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Histoire du Hutrel depuis 1995 : vie associative et fêtes populaires

De Wikimanche

Le lieu-dit Le Hutrel est un petit village à l’ancienne niché dans la ville de Saint-Lô. Par son architecture, son histoire, c’est un lieu unique, qui ne laisse personne indifférent !

L'article intitulé « Le Hutrel » permet de situer ce petit coin de Normandie.

Nous poursuivons ici l’histoire du Hutrel pour évoquer sa vie associative et festive depuis 1995.

Création de l'association « Commune libre du Hutrel » (1995)

Le 12 juillet 1995, le Comité des fêtes, section de Saint-Thomas-de-Saint-Lô, décide lors de son assemblée générale de changer de statut. Désormais l’association s’appellera « Commune libre du Hutrel » et ses nouveaux statuts sont déclarés à la préfecture de la Manche le 8 août. Le siège social sera toujours le local de l’ancienne mairie de Saint-Thomas-de-Saint-Lô. Et le cadre juridique reste le même : association loi 1901, avec président du conseil d’administration, vice-président et trésorier.

Mais l’objet de l’association est profondément modifié, s’articulant autour de quatre points : - promotion du site du Hutrel
- son animation
- son embellissement
- l’amélioration du cadre de vie de ses habitants

Depuis sa création en 1966, le comité des fêtes, comme son nom l’indique, n’avait lui qu’un seul objet : l’organisation de la traditionnelle fête du Hutrel. Pourquoi dès lors changer d’appellation, sachant que la l’organisation de la fête resterait sa tâche la plus lourde ? C’est essentiellement une volonté de renouvellement qui s’exprimait ainsi : certes un attachement à la fête, mais avec la volonté de la faire évoluer, certes un attachement au site du Hutrel, mais avec un désir plus marqué de le promouvoir autrement auprès de la municipalité saint-loise, dans l’espoir d’assurer sa modernisation et son entretien.

Pourquoi une « commune libre » ?

Le choix de l’expression « commune libre », tout moderne qu’il soit, s’inscrivait dans une longue tradition. En effet, le mot « commune » est d’usage très ancien au Hutrel puisqu’il est évoqué dans un acte du bailliage de Saint-Lô du 9 novembre 1762 : « Le village du Huterel offre un aspect particulier. Les maisons au lieu de s’aligner en rues, sont disséminées autour d’un terrain vague appelé la « commune » du Huterel et contenant un hectare environ. » Il est probable d’ailleurs que ce mot commune renvoie à l’usage médiéval des terrains laissés par le seigneur à la disposition de tous (qu’on appelait aussi communaux). Quoi qu’il en soit, ce vieux terme était resté dans la mémoire du village, il était donc intéressant de le faire revivre.

Il existe à peu près 130 « communes libres », dont une douzaine de « républiques libres », dans l’espace francophone (majoritairement en France, mais aussi en Belgique et en Suisse). Quels sont leurs points communs ? Pour répondre à cette question, nous en évoquerons quatre, qui nous ont semblé représentatives : Montmartre (la plus ancienne, fondée le 7 mai 1921, désormais appelée République de Montmartre), Provins (Seine-et-Marne), Berbisey (quartier de Dijon) et Le Cros-de-Cagnes (Alpes-Maritimes). Selon le dictionnaire du CNRTL, une commune libre est une « association de quartier reproduisant de manière populaire et quelque fois parodique les actes principaux de la vie d’une commune ». Avec le statut de la loi de 1901, toutes ces associations visent effectivement à faire revivre un vieux quartier de leur ville, en sauvegardant son esprit de village, son patrimoine architectural ou culturel. Chaque commune libre anime une fête populaire, qu’elle soit traditionnelle (fête des vignerons, des moissons, des pêcheurs) ou réintroduite après des années d’oubli (fête des vendanges à Montmartre, autour des vignes replantées en 1934). L’esprit recherché est toujours le même : convivialité, bonne humeur, gratuité. L’esprit ludique également : on adopte volontiers un déguisement adapté au passé du quartier, on honore le « maire » du village et ses conseillers municipaux se couvrent de titres ronflants (citons par exemple le « ministre du trésor » de Montmartre !). Néanmoins, aucune de ces communes libres ne vit dans un esprit de sécession par rapport à la vraie commune qui les abrite, bien au contraire : la mairie les subventionne et le maire est toujours associé aux temps forts de l’association, en premier lieu sa fête (par exemple le fameux chanoine Kir, à Dijon, distribuait solennellement les récompenses d’une grande course cycliste). Dans le même ordre d’idée, la neutralité politique est revendiquée partout. Notons enfin chez certaines associations un souci caritatif affirmé dès leur création et maintenu jusqu’à aujourd’hui (l’enfance défavorisée à Montmartre, les personnes âgées à Berbisey).

