Actions

Discours d'Emmanuel Macron à Cherbourg (2019)

De Wikimanche

Révision datée du 15 juillet 2019 à 12:58 par Teddy (discussion | contributions) (typo)
(diff) ← Version précédente | Voir la version actuelle (diff) | Version suivante → (diff)

Discours d'Emmanuel Macron à Cherbourg

Texte officiel du discours d'Emmanuel Macron, président de la République, prononcé à Cherbourg-en-Cotentin le 12 juillet 2019 lors du lancement du sous-marin nucléaire d'attaque Suffren.

« Madame la ministre des armées, Madame la ministre de la défense d’Australie, Monsieur le premier ministre, Monsieur le maire de Cherbourg, Mesdames et messieurs les parlementaires, Mesdames et messieurs les élus, Monsieur le chef d’état-major des armées, Monsieur le chef d’état-major de la marine, Monsieur le délégué général pour l’armement, Monsieur le président-directeur général de Naval Group, Mesdames et messieurs les ambassadeurs et représentants militaires, Mesdames et messieurs,

La France est un pays de temps long, qui sait que les plus grandes réussites sont celles qui viennent de loin, d’expériences conjuguées, de savoir-faire éprouvés, d’années passées.

Et vous l’avez rappelé, c’est il y a tout juste 120 ans, le 4 juillet 1889, que fut mis à l’eau ici, à Cherbourg, dans cet avant-port de Chantereyne, le Morse, le premier submersible français. Quelques semaines plus tard, le Narval, un torpilleur sous-marin, mis au point par l’ingénieur Maxime Laubeuf, dont on dit qu’il inspira ensuite tous les autres, prenait la mer.

Suivirent les Sirène, Naïade, Émeraude, Pluviôse, Brumaire, Requin, Roland Morillot, Narval, Aréthuse, Daphné, Agosta. La liste est longue, des sous-marins conçus et produits ici à l’abri de la digue centrale de la grande rade.

Vinrent alors les sous-marins nucléaires : en 1967, Le Redoutable, premier sous-marin nucléaire lanceur d’engins, était présenté à celui-là même qui voulut la dissuasion : le général de Gaulle. Et ils sont nombreux, celles et ceux qui, aujourd’hui, se pressent à quelques pas d’ici pour découvrir et redécouvrir ce symbole français, exposé à la Cité de la mer.

Puis ce furent Le Terrible, Le Foudroyant, L’Indomptable, Le Tonnant, L’Inflexible, et ceux de la classe du Triomphant : Le Téméraire, Le Vigilant, Le Terrible à nouveau, un SNLE à bord duquel j’ai navigué en plongée quelques semaines après ma prise de fonction.

Tous ces noms qui, pour les Français, résonnent comme autant de motifs de fierté parce qu’ils sont les noms de savoir-faire précieux et rares, parce qu’ils sont aussi les noms de l’indépendance de la France.

En cet instant, j’ai une pensée pour les sous-mariniers en opérations dans les profondeurs des océans, qui assurent la permanence de notre dissuasion nucléaire. Je salue leur courage, leur extrême professionnalisme et leur engagement sans faille, à la suite de leurs grands anciens.

Enfin, lancés pour les premiers, sur décision du président Georges Pompidou, vinrent les sous-marins nucléaires d’attaque : les SNA. Le Rubis, mis à l’eau en 1979, le Saphir, qui dans quelques jours sera désarmé, le Casabianca, l’Émeraude, l’Améthyste et la Perle.

La France est un pays de temps long.

120 ans après la mise à l’eau du premier sous-marin français, 40 ans après celle de notre premier sous-marin nucléaire d’attaque, c’est en héritiers d’une histoire écrite par des milliers d’homme, et aussi, de plus en plus, de femmes, que nous sommes réunis aujourd’hui pour la mise à l’eau du Suffren. Les premières décisions liées au Suffren ont été prises par le président François Mitterrand. Et ce SNA aura à vivre 30 à 40 ans au moins.

Alors, je veux aujourd’hui m’adresser à celles et ceux qui ont rendu possible cette prouesse industrielle et technologique, qui ont permis que continue à s’écrire l’épopée sous-marine française. À vous : ingénieurs civils et militaires, techniciens, ouvriers, qui travaillez depuis des années sur ce projet à Indret, à Brest, à Lorient, à Ruelle, à Toulon, à Ollioules, à Bagneux, à Cherbourg.

Les nations qui dans le monde sont capables de mener à bien un tel projet industriel sont rares. Si la France en est, c’est grâce à vous, grâce à votre travail acharné, commencé souvent dès le plus jeune âge, par des années de formations exigeantes, grâce à votre sens de l’État, du devoir, de l’engagement, et vous aussi, votre sens du temps long.

