Orthographe relevée dans l'acte de l'état civil, on écrit « Penesme » aujourd'hui.
  5. Orthographe relevée dans l'acte.
  6. 6,0 et 6,1 Le Petit Provençal, 5 mars 1884.
  7. Le Petit Caporal, 1er juillet 1888.
  8. 8,0 8,1 8,2 8,3 8,4 et 8,5 Jean de Nivelle, « L'homme à tête de veau », Le Soleil, 5 mars 1884.
  9. 9,0 et 9,1 La Lanterne, 5 mars 1884.
  10. 10,0 et 10,1 « Causerie du docteur : les phénomènes vivants », Paris, 23 avril 1884.
  11. 11,0 et 11,1 Mémorial de la Loire et de la Haute-Loire, 4 octobre 1884.
  12. L'Illustration théâtrale, 14 avril 1885.
  13. La Nation, 7 janvier 1889.
  14. L'union libérale, 9 novembre 1891.
  15. 15,0 et 15,1 Gil Blas, 7 mars 1884.
  16. Le Gaulois, 20 mars 1884.
  17. 17,0 17,1 et 17,2 Le Phare de la Loire, 4 février 1904.
  18. Jules Claretie, La vie à Paris : 1880-1885. Année 5, 1886.
  19. Les Annales politiques et littéraires, 19 février 1901.
  20. La Petite Gironde, 16 octobre 1913.
  21. Le Clairon, 26 mars 1884.
  22. Le Petit Provençal, 28 avril 1884.
  23. Le Petit Provençal, 21 avril 1884.
  24. L'écho de Paris, 12 juillet 1884.
  25. La Lanterne, 24 août 1884.
  26. Bernard Chouvier, René Roussillon, Corps, acte et symbolisation : Psychanalyse aux frontières, éd. De Boeck Supérieur, 2008.
  27. Le Progrès de la Côte-d'Or, 12 octobre 1884.
  28. La Justice, 6 avril 1885.
  29. 29,0 et 29,1 « La foire », La France de Bordeaux et du Sud-Ouest, 22 octobre 1890.
  30. Le Progrès artistique, 26 juin 1885.
  31. Revue comique normande, 10 octobre 1885.
  32. Le Progrès du Nord, 3 septembre 1885.
  33. L'Opinion des Charentes, 20 avril 1889.
  34. La Lanterne, 26 octobre 1894.
  35. Registres journaliers d'inhumation de Pantin, 1894 (voir en ligne).
  36. L'Indépendant des Basses-Pyrénées, 15 novembre 1894.
  37. A. Willette, Feu Pierrot : 1857-19?, 1919.
  38. Le Journal, 5 septembre 1910.