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Randonnée poétique en terre cotentine

De Wikimanche

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À l'occasion du bicentaire de la naissance de Jules Barbey d'Aurevilly (1808-1889) [1], quelques personnes de l'atelier familles de la Maison de quartier de La Dollée ont proposé une ballade poétique.

Partir sur les traces d'Une Page d'histoire une de ses œuvres écrites, relatant le célèbre drame de Julien et Marguerite de Ravalet, coupables d'un amour incestueux.

C'est dans le jardin des Ravalet, lieu d'inspiration de l'auteur, que votre itinéraire débutera. Vous entrerez alors, dans l'univers de ce romancier, plein de nostalgie, raffiné, où l'on y devine les sentiments passionnés. C'est le cœur mêlé de diverses émotions toutes aussi fortes les unes que les autres que vous vous dirigerez vers une atmosphère plus légère ; vous entrerez dans l'univers de Jacques Prévert.

Tout près de port Racine, le plus petit port de France, vous suivrez un sentier qui mène au jardin Jacques-Prévert [2] créé en son hommage par sa femme et ses amis. Vous vous promènerez dans un livre de poésie dont les pages naissent au milieu de plantes rares et diverses offertes par ses proches où des installations s'illustrent et soulignent ses écrits.

Trempés de ses vagues poétiques, enivrés de ces parfums variés, vous achèverez ce parcours, en vous recueillant sur sa tombe, étonnante de simplicité, à l'image de l'humilité de l'artiste. C'est dans ce petit village d'Omonville-la-Petite que vous pourrez visiter sa maison, fleurie d'un jardin qui s'offre au regard du passant.

Françoise ou la visite du parc « habité » du château des Ravalet.

Malgré la pluie incessante, cette promenade dans ce magnifique parc nous a permis de voyager au travers des continents, avec « les Gunnères » (plante préhistorique ou plante du Brésil), étranges et fabuleuses, avec leur pied ressemblant à une vieille souche et leur feuillage en corolle s’ouvrant sur différentes nuances de verts. Les palmiers, aux troncs surprenants, avec leurs écailles dorées et leurs longs feuillages en ombrelle, la diversité des essences en provenance de toute l’Europe, la multitude de fleurs aux couleurs lumineuses et étonnantes éclairant les parterres nous émerveille. Les cygnes blancs, sur le plan d’eau, évoquent, pour certains d’entre nous, les deux amants, Marguerite et Julien de Ravalet. Flottant dans le vent, riant au travers des branches des arbres, ou pleurant au dessus des plans d’eau, la présence des deux jeunes gens se ressent tout au long des chemins qui sinuent dans le parc. Dans les coins sombres des bosquets, la sinistre impression de la présence « invisible » des sieurs Ravalet, gens d’une cruauté sans pareil, des criminels de grande envergure sans foi ni loi. Dans notre groupe, le ressenti n’était pas le même. Certains étaient en admiration devant la beauté et la diversité des parterres et des plans d’eau. Pour moi, dans ce parc, il y avait aussi des êtres, âmes qui me semblaient vivantes, qui m’ont suivie et accompagnée jusqu’à la porte du château.