Et j’ai pu voir tout à l’heure nombre d’entre vous qui sont engagés depuis plusieurs décennies à Naval Group ou plusieurs de nos entreprises, ou au sein même de nos armées, ou de la DGA, qui, depuis des décennies, œuvrez à ces projets, et qui, pour certains, ont vu il y a douze ans les premières plaques de ce sous-marin.

Aussi, au nom de tout le pays, je veux vous dire ma fierté, et aujourd’hui vous remercier.

Je remercie également les partenaires avec qui vous travaillez au quotidien : la Direction générale de l’armement, les officiers des programmes de nos armées, la Direction des applications militaires du CEA, Naval Group, TechnicAtome, ainsi que la centaine d’entreprises et de sous-traitants.

La France est grande quand public et privé unissent ainsi leur savoir-faire, travaillent ensemble avec pour seule méthode l’exigence, pour seule boussole l’excellence, pour seul horizon notre souveraineté.

Car je l’ai dit à celles et ceux d’entre vous que j’ai salué à l’instant dans ce hall Laubeuf où, déjà, de nouvelles coques sont en train d’être assemblées : ce ne sont pas seulement des sous-marins que vous construisez ici.

Ce que vous construisez, c’est bien l’indépendance de la France, ce que vous construisez, c’est notre souveraineté, ce que vous façonnez par vos gestes patients, minutieux, c’est notre liberté d’action, c’est notre statut même de grande puissance dans le monde, c’est notre capacité à porter du renseignement autonome, c’est notre capacité à intervenir dans les conditions les plus exigeantes, comme nous avons eu l’occasion de le faire au printemps de l’année dernière.

C’est cela ce que, toutes et tous réunis, vous permettez par votre travail. Et cela, les Français le savent, eux qui se sont rendus il y a encore quelques mois dans des salles obscures pour visionner la vie de certains et de nos sous-mariniers.

Ils le savent très profondément parce que nous sommes cette grande nation industrielle, maritime, et militaire, qui porte ces valeurs ainsi réunies, et tient tant à cette grande communauté que vous représentez.

Vous l’avez rappelé à l’instant, Monsieur le président-directeur général, il n’est pas d’objet industriel plus complexe à concevoir, à développer, à réaliser qu’un sous-marin nucléaire, surtout quand il s’agit du premier d’une nouvelle série.

Il faut de l’excellence, il faut beaucoup d’humilité, et beaucoup de rigueur. Et les chiffres qui sont là, aussi, en témoignent : 10 ans d’études et de développement, 12 années de montage, 8 millions d’heures de travail, 10 000 personnes impliquées, 400 métiers et compétences différentes, 750 000 pièces assemblées, 160 kilomètres de câbles. C’est tout cela le Suffren. C’est une capacité d’action inédite.

Tout cela est la volonté jamais démentie au fil des années de maintenir intacte la base industrielle de défense française, ses compétences, ses formations, sa capacité à innover, son écosystème de PME et d’ETI qui constituent les partenaires indispensables de nos grands groupes de la filière navale et nucléaire militaire.

Et je suis ici pour vous assurer que cet indispensable soutien à nos armées et nos industriels, dont le savoir-faire est le garant de notre souveraineté nationale et européenne, nous allons le pérenniser. Nous allons même l’amplifier.

Dès l’été 2017, nous avons décidé un effort budgétaire significatif et durable. Cet effort fourni par la nation est la condition pour permettre à la France de disposer à l’horizon 2030 des équipements et des technologies nécessaires à son autonomie.

La loi de programmation militaire promulguée il y a un an quasiment jour pour jour traduit cet engagement dans la durée. Et je sais combien les parlementaires ici présents surveillent et tiennent, aux côtés de la ministre et de nos armées, à ces engagements.

Cette loi de programmation militaire sera tenue.

D’ici 2025 pas loin de 59 milliards d’euros seront ainsi consacrés à nos grands programmes d’armement, dont 37 milliards d’euros pour les quatre ans à venir.

Le mouvement, du reste, a déjà commencé et les matériels arrivent.

Pour l’armée de terre les premières livraisons du blindé Griffon la semaine dernière annoncent la mise en œuvre opérationnelle accélérée du programme Scorpion et le renouvellement des capacités}} de combat. 92 seront livrés cette année. Cette année 2019 sera également marquée par la livraison de 8 hélicoptères Caïman, de 8 000 fusils d’assaut de nouvelle génération ou encore de 10 nouveaux drones tactiques Patroller.

