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Philippe Pinel

De Wikimanche

Philippe Pinel, né en 1820 et mort à Saint-Hélier (Jersey) en décembre 1896, est une personnalité pittoresque de la Manche.

Le roi des Écréhou

Comme celui des Minquiers, le plateau des Écréhou appartient encore à la France (ils sont revenus à la Grande-Bretagne en 1953) quand le sieur Philippe Pinel, venu de Jersey et né en 1825, s’installe sur l’îlot principal de ce petit archipel de rochers redoutés des navigateurs. Il serait plus exact de dire qu’il en prend possession car, jusqu’à sa mort, il considéra l’îlot comme son domaine.

Cela se passe en 1845. Philippe Pinel est un fameux contrebandier qui fait du trafic de tabac et d’alcools entre la France et l’Angleterre. Il a navigué au long cours pendant quinze ans, et parle couramment trois langues : le français, l'anglais et l'espagnol [1]. Un jour, une tempête emporte son bateau « un peu trop loin de la côte » et il échoue sur un îlot minuscule, « où des fientes de cormorans [sèchent] au soleil » [2]. Pinel trouve l'endroit « paradisiaque » [2] et y construit une petite « cabine » avec les restes de son bateau. En ermite, il vit de la pêche (il se procure « un vieux bateau goudronné » [1]), de provisions apportées par des « gens de la côte » [2] et des « collègues » contrebandiers, de lapins chassés « sur la Maître-Ile » [1], de canards et de perdrix qu'il abat avec son fusil [1]. En outre, le père Pinel cuit son pain dans « une caisse en tôle » [1]; le varech, remisé et séché dans une annexe, lui sert autant de combustible que de grabat, et, une fois réduit en cendres, peut être vendu comme engrais [1]. Une autre annexe abrite « quelques vieux barils » et des poules, à l'occasion. Une fenêtre et une lucarne éclairent le logis au sol en terre battue et aux murs badigeonnés à la chaux, dans laquelle prennent place une petite table, des couverts, un grand coffre servant de siège et de bibliothèque, une cheminée, une pendule, un miroir et deux fusils [1].

À partir de 1863, celui qui s’est proclamé « roi des Écréhou » reçoit aussi la visite de nombreux curieux et de quelques célébrités, intrigués par ce personnage légendaire, souverain sans sujet si l’on excepte une grive apprivoisée.

Pendant un an, une femme, une certaine Jeanne Amont vient partager sa solitude au milieu du désert aquatique. Cette « reine », lasse d’être battue comme plâtre par son ivrogne de compagnon, grand amateur de gin, de whisky et de cognac, prend un jour la fuite sur un bateau de passage. Pinel explique lui que son départ est dû aux « rhumatismes » dont elle souffrait et qui l'ont décidée à partir à Jersey [1].

Pinel, lui, reste à son poste même lorsque l’Angleterre envahit les Écréhou en 1883, et y construit un hôtel qui ne voit jamais descendre un seul touriste. L'écrivain Sutter-Laumann rend pourtant visite au père Pinel; il consigne ses observations dans la seconde partie de l'ouvrage intitulé Au Val d'Andorre : les Ecrehou, paru en 1888. Après avoir vécu pendant cinquante ans sur son îlot, Pinel tombe malade (il aurait été victime d'une « indigestion » [2]) et, paralysé [3], est transporté à l'hôpital de Saint-Hélier, où il meurt en 1896 sans avoir réalisé son rêve de voir Paris [1].

Source

René Gautier (dir.), Dictionnaire des personnages remarquables de la Manche, tome 2, ISBN 2914541147.

Notes et références

  1. 1,0 1,1 1,2 1,3 1,4 1,5 1,6 1,7 et 1,8 Sutter-Laumann, Au Val d'Andorre : les Ecrehou, Paris, Mourlon, 1888. Extrait reproduit dans « Le roi des Écrehou », L'Intransigeant, 30 décembre 1896.
  2. 2,0 2,1 2,2 et 2,3 Ch. Formentin, « Emploi vacant », La Presse, 29 décembre 1896.
  3. La République française, 29 décembre 1896.

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