La Commune libre du Hutrel répond à tous ces critères, à l’exception du dernier. Tout comme ses consœurs de Provins et Dijon, elle s’inspire explicitement du modèle inventé par Montmartre. D’ailleurs, bien avant la création de la commune libre, la presse locale évoquait volontiers la ressemblance entre la fête du Hutrel et Montmartre : « On monte au Hutrel comme on monte à Montmartre ». Tout le monde a entendu parler de la tradition montmartroise, adopter l’étiquette « commune libre » était donc un gage de notoriété.

Inauguration de la « commune libre » le 16 mai 1996

La Fête du Hutrel 1996 a bien sûr été la première manifestation publique de la nouvelle commune libre. Dès le matin, les visiteurs et invités pouvaient découvrir tout un attirail nouveau : redingotes et chapeaux haut-de-forme, écharpes tricolores et roulements de tambour ! La solennité républicaine était de mise, avec le dévoilement du tout nouveau panneau « Commune libre du Hutrel » (enveloppé de bleu-blanc-rouge) et le discours inaugural du « maire » du Hutrel. Celui-ci évoque d’abord l’esprit de village du Hutrel, ancré depuis des siècles, et également son esprit de résistance. Que l’on touche à la mare, à la Vierge, à nos chemins, à nos aubépines, à notre village et Le Hutrel se réveille, Le Hutrel s’émeut, Le Hutrel se mobilise ! Ici les habitants s’aiment et se détestent plus qu’ailleurs, c’est comme ça, c’est l’apanage des communautés, c’est paradoxalement aussi le signe de l’unité et, en tout cas, l’assurance d’un village qui vit.

Ensuite, le « maire » du Hutrel, s’adressant directement à celui de Saint-Lô, fera mine de prouver le caractère profondément saint-lois de son village, en considérant comme acquis depuis longtemps le « raccordement aux eaux usées de la commune » et l’« enfouissement des lignes téléphoniques et Edf », ce qui bien sûr fera rire tout le monde, ces deux réalisations étant renvoyées depuis des années (et jusqu’à aujourd’hui) aux calendes grecques !

Humour et esprit ludique étaient également assurés par les costumes des membres de la commune libre, très composites, à la fois montmartrois, Second Empire, années 1930 ou après-guerre, s’inspirant aussi bien de Jacques Tati (le vélo de Jour de fête) que de Robert Doisneau (les blouses des enfants). Quoi qu’il soit, malgré une météo exécrable et l’annulation des jeux sur la mare, l’objectif de la journée était atteint, selon la presse « le village du Hutrel n’arrêtait décidément pas de faire parler de lui ! ».

Promouvoir autrement : l'exemple du « Communard »

En juillet 2005, un « rallye touristique » s’arrête au Hutrel. Une trentaine de concurrents, munis de leur questionnaire s’affaire dans le village, allant d’une « curiosité » à l’autre. Mais manifestement, une question reste sans réponse. N’y tenant plus, un compétiteur aborde un des rares habitants présents ce jour-là : « Savez-vous comment s’appelle la célèbre boisson médiévale du Hutrel ? » Problème : l’autochtone interpellé se creuse la tête, n’ayant jamais entendu parler de cette vénérable boisson… quand finalement il comprend, il s’agit du « communard », boisson inventée de toute pièce par la commune Libre… en 2003 ! Cette anecdote illustre bien une réussite – involontaire- du travail de renouvellement mené par l’association : inscrire dans le déroulement de la fête des nouveautés qui très vite apparaissent comme des « traditions immémoriales » !

