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Histoire du Hutrel : de 1800 à l'occupation allemande

De Wikimanche

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Le lieu-dit Le Hutrel est un petit village à l'ancienne niché dans la ville de Saint-Lô. Par son architecture, son histoire, sa vie associative, c'est un lieu remarquable, qui ne laisse personne indifférent.

La page intitulée Le Hutrel permet de situer ce petit coin de Normandie. Après avoir évoqué l'histoire du Hutrel du Moyen Âge à la Révolution, voici la suite jusqu’à l’occupation allemande.

Les avatars de l'église Saint-Thomas

Après les troubles révolutionnaires, l’histoire tumultueuse de cette église se poursuit. Certes, elle est rendue au culte en 1802, mais pour quelques années seulement. Et cela suite à une décision de Napoléon I° lui-même ! En effet, alors au faîte de sa gloire, l’empereur fait un voyage officiel dans le département de la Manche en mai 1811. Fidèle à son interventionnisme, il prend de nombreuses décisions dans tous les domaines, à Cherbourg notamment. En ce qui concerne Saint-Lô, où il séjourne du 29 au 31 mai, il concède à la ville l’église Saint-Thomas, pour y établir…une halle aux grains ! Napoléon ayant eu pour ligne conductrice lors de ce voyage de s’assurer les bonnes grâces de la population bas-normande, on peut supposer qu’en 1811 l’église Saint-Thomas, même rendue au culte, devait avoir très peu de fidèles. En 1896 on y installe un plancher à mi-voûtes pour y placer...une salle de théâtre ! Un certain abbé Bernard déclarait :"ces voûtes qui, pendant près de deux siècles, avaient retenti des louanges de Dieu, retentissent aujourd'hui bien souvent des louanges du démon!" Ce théâtre sera pulvérisé par les bombes en juin 1944.Au cours du XIX° siècle, puis du XX°, les habitants de Saint-Thomas-de-Saint-Lô n’avaient plus pour leur rappeler «  l’ancien temple » qu’une chapelle de l’église Notre–Dame de Saint-Lô dédiée à saint Thomas Becket, dans laquelle est célébrée chaque année en décembre une messe le jour de la fête du « saint évêque de Cantorbéry » . Cette chapelle existe toujours. Son vitrail raconte les principaux épisodes de la vie du saint.

Les maisons en terre du Hutrel

Les maisons du Hutrel ont été construites en grande partie en mâsse, un mélange d’argile et de fibre. Ce type de construction traditionnelle est répandu dans le département de la Manche : il témoigne d’une existence autarcique, très liée au milieu dans lequel vivaient les gens. En effet l’argile était très souvent prise sur place. Cela permettait d’aménager une mare qui fournissait de l’eau pour tout le chantier et même au-delà. Peut-être est-ce le cas pour la mare du Hutrel ?

En tout cas, les actes notariaux font remonter les maisons en terre du Hutrel au début du XIXe siècle. Elles ont donc deux cents ans en moyenne . Pratiquement posées sur le sol, avec une assise en pierre mais sans coffrage pour les murs, construites avec des échafaudages de fortune et des charpentes en chêne souvent assemblées par les paysans eux-mêmes, nos maisons en terre témoignent d’un extraordinaire savoir-faire ! Comme l’écrit Gérard Tapin (Maison des Marais) : « cette maison était faite pour durer des siècles ».

Le mur à abeilles

Les « murs à abeilles » (construits pour abriter des ruches) sont très peu connus ou passent inaperçus. Ils constituent pourtant un patrimoine intéressant. Celui du Hutrel est d’ailleurs une rareté puisqu’il n’en subsiste que 7 en Normandie.

Ce mur à abeilles est construit dans le même matériau que les habitations, c'est-à-dire la mâsse. La dimension des niches est adaptée pour contenir des ruches en paille appelées « ruches normandes » : 60-65 centimètres de haut, 45 de diamètre, 50 de profondeur. Chaque ruche était fermée par une petite porte. Notons qu’au Hutrel le mur est également couvert et protégé par une toiture, ce qui constitue une autre rareté.

Le mur du Hutrel comporte 19 niches, les trous d’envol pour les abeilles étant exposés au sud. L’aire d’envol sèche ainsi plus rapidement et les détritus rejetés par les abeilles ménagères , sources de moisissures possibles, sont déshydratés par le soleil.

