Actions

Ma plage Napoléon

De Wikimanche

Ma plage Napoléon

Une plage appréciée des Cherbourgeois.

Une Cherbourgeoise Thérèse Travers se souvient de la plage Napoléon de son enfance, dans les années 1940.


« Avant la Seconde Guerre mondiale, les Cherbourgeois avaient « leur » plage, idéalement située, en plein centre ville : la plage Napoléon. L'école finissait le 14 juillet, donc, dès la mi-juin, nous pouvions en profiter à la sortie du cours à 16 h 45.

On disait que c'était une plage artificielle. Et alors ? Les enfant s'y amusaient quand même ! Nous les filles, on y amenait des poupées, pas les belles, à cause du sable un peu gris qui salissait tout, mais qui se démoulait bien. Les ouvriers de l'arsenal sortaient vers six heures et demie. Certains venaient rejoindre leur famille. Un petit casse-croûte, un cornet de frites, un bout de saucisson, un coup de cidre...

En 1940, nous avons connu les premiers bombardements sur la ville et surtout sur l'arsenal, les quais, le fort du Roule, la gare maritime. Les Cherbourgeois sont alors pressés d'évacuer où ils peuvent, souvent le sud du département. On retrouve des cousins, des amis, à la campagne, dans les petites villes tranquilles, du moins le croit-on. L'avenir en décidera autrement.

Le jeudi 24 juillet 1941, en plein après-midi, la plage est pleine de femmes et d'enfants - le jeudi est alors jour de repos scolaire - des avions anglais bombardent la ville, et donc la plage. On relève 16 morts et des dizaines de blessés. L'hôpital Pasteur donne la priorité aux Allemands. Stupeur des Cherbourgeois. « C'est plein de camions brûlés, me rapporte une compagne de classe ; l'église de la Trinité n'a plus de vitraux. »

La ville se vide chaque jour un peu plus : magasins fermés, cinémas réquisitionnés, ainsi que les belles maisons bourgeoises. La plage, désertée, est devenue un champ de manœuvre pour l'armée allemande. « Pour préparer son débarquement en Angleterre », assure ma copine. La plage prend des allures de champ labouré. Le passage des véhicules a fait remonter la terre au-dessus du sable. Tout est noir dans les espaces qui ne sont pas occupés par les camions, les canots, les caisses de munitions et tout un fatras de matériel de guerre.

À l'été 1944, après notre retour à Cherbourg, la plage et la place Napoléon offrent un spectacle de désolation, un carnage, comme preuve de la dureté des combats. Mais la statue de Napoléon est toujours debout !

Pas question encore d'aller à la plage. On n'imagine pas les tonnes et les tonnes de matériel que les Américains y débarquent, puis y entreposent avant de les emmener vers le front. Au passage, la plage a hérité d'une superbe piste en béton. Des dizaines de soldats sont au travail, renforcés par des dockers français et des citadins pressés d'aider leurs libérateurs. Une vraie rûche travaillant vingt-quatre heures sur vingt-quatre.

Des murs de caisses hauts comme des maisons encombrent la plage ! Des jeeps bien emballées, des grues, des tracteurs, des treuils... Au début, certains petits malins viennent la nuit éventrer les caisses se servir en matériel de toutes sortes : pelles, pioches, pinces, jerricans... Le pillage entraîne d'abord une surveillance, puis l'interdiction totale de la plage aux promeneurs, et pendant de longs mois.

Le 14 octobre 1945, le port est enfin rendu à la France par les Américains. Petit à petit, la jeunesse reprend possession de la plage. Les garçons arpentent la piste en béton construite par les Américains, en « roulant des mécaniques ». Les plus petits y font du vélo ou du tricycle. Les « dragueurs » s'y installent pour admirer les jolies filles qui répètent des mouvements de gymnastique. Des lycéens construisent une tour de Babel avec les pavés de la place et des débris divers. Une belle construction que les vagues finissent par détruire, soulevant des cris. C'est l'époque des maillots de bain... en laine, tricotés à la main ! et même, pour les filles, des maillots deux pièces faits au crochet.

La vie reprend peu à peu son cours normal. On a retrouvé la paix. »

Lien interne