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Jacques Dieny (1769-1833)

De Wikimanche

Signatures de Jacques Dieny et de Victoire le Vacher, au bas de l'acte de leur mariage civil.

Jacques Christophe Dieny (on trouve aussi Dienie ou Diesny) né à Teurthéville-Bocage le 21 mars 1769 et mort dans la même commune le 31 octobre 1833[1][2] , est un prêtre catholique de la Manche, cependant connu pour s'être marié civilement et religieusement.

« Sur les 3.412 prêtres et religieux recensés comme originaires de la Manche en 1790, ou comme y ayant domicile, 125 se marièrent durant la Révolution. Parmi eux, 18 prêtres ordonnés par l'évêque constitutionnel Bécherel, sur les 176 auxquels il avait imposé les mains. C'est à cette cohorte, que le peuple appelait « les prêtres de la fournée de Bécherel », qu'appartient Jacques-Christophe Diény »[3]

Biographie

Jacques Dieny est le fils de Christophe (~1735 - 1778) et de Marie le Fauqueur (~1744 - 1774). Orphelin on le trouve « simple écolier » au séminaire de Valognes en 1791, choriste de la cathédrale de Coutances en 1792. Son ordination est prononcée par François Bécherel, le 25 mai 1793 à Mortain dans la Collégiale Saint-Évroult, il est très rapidement nommé vicaire de Teurthéville-Bocage à l'âge de seulement 25 ans [3].

À Teurthéville, la situation du clergé est confuse : le curé Nicolas d'Ozouville s'est exilé à Aurigny depuis 1791[4]. Les prêtres sont nommés ou mutés à un rythme effréné.

On y trouve Pierre-François Jacquette (de la fournée de Bécherel), Etienne Vastel (vicaire constitutionnel de Sainte-Geneviève et curé constitutionnel de Rauville-la-Place), Jean-Aubin Poignant (qui abdiquera et sera « interdit pour inconduite » au concordat), Yves Esnault (curé constitutionnel de Réville, qui abdiquera également). On le voit, des prêtres favorables aux idées révolutionnaires.

L'état civil est entretenu dans une grande cacophonie  : on enregistre les baptêmes (au lieu des naissances) par des actes qui sont rédigés et signés par des « officiers publics »[5].

Enfin, Jacques Dieny est connu pour fréquenter assidument Jean le Vacher. Ce dernier, natif de Teurthéville-Bocage, est vicaire à Paris où il se marie avant d'être installé dans la collégiale Saint-Malo à Valognes[6] . Il est l'oncle de Jeanne Victoire Félicité le Vacher, future épouse de Jacques Dieny.

Mariage civil

Victoire est le prénom d'usage de la jeune nièce, elle est née le 31 janvier 1779 à Teurthéville-Bocage[7]. Le 28 juillet 1794 les bans sont publiés[8], le mariage est conclu deux jours plus tard en mairie le 30 du même mois, à quatre heures du matin, en l'absence de l'officier d'état civil habituel, autant dire, en catimini[9]. La mariée a moins de seize ans.

Préalablement, Jacques Dieny a abdiqué. Il semble que cette abdication soit un acte civil, donc formellement, au moment de son mariage il est toujours vicaire, bénéficiant cette fois d'une rente publique comprise entre 800 et 1000 livres…

Quoiqu'il en soit, l'acte de mariage le dit laboureur, terme hérité de l'Ancien Régime qui veut dire qu'il est propriétaire de suffisamment de terre pour vivre en autarcie, probablement des terres héritées au hameau des Vastel[10].

Dès le 9 août 1794 il est membre du conseil général de la commune. Le 30 du même mois il est officier d'état civil, jusqu'au 14 avril 1795.

Le premier enfant du couple naît le 17 août 1797, un garçon prénommé Jacques Christophe Louis[11] Cette fois, l'acte de naissance précise que le père est instituteur ! Le petit est baptisé le jour même de sa naissance[12] : la famille a donc toujours de la religion.

Leur deuxième est une fille, Marie Victoire, née le 15 octobre 1801 également baptisée le jour même[13][14][15].

Mariage religieux

Le 10 mars 1804, Jacques Dieny écrit une requête au cardinal Caprara[16], légat du saint siège. Il y demande l'autorisation de se marier à l'église. L'en-tête vaut d'être cité : Dieny y dit toujours être « prêtre de la commune de Teurthéville-Bocage ». Cette requête paraît assez lâche :

« J'ai l'honneur de vous exposer qu'en mil sept cents quatre vingt douze, je fût ordonné prêtre à l'âge de vingt cinq ans par le citoyen Bécherel, évêque constitutionnel du département de la Manche[17] . J'ai exercé pendant une année en qualité de fonctionnaire public les fonctions du saint ministère. En l'an III de la République, dans le fort de la terreur, je fus forcé de contracter civilement mariage avec une femme honnête pour me soustraire aux fureurs de la persécution. »

Admettons qu'il ait été forcé à se marier, cela ne l'a pas empêché d'avoir déjà deux enfants avec « l'honnête femme »… Il signe « Dieny, prêtre », ce qui semble confirmer que l'Église ne l'a toujours pas rayé de ses cadres.

