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Alexis de Tocqueville, député de la Manche

De Wikimanche

Alexis de Tocqueville.

Alexis de Tocqueville, député de la Manche

Alexis de Tocqueville (1805-1859) est député de la Manche, représentant la circonscription de Valognes, pendant douze ans, de mars 1839 à décembre 1851, soit cinq législatures. Il est réélu quatre fois (1842, 1846, 1848, 1849). Il siège pendant la monarchie de Juillet et la IIe République, d'abord comme indépendant, puis au centre-droit et enfin à droite.

Contexte

Alexis de Tocqueville a 33 ans lorsqu'il fait son entrée au Palais-Bourbon. Il jouit déjà d'une grande notoriété dans les milieux politiques et intellectuels grâce notamment grâce à son essai De la démocratie en Amérique, dont le premier tome a été publié quatre ans plus tôt. Il siège depuis un an à l'Académie des sciences morales et politiques. On lui prête une grande hauteur de vue et une indépendance d'esprit hors pair.

Historique

Alexis de Tocqueville fait une première tentative pour devenir député le 4 novembre 1837 dans le 4e collège de la Manche : il est battu par Jules-Polydore Le Marois, député sortant, par 245 voix à 200.

Sa deuxième tentative, le 2 mars 1839, lors d'élections anticipées, est la bonne. Cette fois, il triomphe de Le Marois par 317 voix contre 241 sur 560 votants et 649 inscrits, soit avec 56,61 % des suffrages. Il siège pendant la monarchie de Juillet aux ordres de Louis-Philippe Ier. Il est réélu le 9 juillet 1842, toujours contre Le Marois, par 465 voix contre 177 pour 640 votants et 741 inscrits, soit 72,66 % des suffrages. Puis de nouveau le 1er août 1846, encore contre Le Marois par 409 voix contre 70 pour 495 votants et 770 inscrits, soit 82,63 % des suffrages. Il siège comme indépendant pendant les Ve, VI{{e}) et VIIe législatures. À la tribune et dans les commissions, où il se montre actif, il défend des positions modérées qui le placent en marge du tumulte du moment. Il combat l'esclavage, réclame une réforme des prisons, défend les idées libre-échangistes et s'indigne contre les méthodes de la colonisation, notamment en Algérie. Il reconnaît avoir du mal à se positionner politiquement, au point de paraître isolé. « Je n'ai pas de traditions, je n'ai pas de parti, je n'ai point de cause, si ce n'est celle de la liberté et de la dignité humaine », dit-il. En 1841, il précise sa pensée : « J’ai pour les institutions démocratiques un goût de tête, mais je suis aristocratique par l’instinct, c’est-à-dire que je méprise et crains la foule. J’aime avec passion la liberté, la légalité, le respect des droits, mais non la démocratie [1]. Voilà le fond de l’âme. Je hais la démagogie, l’action désordonnée des masses et leur intervention violente et mal éclairée dans les affaires, les passions envieuses des basses classes, les tendances irréligieuses. Voilà le fond de l’âme. Je ne suis ni du parti révolutionnaire, ni du parti conservateur. Mais, cependant et après tout, je tiens plus au second qu’au premier. Car je diffère du second plutôt par les moyens que par la fin. La liberté est la première des mes passions. Voilà ce qui est vrai » [2].

La commission chargée de rédiger la Constitution. Tocqueville est en bas à gauche.

En 1844, il tente, avec quelques amis, de reprendre le quotidien Le Commerce, pour tenter de promouvoir leurs idées. Le coup échoue. En 1846, avec deux autres députés, Alphonse Billault et Jules Dufaure, il fonde la Jeune gauche, avec l'objectif de moderniser la vie politique française en même temps que le pays. Ce nouveau groupe va jusqu'à compter 27 députés (sur 459) en 1847.

Le 27 janvier 1848, il prononce à la Chambre des députés un discours prophétique dans lequel il s'inquiète de la colère qui monte dans le pays.

Le soulèvement populaire du début de l'année 1848, qu'il n'approuve pas, lui donne raison. Mais il met fin aussi à son espoir de voir s'ouvrir une « troisième voie ». « Ce n'est pas une émeute, note-t-il, c'est la plus terrible de toutes les guerres civiles, la guerre de classe à classe, de ceux qui n'ont rien contre ceux qui ont » [3]. Lorsque Louis-Philippe abdique et que la monarchie de Juillet cède la place à la IIe République le 24 février, il se rallie à cette dernière, qu'il déclare vouloir soutenir de « toutes ses forces » contre les assauts des extrémistes.

