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Mare de Tourlaville

De Wikimanche

Photo aérienne - 1920
On distingue clairement les canaux qui raccordaient la mare au port des Flamands. La connexion directe au port a cependant déjà été coupée par la construction des « citernes à mazout ».
Ce plan de Cherbourg, daté de 1886 montre bien l'étendue de la mare de Tourlaville, à mi-hauteur tout à fait à droite du plan.

La Mare de Tourlaville est un lieu-dit situé à Tourlaville (Cherbourg-en-Cotentin).

Tout d'abord marais littoral, le lieu a été transformé au XIXe siècle en parc d'enfouissement de bois pour la marine en étroite connexion avec le port des Flamands, et au XXe en décharge publique, en camping et finalement le site en tant que tel disparaît littéralement, n'ayant plus de réalité sensible. Le nom reste pourtant indiqué sur les cartes de l'Institut Géographique National.

Occupations anciennes

Des haches en bronze ont été découvertes dans la mare. Selon les sources, il y en a dix ou dix-neuf, et la découverte date de 1861 ou 1865, sur le chantier d'aménagement sous un mètre cinquante de tourbe. Malheureusement les sources citées ne se risquent pas à dater ces haches. Tout au plus l'une d'elle les qualifie de celtiques [1][2]. Faute de mieux, on peut penser que ces objets dateraient de l'âge du bronze : 2200 à 800 avant JC.

Des pièces en argent figurant Louis de Flandres (XIIIe ou XIVe siècle) ont été trouvées près des rochers des Flamands, ainsi que des monnaies en cuivre du XIVe de Louis de Crécy et de quelques autres dynasties de Brabant, mises au jour en 1853 dans un chantier de creusement de la mare [3]. Cette possible occupation flamande expliquerait logiquement le nom du quartier.

Époque moderne

La mare est citée à plusieurs reprises par Gilles de Gouberville, notamment en septembre 1558 quand Symonnet en ramène un héron qu'il avait tué le matin [4].

Elle est représentée sur la Carte de Cassini de 1758, sans toutefois y être nommée. Elle est en communication directe avec la mer [5]. La même année, un plan de la rade de Cherbourg la montre avec plus de précision, avec une île au milieu [6].

XIXe siècle : le « parc aux bois des Flamands »

Vers 1845, dix hectares de marais y sont acquis par l'Arsenal de Cherbourg [7] pour enfouir les bois de construction des navires. Le procédé peut surprendre, mais il est connu sous le nom d'« enclavation » [8]. On stocke le bois dans l'eau (ou en l'occurrence dans la vase), l'eau remplace la sève de l'arbre, et de manière contrintuitive le temps de séchage du bois s'en trouve considérablement raccourci.

L'enfouissement avait précédemment été pratiqué sur les Mielles de Tourlaville, mais en 1844-45 l'érosion avait découvert les bois [9].

Malheureusement l'enfouissement dans la vase souffre de nombreux problèmes :

  • il nécessite une manutention considérable (creuser les fosses, y stocker le bois, reboucher les fosses ; manœuvre inverse pour l'en sortir, etc.)
  • la qualité des bois vaut une mauvaise réputation aux constructions navales cherbourgeoises : la méthode donne de moins bons résultat que dans l'eau de mer comme à Toulon, Brest ou Lorient, encore moins bons que dans l'eau douce comme à Rochefort.
« […] c'était une idée généralement répandue que les bâtiments construits dans ce port [Cherbourg] duraient moins longtemps que ceux sortis des autres ports. »[10]

À une date indéterminée entre 1848 et 1877, une autre méthode est testée au même endroit, dérivée du « procédé Guibert » [11], proposée par M. de Lapparent. Il s'agissait de placer le bois dans une « atmosphère d'acide sulfureux […] à une température de 50° à 110° » [12]. On imagine bien les conditions d'hygiène infligées aux ouvriers de ce chantier… De plus, le procédé s'est avéré inefficace : au final le bois se fendillait.

En 1850 la surface du parc est portée à vingt-deux hectares [9]. À partir de 1853 de lourds travaux y sont menés :

  • un enrochement formant digue pour séparer mer et mare.
  • des canaux de flottage sont creusés pour faire transiter le bois entre port des Flamands et mare via une écluse
  • des bureaux, des maisons de garde et des dépôts etc.

Cette même année 1853 un plan projet montre le port et la mare. On y voit tout un réseau de canaux, pratiquement semblable aux photos aériennes de 1920. Le port des Flamands, indissociable dans sa construction de la mare, ne sera par contre finalement pas exécuté comme prévu à ce moment [13].

Après 1858, date à laquelle le chemin de fer arrive à Cherbourg, quand le port des Flamands est équipé de sa desserte, les bois transitent vers l'arsenal par le rail [9]

En 1870 ce sont cinquante mille mètres cubes de bois qui sont soigneusement stockés dans la mare [14]:

« […] c’est la quantité nécessaire à la construction d’une dizaine de grands navires, à condition que tous les signaux soient représentés et assortis en proportions convenables. Ces bois sont enfouis à la mare de Tourlaville dans du sable vaseux et humide. Les pièces, au nombre de deux ou trois l’une sur l’autre, sont disposées dans des compartiments nombreux, rapportés sur le plan, simplement indiqués sur le terrain par une fiche, et dont chacun ne renferme que des pièces d’une même espèce. »

XXe siècle : disparition du site

Vers 1911, la connexion des canaux avec le port est déviée, voire coupée, pour permettre l'implantation d'installations pétrolière à usage de la marine [15].

