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Le lieu-dit Le Hutrel est un petit village à l'ancienne niché dans la ville de [[Saint-Lô]].
Le lieu-dit '''[[Le Hutrel]]''' est un petit village à l'ancienne niché dans la ville de [[Saint-Lô]].


Par son architecture, son histoire, sa vie associative, c'est un lieu remarquable, qui ne laisse personne indifférent.
Par son architecture, son histoire, sa vie associative, c'est un lieu remarquable, qui ne laisse personne indifférent.


Si vous êtes tombé par hasard sur cette page, l’article intitulé [[Le Hutrel]] vous permettra de situer ce petit coin de Normandie. Après en avoir évoqué l’histoire en juin et juillet [[1944]], nous la poursuivons ici de l’après-guerre à [[1964]].
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==Une nouvelle République de 1945 à 1947==
==Une nouvelle République de 1945 à 1947==
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* « Noël saint-Lois, Noël de joie », ''La Manche Libre'', 23 décembre 1963
* « Noël saint-Lois, Noël de joie », ''La Manche Libre'', 23 décembre 1963
* « Fusion Saint-Lô/Saint-Thomas », ''Ouest-France'', 20 février 1964
* « Fusion Saint-Lô/Saint-Thomas », ''Ouest-France'', 20 février 1964
* [http://linternaute.com Quatrième République ]
* [http://surlespasdessaints.over-blog.com Catherine Labouré]
* [http://surlespasdessaints.over-blog.com Catherine Labouré]
* [http://fr.wikipedia.org/wiki/Croix_de_guerre_1939-1945 Croix de guerre]
* [http://fr.wikipedia.org/wiki/Croix_de_guerre_1939-1945 Croix de guerre]


[[Catégorie:Le Hutrel|Histoire 1945]]
[[Catégorie:Histoire du Hutrel|1945]]

Dernière version du 10 octobre 2022 à 08:59

Le lieu-dit Le Hutrel est un petit village à l'ancienne niché dans la ville de Saint-Lô.

Par son architecture, son histoire, sa vie associative, c'est un lieu remarquable, qui ne laisse personne indifférent.

Si vous êtes tombé par hasard sur cette page, l’article intitulé Le Hutrel vous permettra de situer ce petit coin de Normandie. Après en avoir évoqué l’histoire en juin et juillet 1944, nous la poursuivons ici de l’après-guerre à 1964.

Une nouvelle République de 1945 à 1947

La mairie du Hutrel

Comme beaucoup de communes normandes, Saint-Thomas-de-Saint-Lô a eu en 1944 son lot de destructions et de victimes civiles. Un article de La Manche Libre (1963) évoque La Haute Folie « détruite et reconstruite », ainsi que Candol, « qui eut à souffrir des bombardements ». En comparaison, Le Hutrel est quasi intact (une seule maison détruite) et aucune victime à déplorer lors de l’exode de juillet 1944.

Si pendant la guerre, la mairie de Saint-Thomas, située au Hutrel, était devenue « le centre administratif et charitable » de Saint-Lô, elle redevient dès 1945 le centre névralgique de la vie démocratique, comme dans toutes les communes de France. Qu’on en juge : élection municipale (avril-mai : dernière élection de la IIIe République, vote des femmes), instauration de la IVe République (13 octobre 1946), nouvelle élection municipale, avec un nouveau mode de scrutin (19 et 26 octobre 1947).

À cette occasion, c’est Joseph Lavalley, cultivateur à Candol, qui est élu maire de Saint-Thomas. Il sera réélu aux élections de 1953 et 1959. Il sera également le dernier maire de la commune, qui sera définitivement rattachée à Saint-Lô en 1964.

La statue de la Vierge (1946)

Si le pays panse peu à peu ses plaies, il est évident que le souvenir des épreuves endurées en 1944 reste vif dans la population saint-loise. En particulier chez les habitants du quartier de Béchevel, qui se situait dans le bas de l’actuelle route de Tessy, qui mène directement au Hutrel. Dès le 6 juin, ses habitants ont été nombreux à se réfugier dans les chemins creux autour du Hutrel. Au cours des trois semaines d’épouvante qui ont suivi, beaucoup ont imploré la Vierge, certains se promettant d’ériger une statue en gage de reconnaissance si leurs vies restaient sauves. De fait, quand l’ordre d’évacuation sera donné par les Allemands début juillet, personne n’avait péri.

