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Moine de Saire

De Wikimanche

Le moine de Saire est une légende de la Manche.

Elle a son origine dans un ancien château de Réville. Charles Birette rapporte qu'elle « a été soi-disant écrite le 24 juin 1470 par "Bonne Aurèle Victoire de Quétil, dame de Montfarvil, Gattevil, Le Vicel, veuve de haut et puissant seigneur Jehan de Giron, Escuyer et Seigneur de Revil, Carquebut et Tourlaville... envieuse de faire assavoir ès générations futures l'événement miraculeux duquel fus témoin oculaire... » [1].

Présentation

Jean de Nivelle présente ainsi la légende dans les colonnes du Soleil en 1880 et 1882 :

« Il y a longtemps, si longtemps que l'on ne précise pas, le manoir de Réville était habité par un seigneur de Réville et son frère cadet qui était un moine. Un moine sans monastère, ou plutôt un moine vivant en dehors du monastère, cela peut paraître étrange, mais avec les légendes, il ne faut pas y regarder de si près. Un jour, comme celui-ci se trouvait seul au logis, un tenancier se présente pour acquitter ses fermages. La somme était assez forte pour tenter le diable, paraît-il, et le moine s'y laissa prendre. Il encaissa, signa, et s'éclipsa. » [2]
« Cela ne fit pas, comme bien on pense, l' affaire du vilain, qui réclama; audacieux, le voleur nia formellement, et, ce qui prouve bien qu'il était un moine sans principes, c'est qu'il prononça ces paroles que la légende écrite a conservées : "Cet homme qui m'accuse est un imposteur, et si jamais je lui ai pris son argent, je veux que le diable m'emporte et que le pont de Saire me serve de cellule."
Le diable, qui se trouvait sans doute dans ces parages, ne se fit pas attendre, commença à mettre en branle la cloche de la chapelle et à sonner le glas des funérailles, puis, au milieu d'une scène d'horreur indescriptible, s'empara du voleur et l'emporta. Depuis lors, il apparut fréquemment, soit à l'endroit choisi par lui, à la plus grande terreur du pays, soit dans les environs, et se mit à jouer aux voyageurs et aux riverains des tours pendables. Cependant, une autre version dit qu'en se sauvant avec la sacoche il fit rencontre, au pont de Saire, d'un personnage qui lui proposa une partie, acceptée séance tenante. En un rien de temps, le moine perdit tout l'argent volé, puis sa robe, son chapelet et tout ce qu'il avait sur le corps, enfin son âme dont le diable,- car le joueur n'était autre que messire Satan- s'empara et qu'il condamna à errer dans les alentours, jusqu'au jugement dernier. » [3].
« Toujours est-il que, de temps immémorial, et principalement dans les nuits d'ouragan, les cultivateurs revenant des forêts environnantes, la bourse garnie, ont été arrêtés au passage, par un spectre chargé de chaînes, vêtu comme un moine, qui les contraint de jouer avec lui et qui les entraîne, dans la Saire, après les avoir dépouillés. » [2]


Et le même auteur de conclure :

« Cette légende a été dramatisée. On la retrouverait, je crois, dans un recueil de traditions normandes, publié jadis par M. Octave Féré, et de vieux pêcheurs endurcis croient encore, bien probablement, au moine de Saire. [...] » [2] D'ailleurs, « [...] marins et pêcheurs passent, sans effroi, sur le vieux pont, à toute heure de la nuit » [3].

