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Manufacture de La Glacerie

De Wikimanche

La manufacture royale des Glaces est une ancienne entreprise de la Manche.

D'abord située à Tourlaville, c'est un établissement industriel de premier plan du 18e siècle grâce à la mise au point du coulage des glaces par Louis Lucas de Néhou à la fin du 17e siècle. Elle emploie jusqu'à 486 ouvriers puis décline jusqu'à une première fermeture de 1702 à 1713 et une réaffectation en fabrique de salpêtre sous la Révolution française. Au cours de son activité, entre 1667 à 1834, elle agglomère progressivement autour d'elle des habitations et un village des verriers qui donnera naissance à la commune de La Glacerie en 1901 [1].

Historique

La maison de la direction et l'ancienne chapelle des ouvriers verriers.
L'ancien musée détruit en 1944.

Dans la première moitié du 16e siècle , Pierre de Belleville fonde une verrerie au hameau du Breuil, à Couville. En 1549, il la transfère à Brix; elle deviendra vers 1750 une bouteillerie dans les mielles de Tourlaville [2].

La famille de Belleville ouvre vers 1560 une autre verrerie à Tourlaville, dans la vallée du Trottebec, à la lisière nord de la forêt de Brix. Elle échoit à la famille Caqueray au début du siècle suivant [2].

En 1655, Richard Lucas de Néhou, propriétaire de la verrerie de Tourlaville à la suite d'Antoine de Caqueray, obtient de Colbert, dont il est proche, le privilège du travail du verre à Tourlaville pendant trente ans [3], et fonde un nouvel établissement destiné à fabriquer « toutes sortes de cristaux, verres à vitre, à lunettes, et tous autres ouvrages de verrerie ». Le site de production a désormais le nom de « la Glacerie » [2].

Dans deux halles, il place un fourneau pour la réalisation de « verre commun plat » et un autre pour la fabrication de « glaces, verres et autres ouvrages de cristal ». L'établissement est également doté d'un moulin à piler et d'une forge à laver les sables [2].

Grâce à de nouvelles techniques de lessivage des matières premières, Richard Lucas de Néhou aurait été le premier à réaliser du verre blanc transparent en France, quand il est traditionnellement verdâtre, ce qui lui permet de fournir les vitres des fenêtres du Val-de-Grâce à Paris [2].

En s'inspirant du travail des maîtres vénitiens, il met également au point un procédé de fabrication de glaces à miroirs [2].

Pour affranchir la France du monopole vénitien sur la confection de miroirs, Colbert décide de créer en 1664 une Manufacture royale des glaces de miroirs de Venise, en débauchant des ouvriers vénitiens de Murano. Il donne le privilège royal de réalisation à Nicolas du Noyer, receveur du Taillon d'Orléans, qui installe son établissement en 1665 rue de Reuilly, dans le faubourg Saint-Antoine [2].

Mais face à la crainte des ouvriers vénitiens de la peine de mort qui leur est promise si leurs compatriotes découvrent qu'ils trahissent les secrets de la cité des Doges, Du Noyer se rapproche en 1667, sous l'impulsion de Colbert, de la manufacture de Tourlaville, lieu plus éloigné des espions potentiels en plus d'offrir beaucoup de bois à proximité et peu cher, une rivière à commandement, du sable blanc pour la silice à quelques kilomètres, du varech en guise de fondant, du kaolin, et la mer comme moyen de transport [2].

Richard Lucas de Néhou s'associe à Du Noyer, et une succursale de la manufacture royale s'installe à Tourlaville [2]. Elle fait construire des bâtiments pour la direction, des ateliers, des magasins, une chapelle... Le secret vénitien finit par être percé et Richard Lucas de Néhou, secondé par ses neveux, Guillaume Lucas de Bonval et Louis Lucas de Néhou, améliore encore la méthode [1].

Les premiers verres blanc sortis de Tourlaville (Glacerie) sont placés au Val-de-Grâce par la reine Anne d'Autriche [1].

Manufacture royale à partir de 1673 [3] ou 1674, la verrerie se consacre aux lentilles pour instruments d'optique et d'astronomie, notamment pour l'Observatoire de Paris jusqu'en 1686, et aux glaces à miroirs, dont la qualité permet à Colbert d'interdire désormais celles de Venise [1]. Ce sont ces glaces qui sont commandées par le château de Versailles en 1682 [3].

