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« Histoire du Hutrel : juin et juillet 1944 » : différence entre les versions

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==Dimanche 4 et lundi 5 juin 1944==
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[[Fichier:vueaerienne1.jpg.JPG|thumb|Vue aérienne]]


Le 6 juin 1944 est bien sûr une date majeure dans l’histoire de Saint-Lô et de [[Saint-Thomas-de-Saint-Lô]], mais dès le 4 et le 5 l’inquiétude régnait. Essayons de reconstituer l’ambiance qui devait régner dans le village du Hutrel lors de ces deux journées.
Le 6 juin 1944 est bien sûr une date majeure dans l’histoire de Saint-Lô et de [[Saint-Thomas-de-Saint-Lô]], mais dès le 4 et le 5 l’inquiétude régnait. Essayons de reconstituer l’ambiance qui devait régner dans le village du Hutrel lors de ces deux journées.
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==Mardi 6 juin 1944==
==Mardi 6 juin 1944==
<center><gallery caption="L'épisode des postiers">
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Image:ferme postiers.jpg.JPG|Ancienne ferme Goulet.
Image:ferme postiers.jpg.JPG|''Ancienne ferme Goulet''.
Image:ferme aerien.jpg.JPG|Champs vus du ciel 2005.
Image:ferme aerien.jpg.JPG|''Champs vus du ciel (2005)''.
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Dès sept heures du matin, on distingue clairement des centaines d’avions : cette fois-ci il n’y a plus de doute, le débarquement a commencé ! Mais personne n’imagine ce qui va bientôt se passer. Au Hutrel comme ailleurs, la population est privée de nouvelles. Beaucoup d’ailleurs reprennent leur travail.
Dès sept heures du matin, on distingue clairement des centaines d’avions : cette fois-ci il n’y a plus de doute, le débarquement a commencé ! Mais personne n’imagine ce qui va bientôt se passer. Au Hutrel comme ailleurs, la population est privée de nouvelles. Beaucoup d’ailleurs reprennent leur travail.
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C’est alors que cette affaire prend un tour dramatique pour les habitants du Hutrel, les soldats allemands menaçant d’exercer des représailles. Les hommes préfèrent se cacher. C’est ainsi que monsieur Bigot, le maire remplaçant, passe toute la journée dans une réserve de bois. Heureusement, les Allemands renoncent à leurs projets de vengeance.
C’est alors que cette affaire prend un tour dramatique pour les habitants du Hutrel, les soldats allemands menaçant d’exercer des représailles. Les hommes préfèrent se cacher. C’est ainsi que monsieur Bigot, le maire remplaçant, passe toute la journée dans une réserve de bois. Heureusement, les Allemands renoncent à leurs projets de vengeance.


Depuis 10 H 30 du matin, le courant électrique est coupé sur toute l’agglomération de Saint-Lô, le relais électrique venant d’être détruit par la première attaque de bombardiers américains. Comment les habitants du Hutrel ont-ils alors réagi ? Ont-ils aménagé des abris comme certains Saint-Lois ? Nous n’avons pas de sources à ce sujet. Ce qui est sûr, c’est que des Saint-Lois cherchent déjà à quitter la ville pour se réfugier dans les environs. C’est le cas de M. Bigot, qui, accompagné de sa femme, vient dîner et coucher au Hutrel dans sa famille. Il est vrai que sa distillerie était très vulnérable en cas d’incendie.
Depuis 10 h 30 du matin, le courant électrique est coupé sur toute l’agglomération de Saint-Lô, le relais électrique venant d’être détruit par la première attaque de bombardiers américains. Comment les habitants du Hutrel ont-ils alors réagi ? Ont-ils aménagé des abris comme certains Saint-Lois ? Nous n’avons pas de sources à ce sujet. Ce qui est sûr, c’est que des Saint-Lois cherchent déjà à quitter la ville pour se réfugier dans les environs. C’est le cas de M. Bigot, qui, accompagné de sa femme, vient dîner et coucher au Hutrel dans sa famille. Il est vrai que sa distillerie était très vulnérable en cas d’incendie.


