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Marie-Louise Giraud

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Marie-Louise Giraud.

Marie-Louise Giraud, Lempérière de son nom de jeune fille, née à Barneville le 17 novembre 1903 et morte à Paris le 30 juillet 1943 [1], est une personnalité de la Manche.

Elle est la seule femme guillotinée en France pour avoir pratiqué des avortements.

La dernière sur la guillotine

Cherbourg-Éclair, mercredi 9 juin 1943.

Marie-Louise Lempérière naît dans une famille pauvre de Barneville [2]. Après avoir échoué à obtenir son certificat d'études en 1915, elle seconde sa mère dans l'entretien de la maison puis se met au service de particuliers comme servante. Elle est confrontée dès 1921 à la justice et, condamnée successivement par les tribunaux de Valognes, Coutances et Cherbourg, connaîtra même la prison pendant un mois à la maison d'arrêt de Coutances en 1927 et deux mois à celle de Cherbourg pour différents vols et escroqueries [2]. Travaillant comme serveuse ou domestique au gré des propositions [3], elle s'était mariée le 4 janvier 1924 à Barneville avec Louis Buhot (1901-1930) [4]. Curieusement, elle était retournée chez ses parents dès 1925 et avait fait des ménages pendant deux ans [5]. Le divorce est prononcé le 20 novembre 1928. Puis elle se marie le 22 juillet 1929 à un officier marinier de la marine nationale, Paul Giraud (1902-1967), dont elle a cinq enfants [6][7][2]. Deux seulement sont encore vivants en 1942.

Elle habite à Cherbourg quand la guerre éclate [8]. Elle commence alors à entretenir une relation extraconjugale avec un certain Émile C. et à fréquenter les bars mal famés, s'attirant ainsi la colère de son époux et une réputation de femme de mœurs légères. En 1940, pendant l'occupation allemande, alors qu'elle n'a pas de connaissances médicales, elle pratique son premier avortement sur une voisine - par injections d'eau savonneuse dans l'utérus - pour « rendre service » [2]. Reconnaissante, sa patiente lui offre un phonographe avec une vingtaine de disques. L'année suivante, elle provoque un deuxième avortement, cette fois contre le paiement de 1 000 F [2]. Marie-Louise Giraud voit le parti financier qu'elle peut retirer de son activité. Les avortements s'enchaînent, qu'elle fait payer entre 200 F et 2 000 F [2], pour un total de près de 14 000 francs. La justice en dénombrera vingt-sept entre décembre 1940 et octobre 1942, dont l'un nécessitera un curetage à l'hôpital de Cherbourg et l'autre provoquera la mort de Louise M., 33 ans, le 15 février 1942 à Cherbourg. À l'occasion, Marie-Louise Giraud ouvre la maison qu'elle vient d'acheter au 44 [9] , rue Grande-Vallée aux prostituées, alors nombreuses à Cherbourg [2]. Les marins allemands y affluent.

À la suite d’une dénonciation anonyme [10], Marie-Louise Giraud est arrêtée et immédiatement interrogée en octobre 1942 [11]. Elle avoue tout, dans l'espoir que la justice soit clémente avec elle. Inculpée de manœuvres abortives (vingt-sept au total) qu’une loi du 15 février 1942 considère comme des « crimes contre la patrie » susceptibles d’être punis de la peine de mort [11], son procès a lieu le 8 juin 1943 à huis clos devant le tribunal d’État de Paris [12], une juridiction d’exception créé par le régime de Vichy pour éviter les tribunaux populaires susceptibles d'être trop indulgents. Le président est Paul Devise[13]. Marie-Louise Giraud, 39 ans, est condamnée à mort. Selon les termes de l'article de Cherbourg-Éclair, son « néfaste trafic » a été « mis en lumière par M. Trouvé, commissaire de Police et le personnel du deuxième arrondissement » [14][15]. Ses trois complices, considérées comme ses « démarcheuses », sont condamnées à des peines d'enfermement : Augustine Cosnefroy, 68 ans, tireuse de cartes, à dix ans de réclusion et 6 005 F d'amende, Jeanne Truffert, 43 ans, ménagère, à huit ans de travaux forcés et 6 000 F d'amende, et Eulalie Héleine, 50 ans, tireuse de cartes, à cinq ans de travaux forcés et 6 000 F [14]. Marie-Louise Giraud ayant eu sa grâce refusée par le maréchal Pétain, chef de l'État, elle est exécutée le 30 juillet suivant, dans la cour de la prison de la Petite-Roquette, à Paris 11e, par le bourreau Jules-Henry Desfourneaux [2]. Elle meurt, décapitée, à 5 h 25 [1]. Elle est inhumée dans le carré des suppliciés, au cimetière parisien d'Ivry. Personne n'a réclamé son cadavre, pas même sa famille. Aucune femme n'avait été exécutée depuis 1905.