Pour l’armée de l’air, cette année est marquée notamment par la livraison d’un deuxième avion-ravitailleur MRTT, par la poursuite des livraisons de l’A400-M et l’arrivée de deux C130-J mais également par l’avancement du développement du programme SCAF - le système de combat aérien du futur - en coopération avec l’Allemagne et l’Espagne.

Et s’agissant de la marine nationale, outre l’avancée des SNA de la classe Barracuda, dont je tiens à confirmer ce matin qu’ils seront au nombre de 6, la modernisation et le renouvellement de la flotte de surface se poursuit. Vous étiez, Madame la ministre, à Lorient, il y a quelques jours, pour la livraison de la frégate Normandie.

L’effort consenti par la France pour moderniser ses armées n’est donc pas d’intention, il est de fait. Et il est sans précédent. Il est cette part de notre loi de programmation militaire qui, à côté d’une programmation à hauteur d’hommes sur laquelle je reviendrai dès demain à Brienne comme il se doit, est celle qui permet de nous rééquiper, de moderniser, d’innover, de préparer le futur, de tirer toutes nos industries, de contribuer à la réindustrialisation de notre nation mais également d’œuvrer à cette capacité stratégique que j’évoquais il y a un instant.

Je veille et veillerai donc personnellement à ce que les promesses soient tenues et les actes pris.

Et j’y veille parce que nous évoluons dans un monde de menaces et d’instabilité, parce que les équilibres de ce monde sont à la peine et que de nouvelles formes de conflit apparaissent.

Ces dernières années nous l’ont montré : cette capacité de renseignement, d’action est indispensable pour protéger notre pays et pour agir sur tant et tant de théâtres d’opérations où je demande à nos armées de se projeter. Et je sais combien, mon général, vous y tenez à juste titre.

J’y veille parce que la sécurité des Français passe par des équipements au plus haut standard comme l’est le Suffren qui — plus discret, plus furtif, plus rapide, plus endurant et plus autonome, doté de missiles de croisière permettant de frapper en profondeur, et capable de déployer des forces spéciales en immersion — fait entrer nos forces sous-marines dans une nouvelle ère. C’est cela le Suffren.

J’y veille parce que le chef de l’État est le garant aussi de ce temps long, parce que ma responsabilité de chef des armées est de prémunir notre nation des menaces, en fixant l’horizon à plusieurs dizaines d’années. Soixante ans. C’est le cycle de vie d’un sous-marin, de sa conception à sa déconstruction. Bien loin des échéances du quotidien.

J’y veille aussi, Madame la ministre de la défense d’Australie, parce que de nos capacités et de nos savoir-faire dépendent la sécurité de nos alliés. Et je tiens à vous assurer que la France sera aux côtés de l’Australie, comme elle est aux côtés de Naval Group, pour accompagner ce contrat portant sur 12 sous-marins.

Parce que ce contrat qui avait été conclu sous la responsabilité de mon prédécesseur a scellé une alliance essentielle entre nos deux nations. Parce que l’axe indopacifique, que j’ai eu l’occasion de présenter il y a un peu plus d’un an à Sydney, est, pour nous, stratégique. Et parce que l’Australie est un pays ami.

Notre partenariat est industriel mais il est aussi et avant tout de gouvernement à gouvernement, de nation à nation, parce qu’il vise à bâtir aussi votre indépendance et votre sécurité.

Officiers, officiers mariniers, quartiers maîtres, marins du sous-marin nucléaire d’attaque Suffren.

Depuis hier vous êtes constitués en équipage d’armement.

C’est le début d’une aventure qui va commencer pendant plusieurs mois avec Naval Group, avec la Direction générale de l’armement, avec tous ceux qui ont participé à la construction du bâtiment.

Vous allez durant ces mois devenir familiers de ce sous-marin, participer à la conduite des essais, apprendre à maîtriser les capacités opérationnelles inédites et lui donner toute sa dimension.

Et vous allez progressivement lui imprimer votre marque, cet esprit guerrier, cet esprit d’audace, cet esprit d’équipage qui fut celui du bailli Pierre-André de Suffren, ce grand marin dont la bravoure et le sens marin permirent à la France de triompher tant et tant de fois. Cet esprit d’équipage qui vous est cher et qui est aussi notre fierté.

À vous, équipage du Suffren, membres des forces sous-marines, je veux dire que la France est fière de vous, fière de ses marins comme elle est fière de ses soldats et de ses aviateurs.

Et à vous tous, civils et militaires, ingénieurs, techniciens, ouvriers de la grande communauté des sous-marins, je redis notre fierté et je redis ce jour toute la confiance de la nation.

Vive la République !

Vive la France ! »