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Discussion:Spécialités boulangères dans la Manche

De Wikimanche


On convient d'appeler pain de campagne celui qui est fait avec du levain (pâte crue conservée de la fournée précédente). Le pain actuellement vendu dans les boulangeries est du pain à la levure ; il était connu dans la période de l'entre-deux-guerres sous le nom de pan d'acat, " pain acheté ". Chez les gens dépourvus de four fonctionnait un système d'échange selon lequel on portait de la farine au boulanger, et celui-ci fournissait en échange une certaine quantité de pain ; comme on peut le deviner, ce système donnait lieu à de sévères discussions sur la " marge " du boulanger. Ce système a disparu une dizaine d'années après la guerre, de même qu'ont disparu, vers 1930, les derniers exemples d'échange entre le meunier et le paysan : le meunier venait prendre le grain et ramenait une quantité un peu moindre de farine ; il se payait ainsi en nature.

LE PAIN

La fabrication du pain de campagne No bouolaunge, selon les familles, toutes les semaines, ou tous les dix à douze jours. La périodicité et la quantité de pain fabriqué sont évidemment fonction du nombre de bouches à nourrir.

De la fabrication précédente, on a gardé environ 500 g de pâte qu'on a conservée dans un guichoun ; ce sera le levain de la nouvelle fournée. On prend toujours un grand soin de ne pas être démuni de levain ; en cas de besoin, un voisin en prêterait, mais on s'ef- force que cela ne se produise pas. Ce levain, qui a été enfermé dans le pétrin (la maie dans le sud ou le pétri dans la région de Saint-Lô) depuis la dernière corvée, est repris et mélangé avec le double de sa quantité de farine et de l'eau. Le but est de produire un levain plus abondant et plus actif. Ce nou- veau levain peut être laissé une nuit dans une atmosphère tiède, pour bien se développer.

Le lendemain, le levain est mélangé à la farine, avec du sel. Ce travail de brassage se fait à la main, et il est fatigant lorsque les quantités sont importantes : on travaille de 30 à 50 kg de farine, mélangés avec 12 à 15 litres d'eau. Lorsque la pâte est bien brassée, on la laisse reposer environ deux heures, en recouvrant le pétrin d'une couverture, surtout en hiver : le froid empêche le levain de faire monter la pâte et le pétrin, en règle générale, se trouve dans la bouolaungerie, petit bâtiment à l'écart de la maison principale. La pâte est ensuite découpée, façonnée en forme de pain et mise dans des paniers allongés, en vannerie, garnis de torchons saupoudrés de farine pour éviter que la pâte ne s'y attache. Ces paniers (des binots au sud et des bingots au nord de la ligne Joret), sont posés sur le couvercle du pétri et recouverts d'un linge ou d'une couverture.


La pâte lève bien quand on allume fer le four, et que l'atmosphère dela boulangerie se réchauffe. Si c'est nécessaire, on peut apporter les bingots dans la cuisine de la maison dans une atmosphère plus tiède. Pendant ce temps, le four est chauffé et les pains, ayant levé une heure ou deux dans les bingots, reçoivent, sur le dos, quelques incisions obliques au couteau. Ils sont ensuite enfournés à l'aide d'une pelle de bois plate. On introduit aussi dans le four la gâche et, éventuellement, les bourdelots ; ces deux dernières préparations seront détaillées plus loin. On ferme le four avec une porte de bois ou de fer, ou parfois une grosse pierre de la dimension voulue, et on achève de rendre cette fermeture étanche avec de l'argile.

Le pain cuit ainsi environ deux heures, au bout desquelles on ouvre le four pour en sortir les tourtes, " pain de 12 livres ", ou les demi-tourtes, " pain de 6 livres ". Certains prennent la précaution de badigeonner le pain d'un peu de cidre ou d'eau avant de l'enfourner, pour lui donner une belle couleur dorée ; d'autres le font à la sortie du four, avec une brosse et un peu d'eau ; certains encore le font avant et après la cuisson.

Il 'faut préciser que les particuliers qui n'ont pas de four peuvent porter leur pain à cuire au four du boulanger. Le pain brie C'est un pain dont la pâte est plus serrée que celle du pain ordinaire. Sa préparation est la même, mais la pâte, lorsqu'elle est levée, est pressée dans eune brie qui en expulse les poches d'air. Il y a plusieurs types de bries, le plus courant étant constitué d'un récipient en fonte demi-sphérique, d'environ 50 cm de diamètre, sur le bord duquel est articulé un levier portant une épaisse lame semi-circulaire qui pénètre dans le récipient et aplatit la pâte.

Ce pain se conserve très bien, et est un produit de consommation courante dans le Bessin. Un témoin ayant vécu son enfance près de Balleroy dit n'avoir mangé de pain fantaisie qu'exceptionnellement, par exemple le dimanche avec un peu de chocolat ; le pain brie est celui de tous les jours. Les qualités de bonne conservation du pain brie le font largement apprécier, des pêcheurs de Grandcamp par exemple, quand ils partent plusieurs jours en mer. Il se fait, lui aussi, par tourtes, " 12 livres ", et demi- tourtes, " 6 livres ". II est remarquable que, dès qu'on atteint le Saint- Lois, le pain brie devienne un produit nettement plus rare. Le boulanger du Mesnil-Raoult en faisait un peu chaque jour, à l'aide d.' eune brie ou en pliant et serrant la pâte à la main. '"

Le pain à soupe C'est un pain fabriqué exclusivement par le boulanger. et dont la destination unique est d'être mis à tremper dans la soupe. C'est du pain recuit, qui peut être fait avec du pain invendu, ouvert en deux, vidé de sa mie et repassé au four. Mais c'est le plus souvent un petit pain fabriqué spécialement, de forme ronde, ovale ou longue. Il est fait de la même pâte que le pain ordinaire, mais il reçoit une forme caractéristique qui, avec la couleur brun-noir de sa croûte, le désigne immédiatement à l'oil. Ce pain très sec est cassé en morceaux dans les guichoutls où l'on verse la soupe à la graisse. Il peut aller aussi avec le bouillon de bœuf, bien que ce soit plus rare.

