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L'Exploit du sous-marin Orphée (1940)

De Wikimanche

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L'Orphée.

L'Orphée est un sous-marin basé à Cherbourg pendant la Seconde Guerre mondiale.

Il est célèbre pour avoir torpillé un sous-marin allemand et résisté à la chasse de la marine et de l'aviation allemandes qui suit.

Histoire du sous-marin

Construit par les chantiers Augustin Normand au Havre (Seine-Martime), il est lancé le 10 novembre 1931 et mis en service le 8 juin 1933. En septembre 1939, il est rattaché à la 16e Division sous-marine (DSM), basée à Cherbourg, formée également des autres sous-marins Amazone, Antiope et Sybille.

Du 15 novembre 1940 au 16 janvier 1941, il subit un grand carénage à l'arsenal de Cherbourg.

Après la capitulation, il se met au service des Forces françaises libres (FFL). Il effectue plusieurs missions secrètes en mer Méditerranée. Le 7 décembre 1943, il coule le patouilleur Faucon.

Le 3 mars 1946, une explosion se produit à son bord alors qu'il se trouve à Casablanca (Maroc), provoquant la mort de deux matelots et faisant 9 blessés. À la suite de cet accident, le sous-marin est désarmé le 27 septembre 1946. Il est ramené à Cherbourg le 4 octobre suivant et condamné à la démolition le 7 octobre. Il quitte Cherbourg pour être remorqué jusqu'à Lanvéoc (Finistère), où il est coulé pour servir de brise-lames.

Un fait d'armes d'exception

Le 19 avril 1940, l'Orphée appareille de Harwich (Angleterre) pour sa première patrouille. Il est sous le commandement de Robert Meynier. Le 21, au large de la Norvège, il coule un sous-marin allemand. Pris en chasse par la marine et l'aviation allemandes, il réussit à leur échapper au prix d'une course effrénée et dangereuse, marquée par d'incessantes plongées et de navigation en surface pour recharger ses batteries. Il réussit à rejoindre Harwich le 24 avril.

Dans L'Ouest-Éclair

Le quotidien régional L'Ouest-Éclair publie ce récit dans son édition du 6 mai 1940 :

« Le sous-marin français [1] se trouvait depuis quelque jours en patrouille quelque part sur les côtes de Norvège. Depuis une demi-journée, il suivait au son deux submersibles allemands qu'il se proposait d'attaquer à la première immersion. À un certain moment, un des officiers du bord, un jeune enseigne, se mit au périscope, et aperçut dans le-champ de visée un sous-marin. Il n'y avait pas une seconde à perdre : l'attaque fut aussitôt déclenchée. Deux torpilles partirent. Le sous-marin français qui était en plongée attendit. Deux interminables et angoissantes minutes s'écoulèrent, puis, soudain, une double et violenté explosion. Les deux torpilles, chargées chacune de 350 kilos d'explosif, avaient atteint leur but. L'ennemi devait être pulvérisé.

"Immédiatement, un second sous-marin allemand, qui se trouvait en surface, à deux mille mètres de là, lâcha une torpille en direction du français, mais le rata. D'autres sous-marins allemands se mirent de la partie et cherchèrent à repérer le submersible français, qui put s'échapper grâce à une très habile manœuvre de son commandant. Cependant, le danger rôdait toujours. En effet, notre sous-marin qui cherchait à regagner son point de départ, fut aperçu par des avions allemands qui, en quarante-huit heures, l'attaquèrent et le bombardèrent treize fois chaque fois. Il put échapper sans dommage, aucune bombe ne tombant à proximité. Ce n'était pas fini, la brume était intense et, pour atteindre sa base, le navire dut franchir un étroit couloir entre deux champs de mines. Il passa, il était sauvé.

"Ce magnifique exploit vient d'avoir sa première récompense. En effet, hier matin, le vice-amiral d'escadre Le Bigot, accompagné de son aide de camp, l'enseigne de vaisseau Grandchamp-des-Raux, s'est rendu sur rade où le sous-marin était mouillé sur le coffre de la Reine, afin de féliciter son commandant, son état-major et tout son équipage et de décorer le bâtiment et une partie de ses hommes: deux lieutenants de vaisseau, deux enseignes, un premier-maître, deux maîtres, deux seconds-maîtres, huit quartiers-maîtres. La garde rendit les honneurs à l'amiral qui se fit présenter les officiers et passa l'inspection de l'équipage, cependant que les récipiendaires se rassemblaient sur la plage avant. Un clairon ouvrit le ban et l'amiral Le Bigot, après avoir lu la citation, épingla sur un coussin la croix de guerre avec une étoile de bronze décernée au sous-marin et remettait à chacun des dix-sept héros la même décoration. L'amiral félicita chacun d'eux et se renseigna sur leur situation de famille. Puis le sous-marin rejoignit lentement à l'arsenal la base qui lui était réservée cependant que des quais où étaient massés les hommes des autres navires et des centaines d'ouvriers, partaient dès "hourras" et des "Vive la France". »