Ces changements ont une ligne conductrice : ne pas tout bouleverser, mais changer petit à petit les pratiques. Pour les jeux sur la mare (« la plus célèbre du Pays saint-lois »), il faut faire tomber dans l’eau, certes, car le public n’attend que cela, mais en installant par exemple davantage de suspense : remplir des seaux exaspérants ou installer sur une poutre au-dessus de l’eau une « victime », surnommée le « blaireau », qui doit attendre le coup de scie fatidique ! De même le Communard visait à renouveler la pratique du vin d’honneur offert aux visiteurs depuis… les années 1930 ! Mais qu’est-ce que ce nouvel apéritif a d’original ? Outre son goût, très agréable, son étiquette, aquarelle dans les tons du village, c’est sa recette qui a immédiatement établi sa notoriété : elle est rigoureusement secrète ! Ce qui bien sûr a donné lieu à d’innombrables concours d’humour sur ses différents crus, en particulier avec le maire de Saint-Lô, à qui, « traditionnellement » une bouteille est remise à l’occasion du vin d’honneur. Ajoutons qu’en 2011, le maire du Hutrel a remis à son homologue saint-lois une copie de la recette, en lui demandant de garder la plus grande discrétion sur sa composition !

Ce nom de « communard » s’inspire bien sûr de la tradition du vin montmartrois, celle du Clos Montmartre, dont la première vendange remonte à 1934. En 2003, le Duo Montmartre, composé d’un accordéoniste et d’un chanteur ont permis de vérifier que le public appréciait et connaissait ce folklore montmartrois, donnant à la fête du Hutrel une ambiance et une couleur exceptionnelles. Quant aux animateurs de la fête et à leurs enfants, le plaisir de se déguiser n’était pas moindre !

Dissipons néanmoins une légende : la toute première commune libre du vieux Montmartre ne visait pas à exalter le souvenir révolutionnaire de la Commune de Paris (mars à mai 1871), mais à s’en libérer, les créateurs de cette association étant excédés par la nostalgie envahissante des quelques survivants revenus vivre à Montmartre. Il s’agissait pour eux uniquement d’animer le quartier, sans forcément parler de 1871.

Comment animer autrement

Pour sa fête annuelle, la commune libre a essayé au cours des années d’organiser une journée festive mêlant tradition et imagination. Pour amener un nouveau public, inventivité, fantaisie, création, doivent être les maîtres mots, il faut surprendre en se renouvelant. Il est donc fait appel à des artistes les plus divers possibles. Il s’agit pour la plupart d’associations bas-normandes, souvent récemment créées, qui viennent donner à la fête une couleur nouvelle. Bien entendu, tous ces spectacles ou animations sont gratuits.

Sur le plan musical, les musiques les plus éclectiques ont été conviées au fil des années. En 1999, c’est le « groove » qui s’invite au Hutrel avec un concert du groupe AB Sextet, qui depuis 1991 s’était illustré sur la scène saint-loise et bien au-delà. Le jazz est également présent, mais lui à quasiment toutes les fêtes avec l’Orchestre de Jean-Pierre Hervieu, donnant au village un petit air de Jazz sous les pommiers, façon swing ! Citons aussi l’Éléfanfare, harmonie créée à Sourdeval en 2008, qui a animé la fête de 2011 grâce à ses très jeunes musiciens et ses drôles de tubas à trompe d’éléphant.

L’art plastique et l’art de rue ont été de la fête eux aussi. En 1999, les peintres d’Art plume viennent brosser le portrait des spectateurs et réaliser sur de grands panneaux des vues saisissantes du village. Ces « artistes en plein air » pouvaient rappeler leurs homologues de Montmartre. Installé depuis 1993 à Saint-Lô, Art plume est un collectif réunissant tous les horizons artistiques. C’est ainsi qu’en 2000, trois artistes plasticiennes, au nom de leur association, Débrouill’art, qui venait de se constituer, ont réalisé, « en direct » elles aussi, des modelages en terre particulièrement remarqués. En 2003, les spectateurs ont pu découvrir l’art de rue grâce à l’association caennaise Microcome (créée en 1999) qui avait installé dans Le Hutrel une ambiance tout à fait inédite avec ses marionnettes géantes, son tricycle musical et ses étranges costumes.

