Élément -ais / -ois
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L'élément -ais (forme ancienne -eis, forme française ou francisée -ois) est un ancien suffixe adjectival qui a servi à former des noms de pays et d'habitants, ainsi que quelques noms de localités.
Étymologie
Il est issu du suffixe gallo-roman -ĒSE, qui repose sur le latin -ensem, accusatif du suffixe d'origine ou d'appartenance -ensis [1]. L'étymologie du suffixe lui-même, sans correspondant dans les autres langues indo-européennes, n'est pas résolue. De très nombreuses hypothèses ont été formulées (emprunt à l'étrusque ou combinaison de divers éléments d'origine indo-européenne), sans qu'aucune ne soit décisive [2].
Le suffixe gallo-roman -ĒSE est régulièrement devenu -eis en très ancien français, forme qui est restée celle des dialectes d'oïl de l'Ouest (généralement sous la forme -ais). Dans l'Est et le Nord-est de la France, il a abouti à -ois. En règle générale, l'ancienne terminaison française -ois a été refaite en -ais au 18e siècle, sur le modèle dialectal de l'Ouest (anglois, françois deviennent anglais, français, de même que je faisois, je disois cèdent la place à je faisais, je disais), mais les deux formes -ais et -ois du suffixe adjectival sont restées vivantes, d'où deux séries de formations parallèles en français : portugais, albanais, japonais, mais danois, hongrois, chinois…
En Normandie, et donc dans la Manche, c'est bien sûr -ais / -eis qui est la forme attendue localement, et que l'on trouve dans la plupart des attestations anciennes. Lorsque l'on rencontre une terminaison en -ois, il s'agit soit d'une forme francisée (selon la norme standard jusqu'au 18e siècle), soit d'une création tardive, en contradiction avec la phonétique locale.
Attestations dans les noms de la Manche
Toponymes contenant l'élément -ais, -eis / -ois
Noms de pays
- Bauptois, pays de Baupte, d'abord attesté sous la forme Balteis (la première forme en -ois date du 17e siècle).
- Corlois, pays de Cherbourg, dont le nom gallo-romain était Coriallum.
- Coutançais, pays de Coutances.
- Mortainais, pays de Mortain.
- Saint-Lois, pays de Saint-Lô.
- Sarneis, pays de Saire.
Noms de localités
- Coigny (?) < Cogneis < gallo-roman °CONIĒSE < °CŬNIENSE « (terre) en forme de coin », « (terre) comportant des angles, des recoins » (?). Pour les autres hypothèses faites au sujet de ce toponyme, voir l'article correspondant.
Dérivés ethniques (gentilés) et noms de parlers
Finales fréquentes
- -bourgeois : la totalité des toponymes en -bourg forment leur ethnique en -bourgeois.
- -vastais : la totalité des toponymes en -vast forment leur ethnique en -vastais.
- -villais : la quasi-totalité des toponymes en -ville forment leur ethnique en -villais. Parmi les plus anciennes attestations de ce type de formation, voici par exemple Annevilleis 1455 [3], « d'Anneville-en-Saire ».
Toponymes particuliers
- - en -eis, -ais :
- Agnelais, d'Agneaux.
- Agonais, d'Agon.
- Barfleurais, Barflotais, de Barfleur.
- Cellandais, du Grand-Celland ou du Petit-Celland : les Serlandeis 1203 [4].
- Chambrais, des Chambres.
- Cotentinais, parler ou habitant du Cotentin.
- Haguais, parler ou habitant de la Hague.
- Haimeis, du Ham, dans Hémevez, « les gués du Ham ».
- Jersiais, forme dialectale Jerriais, parler ou habitant de Jersey.
- Saint-Pierrais, de Saint-Pierre-Église.
- Saint-Rémiais, de Saint-Rémy-des-Landes.
- - en -ois :
- Airelois, d'Airel.
Patronymes
- Lehagais, « originaire de la Hague ».
- Lelandais / Landais, « de la lande », ou d'un lieu-dit ou hameau la Lande, les Landes.
(listes à compléter)
Notes et références
- ↑ Par exemple, en latin classique : pratensis « des prés » (de pratum « pré »), hortensis « du jardin, des jardins » (de hortus « jardin »), etc.; en latin médiéval, Constantiensis « de Coutances » (de Constantia), Abrincensis « d'Avranches » (d' Abrincæ), etc.
- ↑ Chantal Kirchner-Durand, « Les adjectifs en -ensis », in Chantal Kirchner-Durand (éd.), Grammaire Fondamentale du Latin, Tome IX, Création lexicale : la formation des noms par dérivation suffixale, Peeters, Leuven, 2003, p. 191.
- ↑ François de Beaurepaire, Les noms de communes et anciennes paroisses de la Manche, Picard, Paris, 1986, p. 69.
- ↑ Léchaudé D’Anisy et Antoine Charma, Magni Rotuli Scaccariæ Normanniæ sub regibus Angliæ, pars secunda, Mémoire de la Société des Antiquaires de Normandie XVI, 2e série, 6e volume, Paris, 1852, p. 97a.