Postérité

L’histoire de cette femme est racontée en 1986 dans un livre intitulé Une affaire de femmes (éditions Balland) écrit par l’avocat Francis Szpiner et transposée au cinéma sous le même titre par Claude Chabrol en 1987 [11][16]. Dans ce livre, il est écrit, page 124, que le gardien de la paix Leluan (en fait l'inspecteur Maxime Leluan ), sur ordre du commissaire Jean Trouvé, le 18 octobre 1942, est chargé de surveiller Marie-Louise Giraud et les abords de son domicile au 40, rue Grande-Vallée.

Le documentaire de 2012 Bismarck est foutu, de Carole Equer-Hamy et l'avocate Martine Scemama, qui retrace l'affaire, est projeté le 11 décembre 2012, au cinéma Odéon de Cherbourg, en présence des deux réalisatrices [17].

Le 10 octobre 2020 Olivier Jouault, dans La Manche Libre, page 29, compare [18] Marie-Louise Giraud aux passeurs qui profitent de la détresse des migrants clandestins. Ces propos font suite à la polémique ouverte à cause de l'inscription de Maxime Leluan sur le Mémorial de la Shoah et des Justes parmi les Nations (Cherbourg-en-Cotentin) inauguré le 4 octobre 2020. Malgré la polémique, la municipalité de Cherbourg-en-Cotentin maintient l'inscription.

Un collectif féministe de colleuses d'affiches, les Marie-Louise se constitue à Cherbourg-en-Cotentin, contre les violences faites aux femmes et prend ce nom en mémoire de Marie-Louise Giraud [19].

Dans le cadre du festival Femmes dans la ville, l'association Cultur'Elles propose le 5 mars 2022 la toute première visite guidée féministe de Cherbourg. L'excursion s'arrête auprès du numéro 44 de la rue Grande-Vallée, lieu d'habitation de Marie-Louise Giraud [20].

Le 4 mars 2024, le parlement, réuni en congrès à Versailles, vote l'inscription dans la Constitution de la liberté des femmes de recourir à l'interruption volontaire de grossesse (IVG).

Hommage

Depuis 2019, il existe une rue Marie-Louise-Giraud à Cherbourg-Octeville, commune déléguée de Cherbourg-en-Cotentin.

Bibliographie

  • Francis Szpiner, Une affaire de femmes. Paris, 1943. Exécution d'une avorteuse, éd. Balland, Paris 1986

Notes et références

  1. 1,0 et 1,1 Décès : « Acte 1703 » — Archives de Paris — (NMD) 11e arrondissement, 1943 (11D 344) — Vue : 3/31.
  2. 2,0 2,1 2,2 2,3 2,4 2,5 2,6 et 2,7 « En 1942, une Cherbourgeoise sous la guillotine », Ouest-France, 7 octobre 2011. (1942 ou 1943 ?)
  3. Francis Szpiner, Une affaire de femmes : Paris 1943, exécution d'une avorteuse, Balland, Paris, 1988
  4. Acte de décès n°000061, 1930, Valognes.
  5. Francis Szpiner, op. cit.
  6. Francis Szpiner, op. cit.
  7. Tables décennales, Barneville, 1923-1932, Archives départementales de la Manche. (Numéros des actes ?)
  8. « Guerre et Occupation dans le Cotentin, 1939-1944 », La Presse de la Manche, hors-série, mai 2022 p.89.
  9. Selon le magazine L'Histoire d'octobre 2003, elle loue et sous-loue une maison au n°40 à des prostituées qui en font autant leur domicile que leur lieu de travail et lui versent 200 francs tous les mois. Des femmes mariées viennent aussi y rencontrer leur amant.
  10. Toujours selon le numéro de L'Histoire cité plus haut, peut-être celle de son mari alcoolique, invalide et au chômage.
  11. 11,0 11,1 et 11,2 Dictionnaire des personnages remarquables de la Manche, tome 1, Jean-François Hamel, sous la direction de René Gautier.
  12. Cherbourg-Eclair annonce sa future exécution dès son édition du 9 juin 1943, avant même que la demande de grâce ne soit déposée.
  13. Le Radical de Marseille, 9 juin 1943, page 1.
  14. 14,0 et 14,1 « La femme Giraud, faiseuse d'anges, est condamnée à mort », Cherbourg-Éclair, 9 juin 1943.
  15. Média:Article de Cherbourg-Eclair paru le mercredi 9 juin 1943.jpg
  16. Film tourné à Dieppe.
  17. Gilles Collas, « Être femme sous l'Occupation », Ouest-France, 8 décembre 2012 (lire en ligne).
  18. De façon contestable.
  19. Mahaut de Butler, « 8 mars à Cherbourg : la place de Gaulle redécorée de slogans féministes », France Bleu Cotentin, 8 mars 2020 (lire en ligne).
  20. « La ville à travers le prisme du féminisme », Solène Falaise, La Presse de la Manche, 6 mars 2022, page 7.

Liens internes