Pierre François Jacquette, prêtre desservant de Teurthéville-Bocage (autant dire curé) cosigne la requête.

La réponse de Caprara revient deux mois plus tard, sous forme de rescrit[18] signé par Monseigneur Joseph Sala, le premier mai 1804. En résumé:

  • Jacques Dieny peut épouser religieusement Victoire le Vacher et personne d'autre (même en cas de veuvage).
  • Ce faisant il perd sa qualité de prêtre.

Le rescrit est transmis à Jacques Dieny le 23 septembre 1804.

Mais là, passe plus d'un an et demi :

« Pourquoi ce délai de plus d'un an et demi ? Selon la tradition de 1866, il aurait été retenu par des scrupules religieux. Il voulait déterminer son épouse à entrer dans un couvent (comme religieuse ou comme dame pensionnaire ?). Aurait-il désiré, moyennant divorce prononcé par un tribunal civil, reprendre son ministère sacerdotal ? Cela était théoriquement possible, mais l'évêque aurait jugé la chose incompatible avec l'éducation des deux enfants du couple. Victoire le Vacher refusa la séparation, et donna à son mari deux autres enfants durant cette période : Christophe Bon Augustin, né le 26 avril 1805[19][20], et Anne Victoire Agathe, née le 26 juin 1806[21][22]. »[6]

Si ce témoignage tardif correspond à la réalité, il donne à nouveau une image exécrable de Dieny : « madame, rentrez dans les ordres que je puisse continuer à être prêtre, mais dans l'intervalle laissez moi vous faire deux enfants ». On peut imaginer comportement plus cohérent. Méfions nous : tout ceci est écrit très longtemps après que Dieny soit mort.

À noter : le parrain de Christophe Bon Augustin n'est autre qu'Augustin le Carpentier (1762-1846), prêtre qui lui aussi abdiquera, frère de Jean-Baptiste Lecarpentier député montagnard, signalé comme fréquentation de Jacques Dieny par Lechat[20].

Acte du mariage religieux

Signatures au bas de l'acte de mariage religieux de Jacques Dieny et Victoire le Vacher. On voit que la signature de Dieny a considérablement enflé depuis le mariage civil. Par contre Victoire commet toujours la même erreur dyslexique : Victoier au lieu de Victoire.

Ce mariage religieux aura lieu le 12 juin 1806. L'acte vaut d'être cité intégralement :

« Le jeudi douze de juin 1806 d'après le rescrit ou dispense donnée en due forme par son éminence le cardinal Caprara légat a latere[23] en France le premier mai 1804 sur une supplique faite à sa sainteté Pie VII par Jacques Diesny prêtre séculier de ce diocèse et de cette paroisse, adressée à Claude Louis Rousseau aux fins de la fulminer[24] et après les ordres et la commission du dit Claude Louis Rousseau évêque de Coutances, à nous adressée, dispense de bans et d'heure et de temps, l'acte civil passé depuis onze à douze ans, les fiançailles célébrées ce jour même, j'ai d'après les pièces ci jointes, reçu en la sacristie de cette église leur mutuel consentement de mariage et leur ai donné la bénédiction nuptiale en conséquence des ordres à moi donnés par Mgr l'évêque, selon les rit[e]s et cérémonies prescrites par notre mère s[ain]te église cath[olique], apost[olique] et romaine en présence de Jean Houet, de Pierre Vastel cultivateurs du Vast et de notre custos[25] ; le dit jour et an que dessus. »[26]

On le voit, le mariage est à nouveau célébré en cachette, dans la sacristie et pas dans l'église, avec des témoins choisis en dehors de la commune. Victoire le Vacher est presque au terme de la grossesse de son quatrième enfant, Victoire Agathe, qui naît deux semaines plus tard[27][28]. Selon l'acte de naissance, Jacques Dieny exerce cette fois la profession de « percepteur à vie des communes de [Théville ?] et Brillevast ».

Le 9 avril 1807 on trouve sa signature dans le registre paroissial : il est parrain d'un de ses neveux. Il a donc toujours ses entrées à l'église[29].