Pain plié, pain à la tôle, et pain à l'eau de mer La partie péninsulaire de la Manche, et singulièrement la région de Cherbourg, connaissent quelques originalités en matière de pain.

Le pain plié est un pain de campagne ordinaire, de forme sensiblement ovale, replié sur lui-même avant d'être enfourné. Il s'ensuit, lorsque le pain est cuit, qu'il se présente sous la forme de deux miches formant à peu près un angle droit. Ce pliage a pour conséquence de serrer davantage la pâte qui, sans aller jusqu'à la densité du pain brie, est moins aérée que celle du pain de campagne ordinaire. Il est vraisemblable également que c'est ce pain plié que l'on appelle dans la région de Cherbourg " le pain Napoléon ".


Consommation du pain

Déjà en déclin dans la période étudiée, la consommation du pain était encore importante. Tout chiffre mesurant la consommation moyenne de pain ne peut être qu'approximatif, mais on peut penser, d'après les divers témoignages recueillis, que la consommation minimale par personne et par semaine était de 10 livres. Composante importante de l'alimentation quotidienne, le pain conserve sa valeur traditionnelle de nourriture respectée. Il est impensable de le gaspiller ou d'en jeter des morceaux, non plus que de le tailler de façon désordonnée. Les enfants apprennent tôt à n'en prendre que la quantité qu'ils peuvent manger, et à ne pas faire de restes. Avant d'entamer le pain, le maître de maison y trace une croix avec la pointe de son couteau, en rappel de la valeur sacrée de cet aliment. Par ailleurs - est-ce un symbole d'ordre et de stabilité ? - le pain doit toujours être posé sur sa partie plate, et jamais sur le dos.

Le croûton par lequel on commence le pain est l'étamilloun ; son attribution peut donner lieu à une compétition amusée entre les enfants de la maison. Le pain entamé, le cauntaé, est placé sur l'ais à pan, " planche à pain ", suspendu sous le plancher; il y est à l'abri des animaux de la maison et des rongeurs. Le pain de fabrication domestique est apprécié ; c'est ce qu'illustre l'histoire rimée de Georges Girard, Eun cauntaé byin dréchi, où l'on voit deux personnages si bien tailler et retailler un pain pour en faire disparaître les " escaliers ", qu'il n'en reste bientôt plus ! (voir à la fin du chapitre).

Le pain perdu

Cette recette, qui est aussi appelée pan crottaé, sert à accommoder les restes de pain très rassis. Elle consiste à parfumer du lait, préalablement sucré, avec de la vanille, y tremper le pain qu'on passe ensuite dans des oufs battus avant de le faire frire, sur la poêle, dans du beurre. On peut saupoudrer ce pain perdu de sucre pour le manger en dessert le soir.

Si l'objectif premier est d'utiliser les restes, on peut aussi faire du pain perdu avec des tartines de pain rascis pour le plaisir

Pain à soupe

Le biscuit, contrairement à son appellation, n'est pas une spécialité de pain recuit (dans la grande majorité des cas) Dans la Manche on peut à ma connaissance aujourd'hui distinguer 3 ou 4 catégories de pain à soupe :

  • 1- Le biscuit (nord de Carentan) ou galette à soupe (sud de Carentan)
  • 2- La baguette à soupe
  • 3- le trois livres à soupe
  • 4- les croûtes à soupe

L'aire d'utilisation (et aussi l'appellation)de chacun de ces produits à besoin d'être précisée, j'y travaille actuellement. dans le cas du biscuit (ou galette à soupe)le boulanger utilise un outil pour piquer la pâte avant d'enfourner. cet outil est appelé par certains "pique-vite", mais tous les boulangers rencontrés ne sont pas d'accord, tout en n'ayant pas de proposition à faire.

Très intéressant. Je vous signale également (au cas où vous ne les connaîtriez pas) les données de l'Atlas linguistique [1], où ce sujet est abordé au volume III, cartes 1037 et suivantes (soupe mitonnée; pain pour la soupe; rôtie; (pain) grillé; émiée, etc.). Cordialement, Dominique Fournier __✍ 9 juillet 2012 à 23:33 (CEST).
P.S. : n'oubliez pas de signer vos messages (avec quatre tildes : ~~~~); le reste se fait tout seul.
  1. Patrice Brasseur, Atlas Linguistique et Ethnographique Normand, CNRS, Paris, vol. I, 1980; vol. II, 1984; vol. III, 1997; vol. IV, OUEN / PUC, Caen, 2011.
N'hésitez pas à corriger l'article, voire à créer pain à soupe. Au plaisir de vous lire. HaguardDuNord 9 juillet 2012 à 23:49 (CEST)