Dans L'Illustration

L'hebdomadaire L'Illustration publie ce récit dans son n° 5072 daté du 18 mai 1940 :

« Le 6 mai au matin, le sous-marin Orphée, retour d'une mission effectuée en mer du nord, regagnait sa base de Cherbourg. À peine arrivé dans l'avant-port, il était accosté par une vedette de la marine portant le vice-amiral d'escadre Le Bigot, préfet maritime de Cherbourg. Le vice-amiral venait apporter à l'équipage de l'Orphée les félicitations de la marine de guerre française et remettre au sous-marin, ainsi qu'à dix-sept de ses officiers et quartiers-maîtres, la croix de guerre. C'est qu'en effet l' Orphée venait d'accomplir un exploit d'une rare qualité. Cet exploit, nous ne pouvons mieux faire que de le relater à l'aide de notes et de textes officiels. Voici donc le récit de la mission si brillament exécutée par l'Orphée :

" Depuis 48 h, l'Orphée patrouille à l'ouest du Skagerak, dans le secteur oriental de la mer du Nord. À 3 heures du matin, il est en plongée, par une mer belle, avec une bonne visibilité et peu de vent. Son équipage a l'impression d'un exercice du temps de paix. Vers 11 heures, son commandant, désireux de prendre un peu de repos après deux jours sans sommeil, s'étend tout habillé sur sa couchette. Vers 14 heures et quelques minutes, un quartier-maître le réveille. À 14 h 15 exactement, l'enseigne de vaisseau de quart aperçoit un sous-marin qui vient entre deux tours d'horizon, au périscope (360°). Le commandant monte dans le kiosque, où il trouve l'enseigne cramponné à son périscope. Il s'empare de l'appareil et aperçoit une autre masse noir, un deuxième sous-marin.

"Un premier problème se pose : l'identification des sous-marins. Pour gagner du temps, l' Orphée plonge à 18 mètres pour permettre la consultation du carnet d'identification. Un doute subsiste. Est-ce un sous-marin anglais ? À 14 h 18, le périscope est rehissé pour une observation plus complète. un officier britannique regarde à son tour et déclare qu'il ne s'agit pas d'un sous-marin anglais. Le commandant donne alors l'ordre de placer les éléments de lancement de torpilles sur le premier sous-marin. À 14 h 21, le commandement de feu est donné et les torpilles lancées et, à 14 h 23, tandis que l' Orphée plonge à 50 mètres pour éviter la réaction du deuxième sous-marin ennemi, deux explosions violentes se produisent qui font chavirer le compas gyroscopique et projettent tous les plats de l'équipage sur le plancher du poste avant : les torpilles ont atteint leur but. Il est 15 heures et l'affaire est terminée. L' Orphée reprend la vue au périscope. Il n'y a plus rien sur la mer. Il décide de faire route sur le lieu du torpillage pour voir s'il demeure des épaves. Aux abords, il entend les hélices du second sous-marin. La situation de l'Orphée commence à devenir pénible, car il est en plongée depuis 14 heures, obligé de marcher sur ses batteries et devant bientôt se préoccuper de remonter à la surface pour les recharger.

"Néanmoins, il continue à faire route en plongée pour s'éloigner du deuxième sous-marin. vers 19 heures, il aperçoit un gros avion Dornier qui fait des recherches dans le secteur. Le sous-marin étant immergé et les eaux de la mer du Nord présentant une certaine opacité, l'avion ne le distingue pas. À 21 heures, la nuit commence et le sous-marin remonte en surface pour recharger ses batteries. Malheureusement, il fait un clair de lune désastreux. À partir de minuit, l'aviation allemande a pris contact avec l' Orphée. Appareils Dornier venant du nord, appareils Heinkel venant de l'est. La chasse de l'aviation allemande dure 48 heures. Pendant ces 48 heures, l'Orphée effectue 14 plongées. Il passe 37 heures sous l'eau. Au cours de ces 37 heures de plongée, il doit franchir à l'aveuglette des champs de mines, cotoyer, pour ne pas dire plus, des bancs de sable. Enfin, il réussit à regagner sa base sans avarie.

"Pour apprécier toute la valeur et toute la qualité de cet exploit, nous nous bornerons à ajouter que c'est la première fois depuis la guerre qu'un sous-marin français torpille un sous-marin ennemi et que c'est également la première fois qu'un submersible est pourchassé pendant 48 heures par l'aviation adverse. »

Notes et références

  1. L'Ouest-Éclair indique qu'il s'agit de l'Orphée dans son édition du 8 mai 1946.