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Triphtongue

De Wikimanche

Une triphtongue est un élément vocalique constitué de trois timbres successifs, émis dans une même syllabe : en anglais par exemple, le mot fire contient la triphtongue [aiǝ], et le mot hour la triphtongue [auǝ].

Il a existé en ancien français tardif une triphtongue [eaʷ] (parfois notée [eau], et dans la notation des romanistes ẹáu) dont l'évolution fut double.

Historique

Cette triphtongue apparaît vers la fin du 11e siècle ou au début du siècle suivant, et résulte du développement d'un [a] de transition entre les sons [e] et [u] / [ʷ] d'une diphtongue antérieure [eu] / [eʷ] : ainsi, l'ancien français ewe [eʷǝ] « eau » évolue en eaue [eaʷǝ]. De même, la finale -els du pluriel des mots en -el est d'abord devenue -eus à la suite de la vocalisation de [l] devant consonne, puis très rapidement -eaus : ainsi, bels « beaux » devient beaus, réécrit par la suite beaux.

À partir de la fin du 12e siècle, les deux éléments [e-] et [-aʷ] de la triphtongue se mettent à évoluer indépendamment [1] :

  • Le premier élément [e-] connaît une évolution divergente :
    • Selon la tradition populaire, il se ferme en [i] dès le moyen français.
    • Selon la tradition savante, il s'assourdit en [ǝ] > [œ], puis finit par disparaître.
  • le second élément [-aʷ] évolue comme la diphtongue [aʷ] de l'ancien français, et finit par aboutir à [o] en français moderne standard, mais reste diphtongué dans les dialectes qui ont maintenu la diphtongue (comme certains parlers de la Manche, par exemple).

Ainsi, l'ancien français tardif eaue « eau » aboutit dans la tradition populaire à [jo], [jaʷ], etc., noté iau, yau, , iâo, etc., dans divers parlers dialectaux, alors qu'il est devenu [o], noté eau, en français standard. De même, l'adjectif pluriel beaus « beaux » aboutit régionalement à biaux, biâos, etc., mais en français standard à [bo], beaux.

Traitement populaire de la triphtongue dans la Manche

Dans les toponymes

Les formes anciennes de plusieurs toponymes de la Manche montrent qu'il y a eu hésitation entre traitement populaire et traitement savant de la triphtongue :

  • Héauville (l'accent aigu sur le e est adventice) a été noté aux 16e et 17e siècles Hiauville (1550, 1554), Hyauville (1550, 1551, 1634).

Dans les anthroponymes

Dans les parlers dialectaux

Pluriel des mots en el

Du fait de la vocalisation de [l] devant consonne, on disait en ancien français tardif un chapel, des chapeaus, un oisel, des oiseaus, etc. En moyen français, tous ces mots ont été normalisés, et la terminaison du nouveau pluriel étendue au singulier, d'où le français moderne un chapeau, des chapeaux, un oiseau, des oiseaux, etc. Dans beaucoup de dialectes cependant, et en l'occurrence dans certains parlers de la Manche, l'ancien singulier en -el, devenu dans notre région, a été maintenu, et l'on dit toujours un capé, des capiâos, un ouésé, des ouésiâos, etc. On notera dans ces formes le traitement populaire de la triphtongue, associé au maintien de la diphtongue [aʷ].

Voir aussi

Notes et références

  1. Cf. entre autres Gaston Zink, Phonétique historique du français, PUF, Paris, 1989, p. 141; André Lanly, Fiches de philologie française, Bordas, Paris, 1971, p. 53-56.