Vers 20 h, le ciel étant parfaitement dégagé, les habitants du Hutrel ont sans doute eux aussi pu apercevoir des petits avions laissant derrière eux des traînées blanches : elles servaient à délimiter un couloir pour les forteresses volantes qui les suivaient immédiatement.
Vers 20 h, le ciel étant parfaitement dégagé, les habitants du Hutrel ont sans doute eux aussi pu apercevoir des petits avions laissant derrière eux des traînées blanches : elles servaient à délimiter un couloir pour les forteresses volantes qui les suivaient immédiatement.
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==Mercredi 7 juin 1944==
==Mercredi 7 juin 1944==
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Dans la nuit du 6 au 7 juin, de nombreux Saint-Lois, surtout ceux habitant en périphérie de la ville, gagnent les chemins creux' pour se mettre à l’abri. Vers une heure du matin, une deuxième vague de bombardement s’abat sur tout l’ouest de la ville. Elle surprend tout le monde par sa brutalité (n’oublions  pas que les sirènes d’alerte ne fonctionnent plus). Saint-Lô n’est plus désormais, sous l’effet des bombes au phosphore, qu’un immense brasier : on le distingue forcément à l’arrière du village du Hutrel, sans compter que l’air est devenu irrespirable.
Dans la nuit du 6 au 7 juin, de nombreux Saint-Lois, surtout ceux habitant en périphérie de la ville, gagnent les chemins creux pour se mettre à l’abri. Vers une heure du matin, une deuxième vague de bombardement s’abat sur tout l’ouest de la ville. Elle surprend tout le monde par sa brutalité (n’oublions  pas que les sirènes d’alerte ne fonctionnent plus). Saint-Lô n’est plus désormais, sous l’effet des bombes au phosphore, qu’un immense brasier : on le distingue forcément à l’arrière du village du Hutrel, sans compter que l’air est devenu irrespirable.