Deux ans plus tard, à l’initiative de M. Macé et des quelques personnes qui avaient fait ce vœu avec lui, un monument est érigé au Hutrel. L’emplacement n’est pas dû au hasard : sa proximité avec le débouché d’un chemin creux rappelle les circonstances de l’exode. La statue est haute d’un mètre soixante-cinq et repose sur un socle de granit. La grille qui l’entoure sera posée plus tard. Quant au « rideau de verdure » qui devait l’entourer, le choix se portera sur la plantation d’un thuya (Thuya gigantis exactement ). À l’origine les vêtements de la Vierge étaient entièrement blancs, la couleur bleue ne sera ajoutée que plus tard (années 1970).

La bénédiction solennelle de la statue a lieu le dimanche 18 août 1946, en fin d’après-midi, sous un beau soleil alors que l’été avait été plutôt pluvieux. C’est l’abbé Soyer, archiprêtre de Saint-Lô, qui préside à la cérémonie, devant une très nombreuse assistance. La fanfare de l’Espérance a été conviée pour l’occasion.

Cette statue représente la Vierge telle qu’elle serait apparue à sœur Catherine Labouré (1806-1876). Née en Bourgogne, celle-ci entre très jeune à la Congrégation des Filles de la Charité, au couvent de la rue du Bac, à Paris. En 1830, elle raconte à son directeur spirituel que la Vierge lui est apparue deux fois. Elle en fait une description très précise. La Vierge se tenait debout sur une « moitié de boule » et piétinait « un serpent de couleur verdâtre ». Elle était vêtue de « soie blanche aurore », épousant les formes du corps. Un voile couvre la tête et descend de chaque côté jusqu’aux pieds. De ses mains offertes jaillissent de toutes parts des rayons de lumière.

Tous ces traits, sauf bien sûr les rayons de lumière, se retrouvent dans la statue du Hutrel. Ajoutons que Catherine Labouré raconte aussi que tout autour de la Vierge apparaissaient ces mots : « Ô Marie conçue sans péché, priez pour nous qui avons recours à vous » et qu’ensuite la Vierge lui avait dit : « C’est l’image des grâces que je répands sur les personnes qui me les demandent ». Dès 1832, l’archevêché de Paris fait frapper une médaille de la Vierge conforme à la vision de Catherine Labouré, accompagnée des mots « Conçue sans péché ». Cette médaille, appelée la « médaille miraculeuse », devient vite extrêmement populaire, en particulier pendant l’épidémie de choléra qui sévira cette même année. Les pouvoirs de protection attribués à cette médaille ne seraient pas démenties jusqu’à nos jours et il est probable que certains des Saint-Lois regroupés autour de M. Macé la portaient sur eux et que c’est elle qu’ils imploraient. À noter que l’identité de Catherine Labouré ne sera révélée qu’à sa mort, sur sa volonté expresse. Elle a été canonisée le 27 juillet 1947, soit presque un an jour pour jour après la bénédiction de la statue du Hutrel.

Cette Vierge au globe est très riche sur le plan symbolique. Le globe tout d’abord pourrait représenter le monde entier, que la Vierge inonde de lumière. La couleur verte, celle du serpent, est associée au Diable depuis le Moyen Âge (on évitait alors de porter du vert sur soi). Quant au serpent lui-même, on voit qu’il est associé à la pomme, le fruit de la connaissance du bien et du mal dans la Bible. La Vierge piétine et écrase Satan, le tentateur maléfique. À l’inverse, la couleur blanche de la robe symbolise bien sûr la pureté, la chasteté. Enfin les mains étendues symbolisent le don, la protection, la grâce divine.

Saint-Thomas : citation à l'ordre du régiment (1948)

Saint-Thomas–de-Saint-Lô fait partie des 1 548 communes françaises à avoir reçu la Croix de Guerre 1939-1945. Cette distinction est exceptionnelle rapportée au nombre de communes en France (36 682 en 2010) et évidemment un peu plus en 1948). Parmi les autres communes normandes à l’avoir reçue, on peut citer Cherbourg, Gréville-Hague, Millières ou Vire. Cette décoration militaire distinguait les personnes civiles ou militaires ayant fait l’objet d’une citation. Concernant les civils, elle visait à honorer la participation directe de la population à la résistance ou les sacrifices supportés du fait de l’occupation ou des bombardements. Voici l’intégralité de cette citation :

À L’ORDRE DU RÉGIMENT
SAINT-THOMAS DE SAINT-LÔ (Manche)
« Commune durement éprouvée par la Bataille ; a fait preuve d’un dévouement total à la population Saint-Loise réfugiée sur son territoire et, en particulier, aux malades de l’Hôpital Psychiatrique du Bon Sauveur, donnant ainsi à tous un bel exemple de courage civique, de dévouement et de discipline »
Cette citation comporte l’attribution de la Croix de Guerre avec Étoile de Bronze.