Il pourrait donc s'agir, à l'origine, d'un personnage réel, frère cadet du sire de Réville. L'écrivain Claude Blanguernon le peint ainsi à partir du Journal de Gilles de Gouberville :

« C'était un personnage grossier et détesté (...) pour sa brutalité et ses violences. Il était "barbu d'excès et velu à la manière des bestes". Il est décrit comme « malin, invectif, méchant chrétien, n'assistant jamais à la messe ni aux vêpres, et faisant aussi grasse chère le vendredi que le samedi ». Sa figure était rongée ainsi que celle d'un ivrogne car il buvait "quatre pots de berre par jour, et en plus la chopine". » [4]. C'est en se parjurant qu'il devint « la proie du diable ». La légende raconte qu'il revenait « toutes les nuits au bord de la rivière, importunant les chrétiens qui voulaient passer le gué, à hauteur du pont de Saire; on le voyait aussi à la pointe de Saire. »


Il existe toutefois une version alternative de la légende :

« A la veille d'entrer au cloître pour obéir malgré lui à la volonté paternelle, c'est un beau jeune homme en désespérance qui erre une dernière fois sur les grèves de Réville. Il s'attarde à la marée montante sur la cime d'un rocher. Une jolie pêcheuse de coquillages l'avertit du péril. Tout d'abord il n'en a cure. Mais elle insiste avec tant d'éloquence que finalement il se laisse entraîner par elle vers la rive. Avant de la quitter il lui narre son triste sort, et tous deux pleurent abondamment !... On devine la suite. Dans son monastère, le jeune homme de plus en plus mélancolique songe aux doux yeux de la Révillaise. Un jour, n'y tenant plus, il saute le mur et revient au pays. Le soir tombe. Trop certain d'être mal reçu au château paternel, c'est vers la chaumière de la jeune fille qu'il se dirige... Or, l'amour éclos dans les larmes au soir de la séparation, a poussé de profondes racines en ces deux coeurs. Sans tergiverser, nos amants gagnent le rivage, détachent une barque, livrent leur destinée au caprice des flots... Jamais personne ne les a revus ; mais on sait pertinemment que, cette nuit-là même, dans le linceul mouvant des vagues ils furent ensevelis ! Et ce sont eux que les gens de la côte entendent souvent mêler leurs gémissements aux cris des mouettes et des goélands.
Je dois dire que cette variante est moins populaire, le paysan n'étant guère sentimental, ou bien l'étant d'une autre façon. » [1]

Le moine de Saire a donné son nom à un hôtel-restaurant de Réville [5].

Bibliographie

Livres
  • Le Poitevin Jeanpot, Le Moine de Saire et histoire biographique du Val de Saire, Luce, 1897 (lire en ligne).
  • Charles Canivet, La Légende du moine de Saire, Cahiers culturels de la Manche, 2001.
  • Charles Brucan, La Légende du moine de Saire, éd. du Mauvais chemin, 2009.
Articles
  • « Le moine de Saire », La Mosaïque de l'ouest, n° 1, 1844.
  • Amélie Bosquet, La Normandie romanesque et merveilleuse, Paris / Rouen, 1845, pp. 264-266.
  • Jean Fleury, Littérature orale de Basse-Normandie, Paris, 1883, pp. 32-37.
  • Charles Birette, Dialecte et légendes du Val de Saire, Picard, 1927, pp. 44-46.
  • Jean-Pierre Seguin, Légendes traditionnelles de la Normandie, Saint-Brieuc, 1946, pp. 2-4.
  • René Lepelley et Monique Léon, Le Clos du Cotentin, Corlet / Université de Caen, Condé-sur-Noireau / Caen, 1985, pp. 97-106.
  • Édouard Colin, Légendes de Basse Normandie, Corlet, Condé-sur-Noireau, 1992, pp. 142-143.
  • Maurice Fichet, « La légende du mouène dé Saire », Vikland, n° 7, 2013.

Notes et références

  1. 1,0 et 1,1 Charles Birette, Dialecte et légendes du Val de Saire, Paris, 1927.
  2. 2,0 2,1 et 2,2 Jean de Nivelle, « Chronique de voyage », Le Soleil, 15 septembre 1880.
  3. 3,0 et 3,1 Jean de Nivelle, « Le moine de Saire », Le Soleil, 15 août 1882.
  4. Claude Blanguernon, Gilles de Gouberville, gentilhomme du Cotentin 1522-1578, impr. Bellée, 1969 , pp. 123-125.
  5. Page Facebook officielle (voir en ligne).

Liens externes