Dès l’aube du 7 juin, le trésorier payeur de Saint-Lô, M. Froger, et plusieurs autres fonctionnaires des Finances rejoignent Le Hutrel, qui deviend ainsi le nouveau siège de la Trésorerie générale de la Manche. Il s’agit d’assurer la continuité de l’État : contrôle des deniers publics, remboursement des frais de nourriture des sinistrés, traitement des fonctionnaires, etc... Bien sûr avec les moyens du bord : « Nous sommes toujours en plein champ »; « une table de fortune a été construite », écrit  M. Froger. La Trésorerie ne quitte Le Hutrel que le 27 juin, pour s’installer à [[Baudre]].
Dès l’aube du 7 juin, le trésorier payeur de Saint-Lô, M. Froger, et plusieurs autres fonctionnaires des Finances rejoignent Le Hutrel, qui deviend ainsi le nouveau siège de la Trésorerie générale de la Manche. Il s’agit d’assurer la continuité de l’État : contrôle des deniers publics, remboursement des frais de nourriture des sinistrés, traitement des fonctionnaires, etc... Bien sûr avec les moyens du bord : « Nous sommes toujours en plein champ »; « une table de fortune a été construite », écrit  M. Froger. La Trésorerie ne quitte Le Hutrel que le 27 juin, pour s’installer à [[Baudre]].
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==Jeudi 8 juin 1944==
==Jeudi 8 juin 1944==
====Le Hutrel, village refuge====
====Le Hutrel, village refuge====
<center><gallery caption="La montée au Hutrel">
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Image:exode2.jpg.JPG|Rue du Buot
Image:exode2.jpg.JPG|''Rue du Buot''
Image:exode3.jpg.JPG|Le Monchais
Image:exode3.jpg.JPG|''Le Monchais''
Image:exode4.jpg.JPG|Arrivée au Hutrel
Image:exode4.jpg.JPG|''Arrivée au Hutrel''
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Quand l’aube se lève le 8 juin, l’établissement hospitalier du Bon Sauveur est visé à son tour : l’ordre est alors donné d’évacuer les malades vers Le Hutrel, par les chemins de terre. La Congrégation des filles du Bon Sauveur existe depuis [[1827]] et accueille depuis [[1830]] des femmes atteintes de troubles mentaux. Les bâtiments sont entièrement détruits par les bombardements. Ils se situaient plus au nord que les bâtiments actuels, reconstruits en [[1964]].
Quand l’aube se lève le 8 juin, l’établissement hospitalier du Bon Sauveur est visé à son tour : l’ordre est alors donné d’évacuer les malades vers Le Hutrel, par les chemins de terre. La Congrégation des filles du Bon Sauveur existe depuis [[1827]] et accueille depuis [[1830]] des femmes atteintes de troubles mentaux. Les bâtiments sont entièrement détruits par les bombardements. Ils se situaient plus au nord que les bâtiments actuels, reconstruits en [[1964]].
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==Juin et juillet 1944==
==Juin et juillet 1944==
====Le Hutrel, village-hôpital====
====Le Hutrel, village-hôpital====
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Image:grange1942.jpg.JPG|En 1942.
Image:grange1942.jpg.JPG|''En 1942''.
Image:grange2011.jpg.JPG|En 2011.
Image:grange2011.jpg.JPG|''En 2011''.
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En ces mois de juin et juillet, le Hutrel est d’abord un hôpital de fortune. En effet, dès le 7 juin, il ne reste rien de l’hôpital de Saint-Lô, les six pharmacies de la ville étant également détruites. Cette photo prise en [[1942]] montre bien les lieux tels qu’ils devaient être deux ans plus tard : la grande maison à gauche était celle de madame Delaroque, qui a accepté d’en faire une clinique. Le garage (qu’on distingue peut-être sur la droite de la maison) abrite une cinquantaine de blessés, tandis qu’une des pièces de la maison devient salle d’opérations. Les instruments chirurgicaux sont rangés sur le piano… À droite de la photo, la grange accueille elle aussi de nombreux blessés. Quant à la mairie (au centre de la photo), elle fait office de pharmacie, du chloroforme et des médicaments ayant pu être sauvés à temps du Bon Sauveur. Au Hutrel se constituent des groupes de secours qui, souvent au péril de leur vie, acheminent sur leur dos ou sur des brancards les blessés trouvés dans les ruines de Saint-Lô.
En ces mois de juin et juillet, le Hutrel est d’abord un hôpital de fortune. En effet, dès le 7 juin, il ne reste rien de l’hôpital de Saint-Lô, les six pharmacies de la ville étant également détruites. Cette photo prise en [[1942]] montre bien les lieux tels qu’ils devaient être deux ans plus tard : la grande maison à gauche était celle de madame Delaroque, qui a accepté d’en faire une clinique. Le garage (qu’on distingue peut-être sur la droite de la maison) abrite une cinquantaine de blessés, tandis qu’une des pièces de la maison devient salle d’opérations. Les instruments chirurgicaux sont rangés sur le piano… À droite de la photo, la grange accueille elle aussi de nombreux blessés. Quant à la mairie (au centre de la photo), elle fait office de pharmacie, du chloroforme et des médicaments ayant pu être sauvés à temps du Bon Sauveur. Au Hutrel se constituent des groupes de secours qui, souvent au péril de leur vie, acheminent sur leur dos ou sur des brancards les blessés trouvés dans les ruines de Saint-Lô.
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====Morts et naissances====
====Morts et naissances====
<center><gallery caption="Une maternité au Hutrel">
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Image:madeleine1.jpg.jpg|L'ancienne maison Madeleine.
Image:madeleine1.jpg.jpg|''L'ancienne maison Madeleine''.
Image:madeleine2.jpg.JPG|Les époux Madeleine.
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Image:madeleine3.jpg.JPG|Localisation aujourd'hui.
Image:madeleine3.jpg.JPG|''Localisation aujourd'hui''.
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Malgré tous les efforts de ces médecins, bien des blessés ne peuvent survivre à leurs blessures, faute de transfusion sanguine ou de vaccins antitétaniques. Certains meurent dans la grange, dont un enfant de dix ans. L’étable de M. Goulet fait office de morgue. Les décès sont enregistrés à la mairie, l’état civil fonctionnant toujours grâce à M. Thomas. Les corps sont ensuite enterrés près du pont de Gourfaleur. Une seule personne bénéficiera d’un cercueil. Saint-Thomas n’a pas de cimetière, sinon celui de Saint-Lô.
Malgré tous les efforts de ces médecins, bien des blessés ne peuvent survivre à leurs blessures, faute de transfusion sanguine ou de vaccins antitétaniques. Certains meurent dans la grange, dont un enfant de dix ans. L’étable de M. Goulet fait office de morgue. Les décès sont enregistrés à la mairie, l’état civil fonctionnant toujours grâce à M. Thomas. Les corps sont ensuite enterrés près du pont de Gourfaleur. Une seule personne bénéficiera d’un cercueil. Saint-Thomas n’a pas de cimetière, sinon celui de Saint-Lô.
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====Une nouvelle organisation sociale====
====Une nouvelle organisation sociale====
[[Fichier:eau potable.jpg.JPG|thumb|right]]
[[Fichier:eau potable.jpg.JPG|thumb|Eau potable à la fontaine]]