Une autre façon de renouveler la fête a été d’exploiter un thème dans l’air du temps. Par exemple, la fête 2005 s’est déroulée sous l’égide de Jules Verne, dont on fêtait le centenaire de sa mort dans toute la France. Un thème aussi riche a l’avantage de multiplier à l’envie les nouvelles idées d’animation : tombola offrant en premier prix un voyage en montgolfière (avec présence de la nacelle au centre du village), « Tour du Hutrel en 80 jeux », « Concours du meilleur inventeur » pour les enfants, ou « Vingt mille lieues sous la mare » ! Le soleil aidant, les retombées presse avaient été excellentes. Citons Ouest-France : « Loufs, c’est ce qu’ils sont ce jeudi-là les habitants du Hutrel. Une loufoquerie qu’ils aiment partager. D’où le débarquement des percus brésiliennes, les inventions créées par les jeunes façon capitaine Nemo. D’ailleurs, lui-même était là, l’animal, en costume d’époque, se baladant parmi les incrédules… »

Donnons la parole pour conclure à l’habitant du village qui jouait ce jour-là le rôle du capitaine Nemo : « Je me souviens qu’à ma grande surprise les spectateurs voulaient non seulement être pris en photo à mes côtés mais aussi toucher le pompon de mon béret de marin pour qu’il leur porte chance ! Je me souviens aussi que quand je me suis présenté en grand uniforme aux enfants assemblés pour leur concours de machines imaginaires, un petit garçon s’est aussitôt planté devant moi, avec un impeccable salut militaire, en s’écriant : « À vos ordres mon capitaine ! ». Inutile d’ajouter que ce capitaine d’un jour en a gardé un souvenir ému !

La commune libre des enfants

Aux abords du Hutrel, par une nuit de décembre 2000, un automobiliste voit surgir dans la lueur des phares… le Père Noël à cheval ! De saisissement, il cale, le cavalier poursuivant quant à lui, très dignement, son chemin, dans l’obscurité propice de la rue de la Haute-Folie… Ce Père Noël n’était autre qu’un des membres de la commune libre, de retour du Noël des enfants de cette année-là. Bien des communes libres organisent en France pour les enfants de leur quartier des arbres de Noël, mais au Hutrel on innove par la mise en scène, toujours spectaculaire. Plongé dans l’obscurité, le site est propice. D’abord, l’adjoint au conte de Noël rassemble les enfants du village (et leurs parents) dans l’ancienne mairie, pour un conte éclairé aux bougies qui invariablement se termine par un épisode final qui oblige tout le monde à sortir dans la nuit : le Père Noël doit apparaître, mais où ? C’est à ce moment que joue la magie du lieu : soudain la mare s’illumine sur une mystérieuse barque, où on aperçoit la silhouette du Père Noël, ou alors, après des minutes de suspense, on entend les sabots d’un cheval, qui résonnent sous un vieux porche, etc. Il faut dans tous les cas que les enfants soient gardés à distance, le Père Noël étant bien sûr l’un des parents, il peut alors s’éclipser et déposer par terre la hotte remplie de cadeaux (toujours des livres) Une anecdote : au passage du fameux cheval, la propre fille (5 ans ) du Père Noël s’exclame : « C’est rigolo, mon papa il a le même cheval que le père Noël ! ». Mais les enfants grandissent et le jour vient où presque plus personne n’y croit… Lors de l’ultime veillée, le conteur plongera donc le Père Noël dans le coma, en prévenant les désormais adolescents qu’eux seuls pourront le réveiller, à condition de devenir conteurs à leur tour… la vérité obligeant à dire que ce relais ne s’est pas fait !

Quoi qu’il en soit, une phrase revient souvent dans la presse chez les membres de l’association : « Nous organisons cette fête pour fabriquer des souvenirs à nos enfants ». La place accordée aux enfants et aux adolescents est en effet une autre particularité de la Commune libre du Hutrel. Ils sont associés à toutes les étapes de la fête. Ils préparent les lieux, décorent, confectionnent. S’habillant comme leurs grands-parents, ils se déguisent le jour J, distribuent des billets de tombola ou récoltent des dons. Certains jouent d’un instrument et s’intègrent par exemple à « Jazz sous le marronnier ». Mais la grande affaire est bien sûr de participer aux jeux sur la mare. S’ils ont quatorze ans, ils intègrent l’équipe du Hutrel, rituellement opposée à l’équipe du « reste du monde » : l’honneur du village est en jeu, et ils y mettent toute leur énergie ! C’est ainsi qu’en 2005, dans une joute nautique, une des filles du Hutrel fait un plongeon spectaculaire, déclenchant l’hilarité du public… qui très vite se tait : la championne locale ne réapparaît pas, chacun guette la surface troublée de la mare… toujours rien… quand subitement elle émerge enfin, comme propulsée en l’air ! Plus de peur que de mal donc, mais que de souvenirs aussi pour tous les jeunes du Hutrel : il ne faut pas s’étonner que leur sentiment d’appartenance soit si solidement enraciné !