Annie nous décrit le jardin du château des Ravalet.
Façade principale

Je viens de visiter le château des Ravalet à Tourlaville, près de Cherbourg, où a été cultivé un immense jardin réaménagé par René de Tocqueville à la fin du XIXe siècle. En arrivant, je découvre de beaux palmiers qui témoignent du changement de climat depuis des décennies. Je commence la visite des allées qui contournent des parterres et des fleurs qui s'épanouissent en ce début de printemps. Je vois des hortensias qui bourgeonnent, des jonquilles et des primevères fleuries. Tout près des bassins, il y a souvent des rhubarbes exotiques du Brésil « La Gunnère ». De gigantesques arbres ont poussé près des étangs, j'admire des saules pleureurs qui se mirent dans l'eau. De gros chênes et de gros hêtres pas encore feuillus témoignent de l'époque habitée du château. Tout a été cultivé pour attirer le visiteur. Je vois une immense serre érigée par René de Tocqueville où l'on y cultive des plantes exotiques et rares. Des touffes de bruyères géantes mauves et des camélias rouges et roses font la richesse et la rareté de ce jardin, tout comme ce petit bois d'arbustes dans un grand coin du parc. Plus je marche et plus ma curiosité est excitée et je revis l'histoire du château, demeure de Marguerite et Julien, que l'impardonnable justice a condamné à la peine capitale. J'éprouve une immense tristesse et je pense à l'amour que se portaient ces deux êtres, planté dans cette terre, foulé par l'insecourable adultère de cette époque. Les cygnes et les canards qui habitent les étangs, revivent la beauté de l'amour meurtri, mais impardonnable par le pouvoir des souverains du XVIIe siècle. La vie de cette époque s'est envolée comme un souffle qu'a perdu ses héros. Une vie trop sentimentale sans doute qui coule comme les eaux de part et d'autre et qui rappelle la dureté du jugement qu'ont subi Marguerite et Julien pour s'être aimer d'un amour coupable.

Annie nous raconte la beauté du jardin Jacques-Prévert.

En amont de port Racine, par ce temps de canard, d'un bon pas, on va visiter le jardin de Jacques Prévert créé en son hommage par ses amis et ses héritiers. En arrivant, on visite une petite cabane, des plantes et des boutures en pot demandent un peu d'argent aux visiteurs si ils le veulent. Une poésie que tout le monde lit, montre la grande inspiration qu'avait ce poète. Et c'est un solitaire personnage dans une baraque qui nous permet de visiter ce jardin. L'ivresse de vivre a beaucoup inspiré cet écrivain. À côté de la rivière qui descend de la colline, je lis en marchant des œuvres comme « le temps perdu », « la beauté ». Il rythme avec les sentiments qu'il respire. La nature et ses parfums s'offrent en bouquets de souvenirs comme un cadeau d'amour que l'on donne. Il chante de chaque côté de la rivière. Parmi les arbres offerts, il écrit sa verve dans une ivresse poétique que chacun vit. C'est à côté de ses fleurs qu'il déclame son plaisir de vivre dans cette nature de la Hague aux vents riches de la vague. Ou comme une bouteille à la mer, il raconte l'histoire de son passé dans une chanson qu'il écrit sur un papier et que l'on lit comme on respire. C'est la chanson de Jacques Prévert dans tous ses refrains. Je lis ses œuvres les unes après les autres. La musique de ses sentiments envahit l'atmosphère. Sa passion d'écrire, il l'a eue toute la vie, jusque dans sa belle demeure à Omonville-la-Petite, entourée d'un grand jardin, arrosé d'une rivière où il finit ses jours en 1977. Un simple bloc de pierre se dresse à la tête de sa tombe dans le cimetière en mémoire de sa mort. C'est sur cette dernière photo que s'achève notre voyage.

Sylvie nous raconte l'histoire du château de Tourlaville et de ses anges maudits Marguerite et Julien de Ravalet.

Bâti au VIIIe siècle, le château aux deux étangs, ses douves, de beaux arbres qui l'entourent, et l'imposant massif de chênes et de hêtres qui forment le fond du décor, donnent à l'élégant castel un aspect des plus séduisant. Quatre tours se trouvent de chaque côté : une octogonale, une triangulaire et deux rondes dont une, celle de l'ouest, a été ajoutée par M. de Tocqueville en 1870. Elle remplace la chapelle édifiée par l'abbé de Hambye au lendemain de l’exécution des amants. Ce dernier était le chanoine Julien, abbé de Hambye, le grand oncle de Julien et Marguerite. Pendant quelques années, le château fut une exploitation rurale. De simples fermiers l'habitaient. Celui-ci a appartenu au petit neveu de Marguerite de Ravalet. Devenu seigneur de Tourlaville en 1859, le vicomte Édouard de Tocqueville restaura « cette lamentable ruine ».

Passion malheureuse de Julien et Marguerite de Ravalet.