Un article de ''La Manche Libre'', paru en [[1969]], tente de restituer la nouvelle organisation sociale des milliers de personnes vivant désormais au Hutrel : « Au Hutrel, une vie sociale, proche de la tribu, s’organise. Les gens sont bons les uns pour les autres et trouvent les mots qui conviennent pour se réconforter mutuellement. Il faut aider les médecins, si besoin, et se transformer en fossoyeur quand tout est fini pour celui-ci ou celui-là. La chaux blanche saupoudre les tombes. Un service municipal improvisé fonctionne dans la mairie du village. Sa principale mission consiste à pourvoir à l’alimentation réduite des personnes ici rassemblées. Un poste à galène permet, le soir, d’avoir des nouvelles de la vie militaire. »
Un article de ''La Manche Libre'', paru en [[1969]], tente de restituer la nouvelle organisation sociale des milliers de personnes vivant désormais au Hutrel : « Au Hutrel, une vie sociale, proche de la tribu, s’organise. Les gens sont bons les uns pour les autres et trouvent les mots qui conviennent pour se réconforter mutuellement. Il faut aider les médecins, si besoin, et se transformer en fossoyeur quand tout est fini pour celui-ci ou celui-là. La chaux blanche saupoudre les tombes. Un service municipal improvisé fonctionne dans la mairie du village. Sa principale mission consiste à pourvoir à l’alimentation réduite des personnes ici rassemblées. Un poste à galène permet, le soir, d’avoir des nouvelles de la vie militaire. »
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====Les combats et l'exode====
====Les combats et l'exode====
<center><gallery caption="Combats au Hutrel">
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Image:maison disparue.jpg.JPG|<center>Maison détruite (1905).</center>
Image:maison disparue.jpg.JPG|<center>''Maison détruite (1905)''.</center>
Image:combats2.jpg.JPG|<center>La grange-abri.</center>
Image:combats2.jpg.JPG|<center>''La grange-abri''.</center>
Image:combats1.jpg.JPG|<center>Zone de bombardements.</center>
Image:combats1.jpg.JPG|<center>''Zone de bombardements''.</center>
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La destruction de Saint-Lô (à 95 %) n’a fait que peu de victimes parmi les troupes allemandes, qui quittent la ville dans la nuit du 5 au 6 juin. Dès le 9 juin, l’artillerie prend position autour du séminaire d’[[Agneaux]]. Le 14 juin, la ''2{{e}} Panzer Grenadier'' « Das Reich » prend position au sud-ouest de Saint-Lô. Quant à l’infanterie américaine, elle ne peut entamer les combats dans la ville que le 18 juillet, la libération intervenant le 28. Tout cela amène de nouveaux bombardements, anglais cette fois-ci. Le 24 juillet, la Royal Air-Force déverse 953 tonnes de bombes…
La destruction de Saint-Lô (à 95 %) n’a fait que peu de victimes parmi les troupes allemandes, qui quittent la ville dans la nuit du 5 au 6 juin. Dès le 9 juin, l’artillerie prend position autour du séminaire d’[[Agneaux]]. Le 14 juin, la ''2{{e}} Panzer Grenadier'' « Das Reich » prend position au sud-ouest de Saint-Lô. Quant à l’infanterie américaine, elle ne peut entamer les combats dans la ville que le 18 juillet, la libération intervenant le 28. Tout cela amène de nouveaux bombardements, anglais cette fois-ci. Le 24 juillet, la Royal Air-Force déverse 953 tonnes de bombes…

Version du 21 mai 2018 à 10:52

Le lieu-dit « Le Hutrel » est un petit village à l'ancienne niché dans la ville de Saint-Lô. Par son architecture, son histoire, sa vie associative , c'est un lieu unique, qui ne laisse personne indifférent !

La page Le Hutrel permet de situer ce petit coin de Normandie. Après avoir raconté l’histoire du Hutrel de 1800 à l’occupation allemande, poursuivons-la en évoquant juin et juillet 1944.

Dimanche 4 et lundi 5 juin 1944

Vue aérienne

Le 6 juin 1944 est bien sûr une date majeure dans l’histoire de Saint-Lô et de Saint-Thomas-de-Saint-Lô, mais dès le 4 et le 5 l’inquiétude régnait. Essayons de reconstituer l’ambiance qui devait régner dans le village du Hutrel lors de ces deux journées.

Une certitude : le ciel était radieux , cette fin de printemps magnifique. Mais , dès le dimanche, les signaux d’alerte se multiplient : de nombreuses escadrilles survolent déjà la région et le courant électrique (en raison des premiers sabotages) est coupé dans l’après-midi de dimanche pour ne revenir qu’en soirée. Le lundi, le fond sonore devient obsédant, les avions sont de plus en plus nombreux. À 23 h 50, la sirène donne l’alerte (le couvre-feu étant à 23 h) : elle est bien sûr entendue au Hutrel, chacun étant au pas de sa porte. Dans la nuit, un grondement ininterrompu s’amplifie encore…

Mardi 6 juin 1944

Dès sept heures du matin, on distingue clairement des centaines d’avions : cette fois-ci il n’y a plus de doute, le débarquement a commencé ! Mais personne n’imagine ce qui va bientôt se passer. Au Hutrel comme ailleurs, la population est privée de nouvelles. Beaucoup d’ailleurs reprennent leur travail.

