Actions

Ligne Joret

De Wikimanche

La ligne Joret est le nom donné à un faisceau de trois isoglosses caractéristiques de la zone normano-picarde à laquelle appartient la majeure partie du territoire de la Manche.

Définition

La ligne Joret est ainsi appelée du nom du dialectologue Charles Joret (1829-1914) qui l’a mise le premier en évidence au 19e siècle [1]. À proprement parler, ce nom s'applique plus particulièrement à la première isoglosse mentionnée ci-dessous (traitements de c et g + a), mais on l'étend dans l'usage courant à l'ensemble des trois. Ce faisceau matérialise sur la carte l'extension des caractéristiques phonétiques issues de l'évolution particulière (ou de l'absence d'évolution) de certains sons gallo-romans (et germaniques assimilés), entre le cinquième et le septième siècle de notre ère.

Caractéristique du faisceau

La ligne Joret proprement dite

Dans la Manche, cette isoglosse s'étend en gros de Granville à Villedieu-les-Poêles), puis poursuit sa route dans le Calvados à travers le bocage virois. Elle correspond à la limite théorique du traitement normano-picard de [k] et [g] latins devant la voyelle [a], qui affecte la zone située au nord de la ligne. Dans cette zone, ces deux consonnes n'ont pas connu d'évolution, alors qu'elles ont subi une palatalisation au sud (domaine français).

  • [k] (noté c en latin) en position forte [2] devant la voyelle [a] > normano-picard [k] noté k, c, qu, cqu = français [ʃ] noté ch : CATTU (latin cattus) > (ancien) normand cat, français chat; CANE (latin canis) > ancien normand kien, normand de la Manche quien, tchien [3], français chien; VACCA > ancien normand vake, vaque, normand vaque, français vache, etc.
  • [g] en position forte [2] devant [a] > normano-picard [g] noté g(u) = français [ʒ], noté j, g(e) : GAMBA > normand gambe, français jambe; °GARBA (mot emprunté au francique) > normand guerbe, français gerbe, etc.

Deuxième isoglosse

La deuxième isoglosse est étroitement apparentée à la première. Elle définit ce que l'on appelle parfois la « zone de chuintement », où l'on entend [ʃ], ch, là où le français à [s]. Dans la Manche, elle par des environs de Montmartin-sur-Mer et se prolonge vers l'est pour passer au sud de Tessy-sur-Vire, puis va rejoindre la première à Pont-d'Ouilly (Calvados), avec laquelle elle se confond plus à l'est.

  • [k] en position forte [2] devant [e], [i] et [j], ou [t] devant [j] > normano-picard [ʃ] noté ch = français [s] noté c(e), c(i)), ç, s, ss : CINQUE (latin quinque) > normand chinc, français cinq; °CAPTIA > normand cache, français chasse; °BACCINU (mot probablement d'origine gauloise) > normand bachin « bassin; petite poêle », français bassin, etc.

Troisième isoglosse

La troisième isoglosse concerne le traitement normano-picard de [w] germanique, qui devient [v] dans cette zone. Elle part comme la précédente des environs de Montmartin-sur-Mer, mais se dirige vers le sud pour rejoindre Villedieu-les-Poêles, traverse la ligne Joret proprement dite près de Saint-Sever (Calvados) et pénètre le territoire de l'Orne pour en ressortir et passer la Pont-d'Ouilly, puis suivre plus ou moins le tracé des deux précédentes.

  • germanique [w] (et latin assimilé, noté v) > normano-picard [v] = français [g], noté g(u) : > WADU (latin vadum) > normand vey, français gué; WASTU « inculte » (mot latin influencé par le francique) > toponyme normand le Vast, français le Gast, etc.
La Normandie traversée par les trois isoglosses normano-picardes

──  : limite du traitement de [k] + [a] latin > [k], noté c-, qu- (au nord) et [ʃ], noté ch- (au sud).

........ : limite du traitement de [k] + [e], [i], [j] latins > [ʃ], noté ch- (au nord) et [s], noté c(e)-, c(i)-, s- (au sud).

- - - - : limite du traitement de [w] germanique > [v] (au nord) et [g], noté g(u)- (au sud).

Notes et références

  1. Charles Joret, Des caractères et de l'extension du Patois Normand, Bulletin de la Société des antiquaires de Normandie XII, 1884.
  2. 2,0 2,1 et 2,2 C'est-à-dire à l'initiale d'un mot ou après consonne.
  3. Cette dernière forme en [ʧ-], notée tch-, est le résultat d'une palatalisation tardive devant une voyelle d'avant dans l'ouest de la Normandie.