Ce sont des enfants qui se ressemblaient parfaitement, beau garçon et belle damoiselle, malgré leur différence d'âge. Ils dormaient ordinairement ensemble. Les parents ayant découvert leur tendresse mutuelle, ils les ont séparés pendant quatre ans. Julien avait douze ans, Marguerite huit. Pour distraire cette dernière, ils faisaient plein de fêtes familiales, réunions, où se trouvaient des jeunes nobles. Marguerite reconquit son frère dès son retour.

1603, scandaleuse aventure de Julien et Marguerite

Marguerite était mariée (par obligation) à Jean Lefèbvre de Hautpitois, receveur des tailles et des aydes en l'élection de Valognes. Elle avait treize ans et son époux vingt cinq en l'an 1600. Son mari ayant soupçonné leur aventure, la battait malgré le fait qu'elle fût enceinte. Julien revient à Noël 1600. En août 1600, suite aux violences de son mari, la belle Ravalet accouche avant terme d'une fille que l'on prénomma Louise. Elle se retira chez ses cousins à Rémy-les-Landes (devenu Saint-Rémy-des-Landes). Les deux époux ne se reverront qu'à Paris, en la salle d'audience du Grand Châtelet. Comme le frère et la sœur continuaient de se voir, Julien fut prié de se tenir enfermé dans sa tour, et Marguerite était invitée à attendre dans sa chambre, que Jean Lefebvre de Haupitois, son seigneur et maître devant Dieu et devant le roi, ait décidé de son sort.

Ils se sont évadés à Fougères en 1603. Le 4 septembre 1603, le parquet du Grand Châtelet était saisi de l'écrasant dossier. Marguerite était enceinte une deuxième fois, elle n'avouera pas que l'enfant était de Julien mais d'un tailleur ambulant. Le mari se portera partie civile. Le 19 septembre, l'instruction est close. Naît un garçon confié aux catherinettes de Sainte Opportune. Le véritable procès s'ouvrit le 24 novembre 1603, Jean III leur père, implora Henri IV en vain. Le 2 décembre 1603, le procureur prononce la sentence : "Ils sont condamnés à avoir la tête tranchée (la teste tranchée)". Elle est exécutée le jour même vers 1 h de l'après midi place de Grève, actuellement place de l'Hôtel de ville. Ils seront décapités, puis sont passés par le feu, noblement et non sur le bûcher, sort généralement réservé aux incestueux. Ils sont mis dans un charnier à Mont Faucon. Ravalet a pu leur faire une sépulture honorable. On pouvait lire sur la pierre tombale : « Ci gisent le frère et la sœur », « passant ne t'informe point de la cause de leur mort, passe et prie Dieu pour leur âme ». L'abbé de Hambye, après le supplice des malheureux enfants, se démit de toutes ses charges et revint à Tourlaville. En réparation de l'outrage infligé à la morale par ses neveux, il fit découronner la tour contenant la chambre de Julien et construit à sa place la chapelle expiatoire. De leur côté, Jean III et Madelaine de Hennot (les parents) rachetèrent par des fondations l'outrage pieux subit par leur blason.

Quelques poèmes visibles dans le jardin
« Trois allumettes allumées dans la nuit.
La première pour voir ton visage
La deuxième pour voir tes yeux
La troisième pour voir ta bouche
Et l'obscurité toute entière pour me rappeler tout cela en te serrant dans mes bras »
« La première fonction du jardin c'est donner du bonheur et la paix pour l'esprit. »
« Au jardin de Miso.
L'ombre solaire d'une seule graine de tournesol suffit à réveiller, au travers des personnes de la terre, une taupe endormie et soudain éblouie. »
« Même si vous ne voyez pas d'un bon œil
Le paysage n'est pas laid
C'est votre œil qui peut-être est mauvais. »

Notes et références

  1. Jules Barbey d'Aurevilly : artiste normand né à Saint-Sauveur-le-Vicomte. Critique, diariste, épistolier, romancier, nouvelliste... En 2008, année de sa consécration, de mars à décembre ont lieu différentes manifestations en sa mémoire (cf le magazine Livre Échanges, mars 2008).
  2. Jardin Jacques-Prévert : sur la commune de Saint-Germain-des-Vaux.