Dans l’après-midi, on installe des tentures noires dans l’église Notre-Dame de Saint-Lô. Elles sont destinées aux obsèques, prévues le lendemain, de M. Polin, l’ancien maire de Saint-Thomas-de-Saint-Lô. M. Polin est décédé le samedi 3 juin. Par une sinistre ironie, ces tentures noires flotteront longtemps dans l’église en ruines… C’est le maire adjoint de Saint-Lô, Raymond Bigot, qui fera alors office de maire pour la commune de Saint-Thomas.

Dans l’après-midi également, les agents des services techniques restés dans les bureaux de la Poste sont arrêtés par les Allemands, ceux-ci les accusent d’avoir saboté les lignes téléphoniques (à tort, les deux vrais résistants s’étant évidemment éclipsés depuis la veille). De Saint-Lô, ces techniciens sont emmenés sous bonne escorte au Hutrel et enfermés dans la charreterie de M. Goulet (aujourd’hui décédé ), cultivateur et conseiller municipal. Mais les postiers parviennent à s’échapper par une trappe, pendant que monsieur Goulet sert un vieux calvados aux sentinelles ! Les photos montrent que les fugitifs ont pu rapidement gagner les champs situés derrière la ferme.

C’est alors que cette affaire prend un tour dramatique pour les habitants du Hutrel, les soldats allemands menaçant d’exercer des représailles. Les hommes préfèrent se cacher. C’est ainsi que monsieur Bigot, le maire remplaçant, passe toute la journée dans une réserve de bois. Heureusement, les Allemands renoncent à leurs projets de vengeance.

Depuis 10 h 30 du matin, le courant électrique est coupé sur toute l’agglomération de Saint-Lô, le relais électrique venant d’être détruit par la première attaque de bombardiers américains. Comment les habitants du Hutrel ont-ils alors réagi ? Ont-ils aménagé des abris comme certains Saint-Lois ? Nous n’avons pas de sources à ce sujet. Ce qui est sûr, c’est que des Saint-Lois cherchent déjà à quitter la ville pour se réfugier dans les environs. C’est le cas de M. Bigot, qui, accompagné de sa femme, vient dîner et coucher au Hutrel dans sa famille. Il est vrai que sa distillerie était très vulnérable en cas d’incendie.

Vers 20 h, le ciel étant parfaitement dégagé, les habitants du Hutrel ont sans doute eux aussi pu apercevoir des petits avions laissant derrière eux des traînées blanches : elles servaient à délimiter un couloir pour les forteresses volantes qui les suivaient immédiatement.

En quelques secondes, 300 tonnes de bombes sont larguées sur Saint-Lô. Est-ce que les habitants du Hutrel étaient encore à table, comme tant de Saint-Lois à la même heure ? Mais eux auront la chance d’être épargnés par les bombes.

Le corps de M. Polin reposait rue Octave-Feuillet (cette rue existe toujours à Saint-Lô , à peu près au même endroit) : cercueil et corps sont pulvérisés… Tout le centre autour de la mairie actuelle est détruit ou en flammes. Mais il n’est pas sûr que les habitants du Hutrel aient pu en avoir conscience, certains quartiers de Saint-Lô n’ayant ressenti que des secousses très atténuées.

Mercredi 7 juin 1944

Dans la nuit du 6 au 7 juin, de nombreux Saint-Lois, surtout ceux habitant en périphérie de la ville, gagnent les chemins creux pour se mettre à l’abri. Vers une heure du matin, une deuxième vague de bombardement s’abat sur tout l’ouest de la ville. Elle surprend tout le monde par sa brutalité (n’oublions pas que les sirènes d’alerte ne fonctionnent plus). Saint-Lô n’est plus désormais, sous l’effet des bombes au phosphore, qu’un immense brasier : on le distingue forcément à l’arrière du village du Hutrel, sans compter que l’air est devenu irrespirable.