Embellir et améliorer le cadre de vie

Quand on consulte les sites internet des communes libres, on constate toujours qu’en dehors de l’aspect festif, c’est la sauvegarde du lieu auxquelles elles sont attachées qui compte le plus. Ce souci de préservation est soutenu par la municipalité et les habitants (au sens large) des villes concernées. C’est le cas pour Le Hutrel et Saint-Lô. « Nous sommes Saint-Lois et en sommes fiers » peut-on souvent lire dans la presse locale de la part des Hutréliens. Les Saint-Lois, même de fraîche date, sont attachés au Hutrel, qui est un but de promenade ou un lieu de passage incontournable pour les joggeurs ou les cyclistes. N’oublions pas que Saint-Lô est une ville reconstruite, qui a perdu la quasi-totalité de son patrimoine architectural : Le Hutrel en est une parcelle préservée, où on vient se ressourcer (seules trois maisons neuves y ont été construites depuis 1945)

Les services municipaux assurent donc l’entretien et l’embellissement du Hutrel. On peut citer en particulier le curage et surtout l’enrochement de la mare en 1999. Ces travaux avaient été précédés d’une phase de discussion et de concertation : il fallait agir, car les berges de la mare étaient fragilisées et s’affaissaient. Il fallait aussi choisir une solution qui ne dénature pas le site : bien des visiteurs s’imaginent sans doute que ces blocs de pierre ont toujours été là ! Évoquons également la tonte régulière des « communaux » au sens médiéval du terme, la plantation d’arbres ou de massifs de fleurs. Tout cela contribue à la beauté du site, en accord bien sûr avec les habitants.

Mais, comme cela avait été proclamé dès 1996 dans le discours inaugural, Le Hutrel sait aussi se mobiliser contre des projets jugés dangereux pour la préservation du site. Comme le signalait un article de presse, la commune libre est « une commune pour rire qui traite de sujets sérieux ». En 2001-2002, les habitants se sont ainsi prononcés contre la création de champs d’épandage à proximité des maisons, suite au projet d’installation à Saint-Lô de l’entreprise des Maîtres laitiers du Cotentin. En 2005, la construction de la voie express (à quatre voies) au sud de Saint-Lô menaçait de couper les sentiers de randonnée reliant Le Hutrel à Candol et à la vallée de la Vire. La loi stipulant que les associations avaient leur mot à dire dans ce cas de figure a permis à la Commune libre de plaider sa cause dans l'enquête d’utilité publique. Tout comme pour les maîtres laitiers, ces interventions ont été couronnées de succès, même si bien sûr l’association n’était pas la seule à se faire entendre. Malgré tout, l’étiquette « commune libre » a permis à coup sûr d’être davantage écoutés, valant à notre village le qualificatif souvent repris de « petite communauté dynamique » ! Mais la modestie reste de mise, de « lourds dossiers » ne sont toujours pas réglés, en particulier la préservation des talus. Faute d’entretien raisonné, ils s’effondrent peu à peu, menaçant les haies et jusqu’à l’existence même des chemins creux qui convergent vers Le Hutrel et en font tout le charme.

En 2007, de nombreux Saint-Lois alertaient les Hutréliens au sujet d’un article de presse « annonçant la fin du village » ! En effet, un schéma montrait Le Hutrel réduit à une minuscule tache blanche perdue au milieu d’une vaste zone grise représentant une urbanisation imminente ! Renseignements pris auprès de la mairie, il s’agissait en fait d’une projection très maladroite du Plan local d’urbanisme (PLU) alors en préparation. Cette anecdote prouve à nouveau que les habitants de Saint-Lô sont attachés à la préservation du site. La suite des évènements allait montrer au contraire que ce PLU serait globalement basé sur la concertation, et non la contrainte.