Cette décision porte le numéro 64, est signée par le secrétaire d’État aux Forces armées « Guerre », Max Lejeune (1909-1995), qui faisait partie du gouvernement de coalition SFIO–MRP d’Henri Queuille. Le document est signé à Paris le 11 novembre 1948, date bien sûr hautement symbolique.

Saint-Thomas : remise de la décoration (1950)

Le jeudi 25 mai 1950, dans la matinée, Le Hutrel, pavoisé aux couleurs nationales, voit se dérouler une cérémonie importante : la remise de la Croix de guerre accordée deux ans plus tôt. Cette cérémonie obéissait à un rituel assez strict : la photo qui nous est parvenue en témoigne (la prise de vue semble indiquer que les personnalités présentes se tenaient tout près du monument aux morts).

Cette cérémonie était toujours accompagnée d’une prise d’armes (soldats au garde-à-vous) et d’un roulement de tambour , on « ouvrait le ban » (on distingue une fanfare derrière les soldats). On peut supposer que la photo a été prise juste après la lecture de la citation (salut militaire du policier et de l’aide de camp). La personne qui montre la croix sur son coussin est le maire de Saint-Thomas, monsieur Joseph Lavalley. Ce coussin existe toujours, il est conservé sous verre dans l’ancienne mairie de Saint-Thomas. Au centre, il s’agit de l’enseigne de vaisseau (équivalent du grade de lieutenant) Capdebon de Bigu, qui avait lu la citation (elle devait toujours être proclamée par un militaire). Cet officier était l’aide de camp du secrétaire d’État aux Forces Armées, Jean Raymond-Laurent (1890-1969). Il est probablement le seul ministre à avoir participé à une cérémonie officielle au Hutrel. Notons d’ailleurs qu’il était en 1948 également député de la Manche, ce qui justifie sans doute sa présence. Absent sur cette photo, le maire de Saint-Lô, Georges Lavalley, participait également à la cérémonie.

Voici des extraits des différentes allocutions prononcées ce jour-là :

« Cette Croix de Guerre, c’est donc avec fierté que nous allons la recevoir. Nous avons conscience de l’avoir méritée par nos souffrances, par nos sacrifices, par nos ruines » (Joseph Lavalley).
« M. le Maire, tous les habitants de Saint-Lô sont heureux de cette récompense si méritée qui vous est remise en ce jour » (Georges Lavalley).
« Je salue M. le Maire et la population de Saint-Thomas qui a si bien fait son devoir pendant les heures tragiques, prouvant ainsi sa confiance, sa foi invincible dans les destinées de la Patrie » (Jean Raymond-Laurent)

La médaille elle-même (Croix de guerre avec étoile de bronze) répond également à des critères bien précis. La citation À l’ordre du régiment n’était que le premier degré dans la hiérarchie des citations. La médaille est donc en bronze (et non en argent ou en vermeil), avec quatre branches et deux épées croisées. Le ruban est rouge, partagé par quatre bandes vertes : on distingue bien ces couleurs sur le drapeau des anciens combattants de Saint-Thomas, lui aussi conservé dans l’ancienne mairie.

Une année troublée : 1958

En 1958, le jeudi de l’Ascension tombe un 15 mai. À l’occasion de la Fête du Hutrel, c’est l’évêque de Coutances en personne, Mgr Guyot, qui vient participer aux cérémonies religieuses. Les circonstances étant exceptionnelles, le maire, M. Lavalley, prononce une allocution de bienvenue. L’évêque lui répond en particulier ceci :

« Je sais que sur ce petit coin de terre, on s’entend bien, on travaille la main dans la main, et si toute la France était à l’image de Saint-Thomas, nous éprouverions moins de difficultés ! »

Un peu plus tard, (l’évêque venant de réciter des prières devant le monument aux morts), M. Lavalley reprend la parole :

« Les jeunes gens de la commune, organisateurs de cette journée, qui ont un frère, un camarade mobilisé en Algérie, ou qui en reviennent, et les parents de ces jeunes gens se sentent aujourd’hui unis davantage aux anciens combattants et prisonniers des deux guerres. »

Nous sommes en effet en pleine guerre d’Algérie. Le putsch des généraux vient de se produire à Alger (mardi 13 mai), la Quatrième République vacille. C’est à cette ambiance de guerre civile que fait allusion l’évêque de Coutances. N’oublions pas non plus que le contingent est mobilisé en Algérie : Saint-Thomas, comme toutes les communes de France, a des jeunes gens qui s’y battent.