Dès l’aube du 7 juin, le trésorier payeur de Saint-Lô, M. Froger, et plusieurs autres fonctionnaires des Finances rejoignent Le Hutrel, qui deviend ainsi le nouveau siège de la Trésorerie générale de la Manche. Il s’agit d’assurer la continuité de l’État : contrôle des deniers publics, remboursement des frais de nourriture des sinistrés, traitement des fonctionnaires, etc... Bien sûr avec les moyens du bord : « Nous sommes toujours en plein champ »; « une table de fortune a été construite », écrit M. Froger. La Trésorerie ne quitte Le Hutrel que le 27 juin, pour s’installer à Baudre.

Jeudi 8 juin 1944

Le Hutrel, village refuge

Quand l’aube se lève le 8 juin, l’établissement hospitalier du Bon Sauveur est visé à son tour : l’ordre est alors donné d’évacuer les malades vers Le Hutrel, par les chemins de terre. La Congrégation des filles du Bon Sauveur existe depuis 1827 et accueille depuis 1830 des femmes atteintes de troubles mentaux. Les bâtiments sont entièrement détruits par les bombardements. Ils se situaient plus au nord que les bâtiments actuels, reconstruits en 1964.

Les photos reconstituent un des trajets possibles de cet exode. Il faut imaginer sur ces chemins étroits plusieurs centaines de personnes, habillées sommairement, dont deux cents impotentes ou blessées et une cinquantaine de malades mentaux terrorisés, en camisole. Il faut imaginer aussi leur arrivée au Hutrel, devant des habitants atterrés. Les malades les plus agités devront être attachés aux arbres (cette scène horrible nous a été racontée à plusieurs reprises). On décide ensuite de les disperser dans d’autres hameaux de Saint-Thomas, à proximité du Hutrel : la Canée et… la Haute Folie (ce nom, et la rue, subsistent aujourd’hui).

Mais bien d’autres Saint-Lois suivront : on estime que Saint-Thomas recevra entre 4 000 et 5 000 personnes ! (un article de La Manche Libre, paru en 1969, évoque un total de 4 800). Quel que soit le nombre exact, il faut essayer de se représenter l’épreuve que vont subir ces réfugiés, laissant derrière eux leurs maisons en feu ou détruites. Donnons la parole à un témoin, Mme Letenneur : « Je pars pour le Hutrel - plusieurs kilomètres, seule par d’interminables petits chemins où je me suis perdue, retrouvée, reperdue. »

C’est Le Hutrel qui reçoit la majorité de ces réfugiés. Pourquoi ? À cause de sa proximité, au sud immédiat de Saint-Lô (voir la photo aérienne). Mais aussi et surtout grâce au dévouement des habitants et au sens de l’organisation des volontaires de tous bords (médecins, infirmières, fonctionnaires, religieux) venus à la rescousse. Citons en particulier M. Bigot, qui s’installe dans la mairie comme maire suppléant, M. Goulet, les docteurs Oblin et de Lafargue, ainsi que l’abbé Bonpetit.

Juin et juillet 1944

Le Hutrel, village-hôpital

En ces mois de juin et juillet, le Hutrel est d’abord un hôpital de fortune. En effet, dès le 7 juin, il ne reste rien de l’hôpital de Saint-Lô, les six pharmacies de la ville étant également détruites. Cette photo prise en 1942 montre bien les lieux tels qu’ils devaient être deux ans plus tard : la grande maison à gauche était celle de madame Delaroque, qui a accepté d’en faire une clinique. Le garage (qu’on distingue peut-être sur la droite de la maison) abrite une cinquantaine de blessés, tandis qu’une des pièces de la maison devient salle d’opérations. Les instruments chirurgicaux sont rangés sur le piano… À droite de la photo, la grange accueille elle aussi de nombreux blessés. Quant à la mairie (au centre de la photo), elle fait office de pharmacie, du chloroforme et des médicaments ayant pu être sauvés à temps du Bon Sauveur. Au Hutrel se constituent des groupes de secours qui, souvent au péril de leur vie, acheminent sur leur dos ou sur des brancards les blessés trouvés dans les ruines de Saint-Lô.

Malheureusement, aucun chirurgien n'est sur place : ce sont donc les médecins réunis là qui vont procéder aux opérations, souvent délicates (amputations, énucléations, etc.). Au fil des années, des personnes évoquent tout cela avec émotion. Un de ces médecins, le Dr Bourdon tient un journal : le mardi 4 juillet, il signale qu’il en est « à son 62e acte médical ». En outre, 250 malades mentales réclament des soins permanents

Morts et naissances

Malgré tous les efforts de ces médecins, bien des blessés ne peuvent survivre à leurs blessures, faute de transfusion sanguine ou de vaccins antitétaniques. Certains meurent dans la grange, dont un enfant de dix ans. L’étable de M. Goulet fait office de morgue. Les décès sont enregistrés à la mairie, l’état civil fonctionnant toujours grâce à M. Thomas. Les corps sont ensuite enterrés près du pont de Gourfaleur. Une seule personne bénéficiera d’un cercueil. Saint-Thomas n’a pas de cimetière, sinon celui de Saint-Lô.