Le PLU est un document stratégique élaboré par le Pays Saint-lois pour en définir l’évolution souhaitable à l’horizon 2020 : dynamisme économique, politique de l’habitat, préservation du cadre de vie. La population était clairement appelée à s’y associer. Fidèle à ses objectifs, la commune libre s’inscrit dans ce processus en 2008 et 2009. Elle énonce des propositions précises pour la préservation du cadre de vie du Hutrel. S’inspirant d’initiatives innovantes en matière d’environnement prises par certaines municipalités françaises, l’association propose comme la montre le schéma ci-dessus la création d’une « ceinture verte ». Cette boucle est un sentier pédestre et cycliste qui aurait l’avantage d’assurer à la fois un maillage écologique (développement de la faune et de la flore) et une intégration harmonieuse des lotissements à venir. Des parkings de délestage permettraient en outre de ne pas empiler dans le hameau les voitures des visiteurs.

Les différentes réunions avec les services techniques de la ville ayant été menées dans un esprit très positif, Le Hutrel étant proclamé secteur à forte valeur ajoutée, avec respect du tissu existant, l’essentiel semblait acquis en 2010. Mais le PLU est annulé en décembre 2011 pour vice de forme. La procédure est relancée jusqu’ au 13 octobre 2013, date de l’adoption définitive du PLU. En ce qui concerne Le Hutrel, aucune des dispositions prévues en 2010 n’est modifiée ou annulée. Ce nouveau PLU se traduit dès 2014 par un permis de construire accordé pour la construction d’une zone d’habitation en bas du Chemin du Hutrel, à partir de la rue du Buot. Ce lotissement devait accueillir 80 parcelles de 300 à 400 mètres carrés. Mais au 30 avril 2016, aucun logement n’a encore vu le jour, suite à des recours juridiques. Aucun des aménagements prévu par le PLU n’a également été mis en œuvre au Hutrel. Sa protection est néanmoins assurée.

Bilan et perspectives

Quel bilan tirer de toutes ces années ? Reconnaissons que tout n’a pas toujours été facile : en ce qui concerne la fête, une mauvaise météo douchant les enthousiasmes (1996, 1997, 2002, 2007…), et plus globalement, comme dans toutes les associations en France, des difficultés grandissantes à mobiliser.

Mais au-delà de tous ces moments de découragement, une nécessité perdure, qui ailleurs dans le pays se manifeste de plus en plus, par exemple entre voisins d’une même rue ou d’un même immeuble : celle de recréer du lien. Le Hutrel, comme l’avait si bien défini un journaliste, c’est le « village dans la ville ». Pas de risque ici d’anonymat et, au-delà des querelles, une communauté existe. Cette volonté d’établir des liens se manifeste au-delà du petit cercle des habitants.Le succès populaire de la fête 2011 le prouve, avec le recueil de nombreux témoignages de Saint-lois grâce à l’exposition photo. On peut également mettre en avant l’écoute de la municipalité et l’esprit d’ouverture reconnu par les nombreux promeneurs ou pêcheurs passant leur après-midi au Hutrel.

Paul Valéry écrivait dans Eupalinos (1921) : « Dis moi n’as-tu pas observé en te promenant dans la ville, que d’entre les édifices dont elle est peuplée, les uns sont muets, les autres parlent et d’autres enfin qui sont les plus rares chantent ? » Gageons que ses habitants et au-delà tous les Saint-lois feront tout pour que notre « joli hameau de Normandie » continue encore longtemps à chanter !

Sources

Annuaire du département de la Manche (1895) ; Ouest-France (Vive la République du Hutrel !), 6/7 mai 1978 ; Ouest-France (Le Hutrel se déclare commune libre), 3 mai 1996 ; La Manche Libre (Une cérémonie bien arrosée), 26 mai 1996 ; Ouest-France (Vive la liberté, vive Le Hutrel !), 17 mai 1996 ; Ouest-France (Marseillaise et Communard au Hutrel), 30 mai 2003 ; La Manche Libre (Fête du Hutrel : 80 ans de convivialité), 11 juin 2011 ; Ouest France (Au Hutrel, le jeu d’eau domine), 14 mai 1999 ; Ouest-France (Débrouill’art donne de la voix), 3 juin 2000 ; Ouest-France (La fête du Hutrel a mouillé la chemise), 21 mai 2004.

Liens externes