« […] ces réservoirs, vastes cuves en ciment armé, ont été établis près de la mare de Tourlaville ; une canalisation spéciale aménera le mazout jusqu'à bord des navires » [16]

Une mission de photographies aériennes de 1920 montre bien l'ensemble des installations subsistantes (voir illustration ci-dessus). À l'est, au-delà de la digue de Collignon, on distingue trois ensembles bâtis dont les superstructures circulaires correspondraient bien aux cheminées des fours géants nécessaires au « procédé Guibert ». Les canaux s'étendent jusque-là, les dix hectares initiaux ont été considérablement étendus, notamment par le chantier de 1853 déjà cité. [17]

En 1928 l'administration des domaines met en vente l'ensemble du terrain. Il est peu probable que cette vente ait pu être conclue, le site restant inoccupé jusque très tardivement [18]

Un hydravion de type Bréguet venant de Maupertus s'écrase sur un rocher le 16 juillet 1938, faisant deux morts et dix blessés [19].

Pendant la Seconde Guerre mondiale, la construction de la batterie des grèves a probablement commencé à détruire le site. Les photos aériennes du 21 juin 1944 [20] montrent que les bâtiments à l'est sont détruits, peut-être par bombardement.

Les canaux de flottage étaient toujours visibles et en eau à la fin des années 1960 ou début 1970. Leurs berges étaient maçonnées très proprement en granit rose. Localement le lieu était plutôt connu avec l'appellation « bassins de flottage » [21].

Au début des années 1970, le tout a été recouvert par une décharge publique, elle même recouverte de terre, aménagée plus tard en camping, ce qui a encore posé quelques problèmes d'hygiène [21].

Les aménagements de ce qui devient peu ou prou un quartier depuis les années 1980, continuent à faire disparaître toute trace de l'installation, notamment Intechmer, l'espace loisir de Collignon, la rue des Crustacés, etc.

Au final le tout est tranché par la nationale 13 (déviation est de Tourlaville et Barreau des Flamands) qui dessert depuis 2010 le port de Cherbourg. Tout cela est lisible sur la carte ci-dessous.

En 2023, le projet parc d'activités Collignon-sud – Croix Morel, borde la limite sud de la mare[22]

Le chemin de la Mare, piste cyclable qui permet de se rendre à Collignon, ainsi que le cadastre, rappellent son souvenir.

Situation

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Notes et références

  1. L'Homme préhistorique : revue mensuelle illustrée d'archéologie et d'anthropologie préhistoriques, 1911, p.182 (lire en ligne).
  2. Niederrheinischer Kurier, 31 octobre 1861 (lire en ligne).
  3. P. Kerfurus, « Sur une chapelle ... », Cherbourg-Éclair, 11 juin 1933 (lire en ligne). Malheureusement la source ne précise pas s'il s'agit de Louis 1er ou de Louis II de Flandre.
  4. Mémoires de la Société des antiquaires de Normandie, 1892, p446 (lire en ligne).
  5. Carte de Cassini, (lire en ligne).
  6. Madenié, nouveau plan de la rade (voir dans Wikimanche).
  7. Ferdinand François de Bon, Les ports militaires de la France, Cherbourg, 1867, p.93 (lire en ligne).
  8. Enclavation dans Wikipédia (lire en ligne).
  9. 9,0 9,1 et 9,2 Ferdinand François de Bon, Cherbourg… accompagné d'un plan et de planches…, 1867, p.94 (lire en ligne).
  10. Revue maritime et coloniale, 1 janvier 1863, p.586 (lire en ligne).
  11. Lucien Laveur, Revue des eaux et forêts, Volume 3, 1864, p.331 (lire en ligne).
  12. Jean Baptiste Fonssagrives, Traité d'Hygiène navale, 1877, p.14 (lire en ligne).
  13. Joseph Bonnin, Antoine-Élie Lamblardie, Travaux d'achèvement de la digue de Cherbourg volume 2, 1857, (lire en ligne).
  14. Bagneris et Broillard , Étude sur la production du chêne et son emploi en France, 1870, p.30 (lire en ligne).
  15. Journal de la Manche et de la Basse-Normandie, 6 mai 1914 (lire en ligne).
  16. Navigazette, 27 avril 1911, p.4 (lire en ligne).
  17. On ne voit qu'un seul de ces bâtiments sur la photo jointe. Les deux autres sont visibles sur une autre photo de la même mission photographique : Identifiant de la mission : CN20000151_1920_SGA-COTENTIN_0237 - Numéro : 237 (lire en ligne).
  18. L'Ouest-Éclair, 18 novembre 1928, p.6 (lire en ligne).
  19. Cherbourg-Éclair, 17 juillet 1938.
  20. IGN Identifiant de la mission : CA98P00061_1944_106G1024_4169 Numéro : 4169 (lire en ligne).
  21. 21,0 et 21,1 Témoignage personnel
  22. Inspection générale de l’environnement et du développement durable, Avis délibéré Création du parc d’activités Collignon-sud – Croix Morel, (lire en ligne).