Lors de la fête du Hutrel 1994, quelques personnes se sont manifestées pour apporter leur témoignage sur les sépultures provisoires d’un membre de leur famille décédé au Hutrel et leur localisation dans le village, en particulier derrière l’ex-grange. Même cinquante ans après, l’émotion était vive, aucun des habitants actuels présents ce jour-là ne l’a oubliée.

Mais des évènements heureux surviennent également, à savoir des naissances. L’une en particulier mérite d’être racontée. Les photos ci-dessus en restituent le cadre : cette naissance a lieu dans la maison de M. Léon Madeleine, aujourd’hui détruite. Elle se situait à peu près au centre de la vue panoramique prise en 2010. À noter que l’ancien café du village possède encore aujourd’hui une inscription évoquant les époux Madeleine : il s’agit des parents de Léon Madeleine.

En juillet 1944, un accouchement se présente mal, nécessitant une césarienne. Comment trouver un spécialiste ? Le frère du maire-adjoint, monsieur Valentin Bigot, s’aventure dans les chemins creux avec une carriole, à la recherche d’un chirurgien, au péril de sa vie, entre bombardements et échanges de tir. En vain… Ce sont donc les docteurs Oblin et de Lafargue qui feront à nouveau des prodiges, et mèneront à bien cette césarienne. On peut donc dire que le Hutrel, avec la maison de M. Madeleine, avait aussi sa maternité.

Une nouvelle organisation sociale

Eau potable à la fontaine

Un article de La Manche Libre, paru en 1969, tente de restituer la nouvelle organisation sociale des milliers de personnes vivant désormais au Hutrel : « Au Hutrel, une vie sociale, proche de la tribu, s’organise. Les gens sont bons les uns pour les autres et trouvent les mots qui conviennent pour se réconforter mutuellement. Il faut aider les médecins, si besoin, et se transformer en fossoyeur quand tout est fini pour celui-ci ou celui-là. La chaux blanche saupoudre les tombes. Un service municipal improvisé fonctionne dans la mairie du village. Sa principale mission consiste à pourvoir à l’alimentation réduite des personnes ici rassemblées. Un poste à galène permet, le soir, d’avoir des nouvelles de la vie militaire. »

Le mot «tribu» évoque sans doute les conditions de logement de tous ces réfugiés. Certes, toutes les maisons, ainsi que les étables, les écuries, accueillent les personnes les plus fragiles. Pour les autres, la capacité de logement étant évidemment limitée, ce sont des tentes improvisées qui s’éparpillent autour du Hutrel, avec des couvertures… Le manque de vêtements de rechange et de savon se fait cruellement sentir. « On était affreusement sale », avoue un témoin.

Outre le logement, la grande préoccupation est effectivement la nourriture. Lait, pain, beurre sont d’abord fournis par la population. Ensuite M. Bigot, dès le 8 juin, envoie des équipes se fournir auprès d’une ancienne épicerie, de fermes environnantes, etc. Des bons sont fournis en échange, qui sont ensuite validés par la préfecture, avec remboursement : nouvel exemple de la permanence et de l’efficacité de l’administration ! Par ailleurs la distribution des vivres est strictement encadrée, par cantonnements, sous l’autorité de l’abbé Bonpetit. En revanche, la répartition de l’eau potable sera plus délicate, la chapelle-fontaine du village étant l’objet de toutes les convoitises (le petit bassin toujours visible aujourd’hui était quasiment le même en 1944). Un tour de garde est donc assuré jour et nuit, en particulier par monsieur Oblin. Enfin le pain pose également de gros problèmes d’approvisionnement en farine et de rationnement, le blé étant très peu cultivé dans la région. Des équipes de volontaires parviennent néanmoins à moudre du grain au moulin de Candol et à cuire du pain dans les vieux fours des fermes. Malgré tous ces efforts, la ration individuelle n’excède pas 100 grammes par personne…

Cette nouvelle organisation sociale repose aussi sur l’information, l’article évoquant un « poste à galène », chacun bien sûr étant avide de nouvelles sur l’évolution des combats. Les Allemands sont présents eux-aussi autour du village, et ce poste est clandestin. Plus étonnant encore, Le Hutrel dispose d’un journal, lui aussi clandestin, intitulé L’Écho du Hutrel ! Dactylographié par Mlle Lemoigne, il donne au jour le jour des nouvelles du front normand et européen, entretenant ainsi le moral de tous les sans-abris du Hutrel.