Des élections législatives sont organisées le 23 avril 1848 suivant. Alexis de Tocqueville se présente dans « sa » circonscription créée autour de Valognes, « centre naturel de mon influence » [4]. Il est envoyé à l'Assemblée constituante en troisième position avec 110 764 voix sur 120 000 votants [5], soit 92,30 % des suffrages. Léonor-Joseph Havin et Narcisse Vieillard le précèdent. C'est la première élection au suffrage universel masculin. Il siège cette fois au centre-droit avec le parti de l'Ordre. Durant les journées sanglantes de juin, il parcourt les rues de la capitale ceint de son écharpe tricolore pour défendre la République contre les insurgés. En décembre, lors de l'élection organisée pour désigner le président de la République, il soutient le général Cavaignac, qui a dirigé la répression, contre la candidature de Louis Napoléon Bonaparte, qui est finalement élu [2].

En mai 1848, il fait partie des dix-huit membres de la commission chargée de rédiger la Constitution. Il est l'un des six députés élus au premier tour de scrutin, en quatrième position avec 490 voix [6].

Tocqueville se montre toujours très actif au Palais-Bourbon, défendant les libertés du culte, de l'enseignement, de la presse, le bicamérisme, l'indépendance de la justice, la décentralisation et l'élection du président de la République par le peuple. Il n'en oublie pas pour autant sa circonscription de Valognes. Il y fait de nombreux séjours dans son château de Tocqueville et entretient des relations suivies avec les maires et les gens de cette terre qu'il aime profondément. Quand il n'est pas là, son ami Paul Clamorgan le représente.

Le 13 mai 1849, il est de nouveau réélu pour un cinquième et dernier mandat. Cette fois, il se classe premier des treize candidats en lice, avec 82 404 voix sur 94 481 votants et 163 192 inscrits, soit 87,22 % des suffrages. Il est élu vice-président de l'Assemblée législative. Il se rallie à la droite, mais sans s'y inféoder, combattant à la fois le conservatisme et l'aventurisme révolutionnaire. Le 3 juin, il est nommé ministre des Affaires étrangères dans le deuxième gouvernement d'Odilon Barrot, et donc de Napoléon III, qu'il a pourtant ardemment combattu l'année précédente. Il n'occupe la fonction que cinq mois, jusqu'au 31 octobre, mais il s'y montre habile, apaisant plusieurs conflits et ferme tout à la fois en faisant intervenir les troupes françaises à Rome pour défendre le pape contre les nationalistes italiens. Entre-temps, le 6 août, il a été élu président du Conseil général de la Manche au second tour par 24 voix sur 44 votants.

Redevenu député, il est des 220 parlementaires qui se réunissent à Paris à la mairie du Xe arrondissement et votent la déchéance du président de la République. Il est brièvement incarcéré à la prison du château de Vincennes.

Le coup d'État du 2 décembre 1851 met fin à ses fonctions de député, après douze ans et dix mois d'activité. Il quitte la vie politique et se retire dans son château de Tocqueville et commence à rédiger L'Ancien régime et la Révolution. Raymond Aron remarque : « Il avait eu l'ambition d'une grande carrière politique et il se résigna finalement à n'être qu'un écrivain » [7].

Notes et références

  1. Il dit craindre une dérive vers une dictature de la majorité au nom de l'égalité.
  2. 2,0 et 2,1 « Charles Alexis Henri Clérel de Tocqueville », éd. Larousse (lire en ligne)
  3. Lettre à Paul Clamorgan datée du 24 juin 1848.
  4. Alexis de Tocqueville, « Ma candidature dans le département de la Manche », Tocqueville : lettres choisies-Souvenirs, éd. Gallimard, coll. Quartot, 2003, p. 619.
  5. Alexis de Tocqueville, Souvenirs, éd. Gallimard, coll. Folio, 1978, p. 159.
  6. Le Moniteur, 18 mai 1848.
  7. Raymond Aron, « Idées politiques de Tocqueville », Revue française de sciences politiques, n° 3, 1960 (lire en ligne).

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