À noter également : la date 1818 taillée dans un trou d’envol en calcaire. Historiquement, le blocus continental imposé par Napoléon avait tari le sucre de canne importé des colonies. Ce blocus s’achèvera en 1811, mais la pénurie de sucre s’étendra tout au long des années 1810. La Normandie bocagère avait encore une production apicole très développée en 1852. Nous ignorons en quelle année le mur à abeilles du Hutrel a été abandonné, mais ce qui est sûr, c’est que les habitants ont cohabité avec toutes ces abeilles pendant très longtemps !

Une curieuse commune : Saint-Thomas-de-Saint-Lô

Cette commune s’étendait sur 430 hectares avec en particulier les hameaux du Hutrel bien sûr (en son centre ), la Haute-Folie, la Canée, Lignerolles, Cantepie, Candol et elle était bordée au sud par Baudre, Gourfaleur et Saint-Ébremond-de-Bonfossé. Deux ponts marquaient donc la limite de la commune : celui de Candol et celui de Gourfaleur. Les deux hameaux les plus peuplés étaient Le Hutrel et Candol [1].

Qu’avait-elle donc de curieux, cette petite commune apparemment banale ? Tout d’abord, elle n’avait ni bourg, ni école, ni église. D’ailleurs vers 1960, il n’existait pas de panneau annonçant que l’on entrait dans cette commune ! D’autre part, peu de communes en France portaient ce nom , sept aujourd’hui ( ce qui est très peu si l’on compte par exemple les innombrables Saint-Georges, pour citer une commune limitrophe de Saint-Lô ). Il faudrait en outre se demander de quel Saint Thomas il s’agit : celle de Saint-Lô n’était-elle pas la seule à avoir choisi Saint-Thomas Becket ? Enfin le gentilé propre à Saint-Thomas (les Thomasiens, Thomasiennes) n’est jamais cité dans les documents anciens ou modernes que nous avons pu consulter.

Le culte de la Vierge

Sans église, les habitants de Saint-Thomas célébraient néanmoins la Vierge Marie, chaque mois de mai autour de la mare du Hutrel. En 1964, l’archiprêtre de Saint-Lô n’hésite pas à qualifier Le Hutrel de « centre spirituel ».

Voici comment il évoquait Le Hutrel en citant un numéro « très ancien » du bulletin paroissial Les cloches de Notre-Dame [2] :

« Une fontaine couverte, de style ogival, occupe le centre du « communal » et alimente lavoirs et abreuvoirs. Elle est ornée à l’intérieur, de temps immémorial, d’une statue de la Sainte Vierge. Celle qui occupe la niche fut bénite à Notre-Dame par l’archiprêtre Alphonse Lucas-Girardville et mise en place au milieu de chants et de cantiques le 3 mai 1872. Trois jeunes filles du village, Mlles Amey, Vieillard et Duval avaient eu l’idée de son remplacement, grâce aux offrandes des habitants. On peut appeler cette petite chapelle le sanctuaire du Hutrel : chaque famille y est représentée par un souvenir, médaillons de la Vierge, statuette de Notre-Dame-sur-Vire, de sainte-Jeanne-d’Arc, anges adorateurs, médailles, corbeilles de fleurs et perles. Chaque année, après la récolte, on applique une échelle au-dessus de la fontaine et les jeunes filles font la toilette de la statue vénérée ». La statue actuelle est bien celle de 1872.

On peut s’interroger (ou rêver) sur l’expression « de temps immémorial » : à quand remonte ce culte de la Vierge si particulier ? Cette chapelle a été édifiée en quelle année ? En tout cas, le soixante-dixième anniversaire de cette bénédiction fut célébré en grande pompe en 1942, comme en témoignent les photos ci-jointes, nouvelles preuves du caractère particulier de cette chapelle. Par ailleurs , on peut noter qu’aujourd’hui l’eau de la mare est beaucoup plus proche du monument.

Le monument aux morts

Comme toutes les communes de France, Saint-Thomas-de-Saint-Lô a payé un lourd tribut à la « Grande Guerre » : treize noms figurent sur son monument aux morts. Les communes avaient à leur charge le choix et le financement de ces monuments. Les ouvrages étaient choisis sur catalogue et l’aide financière de l’état était basée sur le pourcentage des morts par rapport à la population des communes.