En voici un extrait, daté du mercredi 5 juillet 1944, 7 h 30 : « Russie. En Russie Blanche, l’armée allemande subit la plus formidable débâcle de son histoire, après avoir rapidement dépassé Minsk, les Russes, ne laissant aucun répit aux armées en retraite, foncent vers la Prusse Orientale dont ils sont à moins de 300 km et rien désormais ne pourra plus les arrêter ».

Les combats et l'exode

La destruction de Saint-Lô (à 95 %) n’a fait que peu de victimes parmi les troupes allemandes, qui quittent la ville dans la nuit du 5 au 6 juin. Dès le 9 juin, l’artillerie prend position autour du séminaire d’Agneaux. Le 14 juin, la 2e Panzer Grenadier « Das Reich » prend position au sud-ouest de Saint-Lô. Quant à l’infanterie américaine, elle ne peut entamer les combats dans la ville que le 18 juillet, la libération intervenant le 28. Tout cela amène de nouveaux bombardements, anglais cette fois-ci. Le 24 juillet, la Royal Air-Force déverse 953 tonnes de bombes…

Saint-Thomas n’échappe évidemment pas aux combats pour la libération de Saint-Lô. Pour ce qui est du Hutrel, un témoignage précieux est parvenu, celui de M. Saletes. Faisant partie des équipes de sauveteurs bénévoles, réfugié à Agneaux, il raconte ses visites fréquentes au Hutrel, le vacarme permanent de l’artillerie de gros calibre. Une journée (fin juin ? début juillet ?) l’a marqué plus particulièrement. Il raconte tout d’abord que des obus ont fait plusieurs victimes dans un « chemin-abri » et qu’une maison a été détruite. Cette maison serait celle représentée sur la photo n° 1 , elle était située dans l’espace que l’on peut découvrir en franchissant le porche (photo n° 2 ).

M. Saletes évoque ensuite des tirs d’obus de plus en plus fréquents. Réfugié avec lui dans la grange (photo n° 2 à droite), l’abbé Bonpetit lui montre, camouflé sous les feuillages, un camion-radio allemand, avec ses deux opérateurs. « Voilà donc ce qui attire les obus sur Le Hutrel », déclare-t-il. Les obus continuent à tomber, tout le monde quitte la grange, qui est miraculeusement épargnée. Dans les champs voisins, des vaches agonisent… Photo n° 3 (chemin menant aujourd’hui vers Xavier-Antoine) est le cadre probable de ces bombardements, si l’on se fie au récit de M. Saletes et à la tradition orale du village.

M. Saletes apprendra plus tard que l’abbé Bonpetit, juste après cette pluie d’obus, passe les lignes pour prévenir les Alliés de la concentration des réfugiés au Hutrel. Est-ce donc à l’abbé Bonpetit que Le Hutrel doit de ne pas avoir été détruit entièrement pendant ces jours tragiques ? La question mérite d’être posée.

Quoi qu’il en soit, le commandement allemand ordonne dès le 8 juillet au soir l’évacuation de toute la zone de Saint-Lô . À partir du lendemain, tout Français contrevenant à cet ordre est passible d’une exécution immédiate. Les habitants de Saint-Thomas, et donc les réfugiés, sont tous partis sur les routes de l’exode, mais on ne sait dans quelles directions.

Dès l'ordre d'évacuation, les malades du Bon-Sauveur sont divisés en groupes de vingt, encadrés par une religieuse et des employées civiles. On marche alors par étapes (une journée pour 20 kilomètres, une journée de repos et ainsi de suite). Voici les villes traversées : Hambye, Villedieu-les-Poêles, Cuves, Saint-Hilaire-du-Maine (en Mayenne ), Ducey, Mortain ! Le Dr Oblin, souvent cité dans ce récit, fait preuve d'un remarquable dévouement envers les réfugiés du Hutrel. Il meurt d’épuisement à Genêts.

Sources

  • Maurice Lantier, Saint-Lô au bûcher, 1969.
  • « Dimanche, au Hutrel, on se souviendra », La Manche Libre, juin 1969.
  • Les secrets de la licorne, Jeune chambre économique, 1988.
  • La Manche Libre, 28 mai 1950.
  • Le site de la Fondation du Bon Sauveur (historique ) : Fondation saint-Sauveur.

Voir aussi

49°06′07″N 1°05′56″W49.10194, -1.09889