Les paroles de M. Lavalley résonnent d’autant plus tragiquement que quatre mois après, son propre fils, René, mourra en Algérie, le 22 septembre 1958. Il appartenait à un régiment de chasseurs alpins (grièvement blessé, il avait été rapatrié à Alger).Son cercueil sera exposé devant le monument aux morts du Hutrel. Son nom y est donc inscrit : il sera le seul jeune de Saint-Thomas, appelé en Algérie, à y laisser la vie. En signe de deuil son père, très pratiquant, portera désormais une casquette noire, qu’il ne quittera plus.

Le mois suivant (28 juin), la mairie du Hutrel verra la proclamation d’un vote décisif, l’approbation du référendum pour une nouvelle république : la Quatrième avait vécu.

Rattachement à Saint-Lô, doutes et nécessité (1963)

En 1963, Saint-Thomas était une petite commune (300 habitants), sans grands moyens et trop proche de Saint-Lô pour avoir encore une vie propre. Une fusion est donc « dans l’air ». Pourtant des réticences se font jour. Le maire, monsieur Lavalley, cultivateur lui-même, s’inquiète des remembrements qui affecteraient les terres agricoles de la commune. Les exploitants agricoles craignent également des sacrifices en termes d’imposition. Par contre, les ouvriers habitant la commune sont favorables à la fusion, pour les avantages (allocation logement, allocations familiales majorées, etc.) que leur apporterait une commune plus importante. Le conseil municipal se réunit le dimanche 28 juillet 1963 et se prononce à l’unanimité « contre le projet de district » ! Mais c’est un vote sans illusions : début septembre, monsieur Lavalley déclare à un journaliste : « un jour ou l’autre, nous y passerons »

Le rattachement définitif : 20 décembre 1963

Le scepticisme de M. Lavalley était bien sûr justifié : le vendredi 20 décembre 1963 les conseils municipaux de Saint-Lô et de Saint-Thomas, réunis dans l’hôtel de ville de Saint-Lô, décident une fusion amiable. La fête de Noël, toute proche, ainsi que la réunion solennelle du Congrès à Versailles, qui se produit le même jour, colorent tous les discours prononcés à cette occasion. Qu’on en juge : « Trois cents habitants, quatre cents hectares de bonnes terres… C’est cela que Saint-Thomas dépose dans le sabot de la ville de Saint-Lô… La décision, prise à l’unanimité des voix, engage à jamais le sort de plusieurs générations… »

Ainsi s’achève une longue histoire : détachée de Saint-Lô en 1174, l’antique paroisse de Saint-Thomas (devenue commune en 1790) y retourne 789 années plus tard !

Par arrêté préfectoral, le rattachement administratif entrera en vigueur le 1er janvier 1964. Cet arrêté précise que la ville de Saint-Lô entretiendra le monument aux morts et la mairie, dont les locaux « seront mis gracieusement à la disposition des habitants… pour réunions et autres usages ». Saint-Thomas salariait trois employés communaux : un secrétaire de mairie, un garde-champêtre-afficheur et un cantonnier. Il est donc prévu de les indemniser.

Ce rattachement apporte des progrès incontestables. Citons un ancien habitant du Hutrel, adolescent au début des années soixante : « Un jour, mon instituteur s’était exclamé devant toute la classe que j’habitais un trou perdu, englué dans le passé… Il est vrai qu’à l’époque, la mare, par exemple, était bien moins entretenue qu’aujourd’hui, elle était verdâtre en permanence ! …Lors des joutes aquatiques de la fête de Hutrel, les concurrents ressortaient de la mare entièrement recouverts d’une substance visqueuse, digne de Charles Vanel dans Le Salaire de la peur ! ». Mais en 1965, l’eau courante arrive enfin au Hutrel. Divers assainissements suivront ensuite, routes et chemins seront complètement rénovés.

Cette modernisation s’inscrit dans celle, plus globale, des débuts de la Cinquième République. En 1959, le photographe Jean-Marie Marcel est sorti de sa retraite pour réaliser le portrait officiel, dans un style encore « très IIIe République », du général de Gaulle. Dans la mairie de Saint-Thomas, ce portrait est bien sûr installé à la place d’honneur. Il y est toujours !

Sources

  • « Fusion Saint-Lô/Saint-Thomas », La Manche Libre, 8 septembre 1963, Albert Desile
  • « Bénédiction d’une statue votive au Hutrel », La Manche Libre, 25 août 1946
  • « Remise de la croix de guerre à la commune de Saint-Thomas », La Manche Libre, 28 mai 1950
  • « Mgr Guyot à la fête du Hutrel », La Manche Libre, 18 mai 1958
  • « Noël saint-Lois, Noël de joie », La Manche Libre, 23 décembre 1963
  • « Fusion Saint-Lô/Saint-Thomas », Ouest-France, 20 février 1964
  • Catherine Labouré
  • Croix de guerre