Comme ces dispositions ont été fixées en 1919, on peut estimer que ce monument date de 1921 ou 1922, avec probablement un financement modeste.

Ce monument est en forme d'obélisque, en pierre du pays, comme beaucoup d'autres dans le département. Saint-Thomas n'ayant plus d'église, le monument a été placé fort logiquement à côté de la mairie.

Ce monument s’inscrivait aussi dans la vie religieuse du Hutrel : on peut le voir sur la photo ci-dessous, avec M. Polin , maire de Saint-Thomas. Ce document est difficile à dater mais il s’inscrit forcément dans la période 1933-1944, qui correspond au mandat de M Polin (décédé en 1944). Cette photo est peut-être contemporaine des photos précédentes prises en 1942. En tout cas, le brassard tricolore des jeunes hommes présents atteste qu'il s'agissait d'anciens combattants de 14-18.

La mairie

Nous avons pu consulter un ancien cadastre datant des années 1830 : aucun bâtiment n’était présent à l’emplacement de la mairie actuelle. On peut estimer que la mairie de Saint-Thomas-de-Saint-Lô date probablement des années 1880, qui ont vu fleurir tant de mairies dans la France de la IIIe République enfin triomphante.

Gens du Hutrel

Des cinq photos ci-dessous, une seule peut être datée avec certitude : celle de la « laitière normande », le cachet de la poste indiquant 1905. En tout cas, si on s’appuie sur la tenue vestimentaire, on peut estimer raisonnable une datation allant de 1900 (voire 1890 ?) aux années 1930.

Ces photos sont de précieux témoignages sur la vie de cette époque :

  • les classes sociales : les vêtements les indiquent clairement (le canotier du bourgeois , la blaude du paysan, les coiffes traditionnelles des femmes).
  • les pratiques disparues : la mariée en noir, le violoneux.
  • les militaires à moustache (venus sans doute à pied lors de leurs permissions de l’ancienne caserne Bellevue, aujourd’hui Lycée Corot).
  • la vie quotidienne : le transport du lait, l’eau puisée à la fontaine, le poirier contre la façade.
  • les objets : la bouteille de cidre, la chaise de paille.

C’était enfin l’époque où le moindre village avait son café (au moins deux au Hutrel, si l'on en juge par ces photos : ces deux maisons existent toujours).

L'occupation allemande

Le Hutrel sous l'occupation.

Certaines maisons du Hutrel avaient été réquisitionnées par l’armée allemande.Dans l'une d'entre elles un ancien habitant du village, alors enfant, nous a dit que des masques à gaz étaient accrochés au mur (question : qui les avait distribués ?). L’armée allemande avait également militarisé la zone : une batterie de DCA avait été installée sur l’actuel chemin menant à Xavier-Antoine.

C’est un des officiers allemands installés au Hutrel qui a pris cette photo. Il était membre d'un Service de Transmission établi dans le grenier de la maison d'où a été prise la photo. Une famille nombreuse vivait au rez de chaussée et au premier étage... Malgré sa mauvaise qualité ( ce panoramique est un montage en fait ), elle est intéressante à double titre. Tout d’abord, c’est la seule photo de cette partie du village dont nous disposons pour cette période. D’autre part, l’arbre au centre, disparu aujourd’hui, est peut-être l’antique Arbre de la Liberté planté en 1793.

Notes et références

  1. « Saint-Thomas-de-Saint-Lô », Ouest-France, janvier 1964.
  2. Ouest-France, 20 février 1964.

Sources

  • Article d'Ouest-France ( Fusion <saint-Lô Saint-Thomas , 20 février 1964
  • Article de La Manche Libre ( Les malheurs de l'église Saint-Thomas , date non retrouvée )
  • « Maisons en terre », Le Viquet n° 93, 1991 (page ?).
  • Revue Abeille & Cie n° 109, 2005.
  • Les ruchers
  • Annuaire du département de la Manche (M. Lepingard ), 1893.
  • Cédric Condom, L’Affaire Rattaire, film documentaire sur les monuments aux morts, 2010.
  • Maurice Lantier, Saint-Lô au bûcher, réédition 1993.

Voir aussi