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Quand nous quittions Avranches

De Wikimanche

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« Quand nous quittions Avranches » est un poème de Victor Hugo.

En juin et juillet 1836, Victor Hugo voyage dans la Manche. Il séjourne à Pontorson plusieurs jours, passe la journée du 27 juin au Mont-Saint-Michel puis rejoint Avranches dans la soirée. Il quitte Avranches le 28 juin pour Granville.

Ce départ lui inspire un poème, écrit en juin 1836 et publié après sa mort dans « Toute la lyre », II, 25.

« Quand nous quittions Avranches
Ami, vous souvient-il ? quand nous quittions Avranches,
Un beau soleil couchant rayonnait dans les branches.
Notre roue en passant froissait les buissons verts.
Nous regardions tous trois les cieux, les champs, les mers,
Et l'extase un moment fit nos bouches muettes,
Car elle, vous et moi, nous étions trois poètes.
Doux instants, où le cœur jusqu'aux bords est rempli.
Puis la route tourna, le terrain fit un pli,
L'Océan disparut derrière une chaumière.
Cependant tout encore était plein de lumière ;
Le soleil grandissait les ombres des passants,
Et faisant briller l'eau des lointains frémissants
Allumait des miroirs sous les rameaux des saules.
Un pont, fait par César quand il vint dans les Gaules,
Montrait à l'horizon son vieux profil romain.
De beaux enfants, pieds nus, couraient dans le chemin ;
Nous semions dans leurs mains toute notre monnaie ;
Eux, dépouillant le pré, la broussaille et la haie,
Nous lançaient des bouquets aux riantes couleurs ;
Nous leur faisions l'aumône, ils nous jetaient des fleurs.
Nous emportions ainsi, tous, notre douce proie,
Eux, un morceau de pain, et nous un peu de joie.
Bientôt tout cela se voila du crêpe obscur des soirs.
Nous passions au galop dans les villages noirs.
Des formes s'agitaient sur les vitres rougeâtres ;
Des visages pourprés riaient autour des âtres.
Cependant, à travers ces visions de nuit,
Nos quatre ardents chevaux, dans la poudre et le bruit,
Couraient en secouant leurs sonnettes de cuivre,
Et les chiens aboyants s'essoufflaient à les suivre. »
Quand le matin des cieux vint bleuir le plafond,
À l'heure où le regard voit, dans l'éther profond,
Pencher vers l'horizon les sept astres du pôle,
Elle laissa tomber son front sur mon épaule,
Et s'endormit ; et nous, nous parlions ; nous disions
Que, si la Poésie, aux yeux pleins de rayons,
Comme la Foi sa soeur, règne sur l'âme humaine,
La Sculpture ; payenne, a la chair pour domaine ;
Car du génie ancien cet art a le secret ;
Et, comme Phidias, Jean Goujon adorait
Diane, la déesse aux longs cheveux d'ébène,
Dont les flèches, troublant la montagne thébaine,
Chassent le daim fuyard qui saute le fossé
Et guette, sur ses pieds de derrière dressé.