Richard Lucas de Néhou meurt en 1675 et son neveu Guillaume Lucas de Bonval prend la direction de la manufacture jusqu'en 1720. Son autre neveu, Louis Lucas de Néhou, dirige la manufacture parisienne [3] et se consacre aux recherches pour améliorer les techniques de verrerie. Il met au point vers 1688 un procédé de coulage qui permet d'obtenir des glaces plus grandes que par soufflage. Le coulage offre également l'avantage de limiter les graves complications de santé des souffleurs de verre [1]. Les glaces réalisées grâce à ce procédé sortent en nombre de l'usine de Saint-Gobain en Picardie (aujourd'hui dans l'Aisne), tandis que celle de Tourlaville reste fidèle à la technique du soufflage [3].

En 1691, Louis Lucas de Néhou présente les quatre premières grandes glaces coulées à Louis XIV. Une partie des glaces du Palais de Versailles, du Louvre, Fontainebleau, Marly ou Meudon viennent de la manufacture de Tourlaville [1].

Entre-temps, Colbert est mort. Le nouvel intendant, Louvois, accorde des privilèges royaux à Abraham Thevart, qui prétend pouvoir couler des glaces de 60 à 80 pouces de hauteur (1,62 m à 2,16 m) et de 35 à 40 pouces de largeur (0,94 m à 1,08 m). Les deux manufactures entrent en conflit du fait des empiètements réciproques sur leurs privilèges. Aussi, Thévard appelle-t-il Louis Lucas de Néhou à la tête de sa manufacture parisienne, avant qu'une ordonnance royale n'ordonne la fusion de la compagnie des Grandes glaces (Thévard) et de la manufacture des glaces de miroirs de Venise (Tourlaville) [1].

Abandonnée puis remise en activité, on n'y fait plus qu'y polir les glaces apportées brutes de Saint-Gobain [4]. Au printemps de 1834, divers particuliers achètent le matériel de la manufacture, qui est ainsi « totalement détruite » [4][5].

En 1913, Henri Menut, maire de la nouvelle commune de La Glacerie, installe un musée narrant l'histoire de la verrerie dans les bâtiments restés debout [3]. La quasi-totalité du village disparaît dans un bombardement de l'aviation alliée le 20 avril 1944 ; seules demeurent « quelques maisons de verriers, la maison de l'argentier (presbytère), et la maison de direction (aujourd'hui reconvertie en salle de réception et gîte). L'ancienne chapelle des verriers et le polissoir sont désormais des maisons d'habitation » [3].

Bibliographie

  • Jean-Louis Adam, L'ancienne verrerie de Brix et ses transfèrements à Tourlaville et à Saint-Gobain, 1904.
  • Eugène Boivin, Un peu du passé industriel normand : autour de la Glacerie de Tourlaville, 1929.
  • Edmond Cottenceau, « La manufacture royale des glaces de Tourlaville 1655-1834», Mémoires de la Société nationale académique de Cherbourg, vol. XXIX, 1985, pp. 27-37.
  • Henriette Lepetit, Sur les traces de la manufacture des glaces - La Glacerie 1667-1830, éd. Connaissance du Cotentin, 1987.
  • Claude Jigan, « Au sujet du personnel de la manufacture des glaces de Tourlaville (Manche) », Annales de Normandie, vol. 53, n° 3, 2003, pp. 241-279 (lire en ligne).

Notes et références

  1. 1,0 1,1 1,2 1,3 1,4 1,5 et 1,6 « La manufacture des glaces. Origine du nom de La Glacerie », Reflets, mairie de Tourlaville.
  2. 2,0 2,1 2,2 2,3 2,4 2,5 2,6 2,7 et 2,8 Philippe Duval, La Glacerie 1901-2001 : son premier siècle de vie locale, Ville de La Glacerie, Paris, 2001.
  3. 3,0 3,1 3,2 3,3 3,4 3,5 et 3,6 Frédéric Patard, « À La Glacerie, une mémoire du verre cassé », La Presse de la Manche, 12 juillet 2023.
  4. 4,0 et 4,1 Voisin La Hougue, Histoire de la ville de Cherbourg (continuée de 1728 jusqu'à 1835 par Vérusmor), Boulanger, 1835, p. 109.
  5. L'historien Frédéric Patard rapporte cependant que l'usine a fermé en 1830.