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Poumyis fieuris

De Wikimanche

Pour savourer le patois normand, point besoin d'être né au pays des « poumîs ».
Comme l'écrit Léon Deries en 1908 en préface l'ouvrage de Charles Le Boulanger, Çiz nous (poésies en patois du Coutançais)  :
« De la Haye-du-Puits, de la Hague ou d'ailleurs, sous ses formes variées, le patois normand n'est pas une langue à part (...) ce n'est qu'un français rustique déformé par des bouches paysannes, un français naïf dont toute la grâce est dans sa naïveté même pour les oreilles habituées (...) Il est avant tout un souvenir légué par les anciennes générations aux nouvelles générations des champs. »

Lorsque se mêlent les sentiments, les poèmes et chansons normandes en patois ont un charme véritablement prenant.
C'est précisément le cas de ces poèmes normands de Charles Le Boulanger, disciple de Louis Beuve.

Poumyis Fieuris.

Asteu, quasiment tous nous poumyis sont fieuris,
T'nais, guettez-les dréchi leus jolies têtes bianches...
Ne font-y pas penser aux filles du pays,
En bounets des dimanches ?

D'les veis ça fait piaisi ; mais c'qu'nou craint surtout
Avant qu'les poumm's seint nouées, c'est qu'arrive un orage
Dont le maôdit équiai vyidrai nous brûlai tout...
ça s'rait-y pei doumage !

Ah si nous a la chanc' que le temps dounn' à pien,
Seur'ment qu'ou n'vaodront pas pus d'quinz'sous la bertée...
Et le dimanche au sei les siains qu'ont mauvais vin
Se v'lop'ront dû c't'année.

D'vant trois meis y faôdra sous tous de bouans appias,
Car sous la lourde cherg' pourraient craqui les branques,...
Et nou caôse partout de cercllyi les tounias
Ded'pous qu'la futaille manque !

Et si vous arvenais vers la Toussaint çîz nous
Vous verrez jusqu'au s'llhyi querrier dans les grand's cannes
Le bère que pour hallei là-bas, au grand prinsous,
Le pus hardi enhanne !

Coume yen èra partout, nou n'éra pas besouan
De fair' pour la beisson boui tout' nos fülles de doques,
ça s'ra du sang normand, pur au coeu, buan au pouang.
Qu'nou beira dans les moques !

Oh dam' jen f'rons du bouan, car, pour la communion
(Not' petite Azelma deit la faire c't'année !)
J'en voulons quiqu' butell' pour fair' saôter l'bouchon
Eun'partie d'l'arlévée !

Traduction

Pommiers fleuris

En ce moment, nos pommiers sont quasi tous fleuris,
Tenez, regardez-les montrer leurs jolies têtes blanches...
Ne font-ils pas penser aux filles du pays,
En bonnets du dimanche ?

Cela fait plaisir de les voir, mais ce que nous craignons surtout
C'est qu'un orage éclate avant que les pommes soient accrochées
Et que le maudit éclair viendrait tout nous brûler...
Ce serait bien dommage !

Si l'on a la chance que le temps soit ensoleillé,
Elles ne vaudront pas sûrement plus de quinze sous la barretée
Et le dimanche soir, ceux qui ont le vin mauvais
Se bagarreront plus durement cette année.

Avant trois mois, il faudra surtout de bons étais
Car les branches pourraient craquer sous la lourde charge,
Et on parle partout de cercler les tonneaux
De peur que les fûts ne manquent !

Et si vous revenez chez nous vers la Toussaint
Vous verrez charrier dans des grands bidons, jusqu'au cellier,
Le cidre que, pour tirer là-bas au grand pressoir,
Le plus robuste des hommes se donne beaucoup de peine !

Comme il y en aura partout, on n'aura pas besoin
De faire bouillir toutes nos feuilles de doche[1] pour faire de la boisson,
Ce sera du sang normand, pur au cœur, bien au poing,
Qu'on boira dans les tasses!

Oh, dame! nous en ferons du bon, car pour la communion
(Notre petite Azelma doit la faire cette année)
Nous en voulons quelques bouteilles pour faire sauter le bouchon une partie de l'après-midi !

Notes et références

  1. Doche : rumex