Le couple aura encore trois enfants :

  • Christophe né le 2 mai 1808[30]. (Dieny est laboureur)
  • Jean Baptiste Louis Nicolas, né le 8 août 1810[31]. (Cultivateur)
  • Justine Aimable, née le 30 juillet 1820[32]. (À nouveau cultivateur)

Professions et fonctions

On l'a vu, au gré des actes d'état civil concernant sa famille, Dieny exerce une foule de fonctions qu'on peut efficacement résumer, tant cette liste est surprenante :

  • 1791 : simple écolier au séminaire
  • 1792 : choriste à la cathédrale de Coutances
  • 1793 : vicaire de Teurthéville-Bocage
  • 1794 : laboureur, membre du conseil général de la commune, officier d'état civil
  • 1797 : instituteur
  • 1806 : percepteur
  • 1808 : laboureur
  • 1810, 1820 et 1833 : cultivateur

L'article de Jean-Baptiste Lechat se termine avec une citation de la chronique de 1866 :

« Quant à Jacques Dieny, il montra un repentir exemplaire. Assidu aux liturgies dominicales de Teurthéville, il assistait régulièrement chaque jour, pendant tout le temps du carême, à la messe ainsi qu'aux instructions qui se donnaient le soir. Avant les offices, il priait à l'église, souvent par la récitation d'une des heures du bréviaire. Agenouillé sur le pavé, il lui arrivait de pleurer et même de le mouiller de ses larmes. Il était bien connu qu'il ne se plaisait guère dans la compagnie de son ménage, où trois naissances s'échelonnèrent pourtant de 1808 à 1820. Cette relative désaffection ne corrobore-t-elle pas le long délai qu'il mit à profiter de la grâce du Saint-Siège ? »[6]

On peut rester perplexe : on l'a vu, Dieny ne cesse toute sa vie d'avoir un comportement incompatible avec sa fonction de prêtre catholique romain. Mais on peut aussi percevoir une personnalité dévastée par ses diverses convictions, notoirement incompatibles entre elles. Aucune source ne saurait l'expliquer, même si finalement on en trouve de nombreuses.

Jacques Diesny décède chez lui au Hameau Vastel, le 31 octobre 1833 à 11 heures du matin.

Bibliographie

  • Jean-Baptiste Lechat, Le Dossier d'un Prêtre marié pendant la Révolution : Jacques-Christophe Diény (1764-1833) de Teurthéville-Bocage (Manche). In: Annales de Normandie, 39ᵉ année, n°2, 1989. pp. 191-202 (lire en ligne).
  • Conférence ecclésiastique de 1866 : Histoire religieuse de Teurthéville-Bocage (1789-1807) par Pierre Levacher, curé. Archives de l'évêché de Coutances.

Notes et références

  1. Baptême de Jacques Diény : Archives de la Manche ­— (BMS) Teurthéville-Bocage 1766-1777 (Mi1868) — Vue : 82 . À noter que l'article de Jean Baptiste Lechat cité plus loin en référence le dit né en 1764. Le dépouillement systématique des registres de Teurthéville-Bocage ne signale rien cette année là, mais montre bien l'acte de 1769, correspondant exactement : nom prénoms et identité des parents.
  2. Décès de Jacques Diény : Archives de la Manche ­— (NMD) Teurthéville-Bocage 1833-1837 (3E 593/11) — Vue : 44 . L'acte lui donne lui donne 64 ans, ce qui correspond bien à une naissance en 1769.
  3. 3,0 et 3,1 Sauf indication contraire, toutes les infos de cette page sont tirées de : Jean Baptiste Lechat, Le Dossier d'un Prêtre marié pendant la Révolution : Jacques-Christophe Diény (1764-1833) de Teurthéville-Bocage (Manche). In: Annales de Normandie, 39ᵉ année, n°2, 1989. pp. 191-202 (lire en ligne).
  4. Exil de d'Ozouville : Notices, mémoires et documents publiés par la Société d'agriculture, d'archéologie et d'histoire naturelle du département de la Manche - Société d'archéologie et d'histoire de la Manche. Auteur du texte - Saint-Lô 1924 - Page 114. La source citée commet une faute en le disant curé de Tourlaville-Bocage, ce qui n'a aucun sens. Par contre les dates citées correspondent bien à la disparition de d'Ozouville dans les signatures du registre paroissial de Teurthéville-Bocage.
  5. Voir par exemple : Archives de la Manche ­— (BMS-NMD) Teurthéville-Bocage 1792-An VI (E12) — Vue : 50
  6. 6,0 6,1 et 6,2 Pour tous ces détails de la vie quotidienne de Jacques Dieny, l'article de JB Lechat cite une conférence ecclésiastique de 1866 : Histoire religieuse de Teurthéville-Bocage (1789-1807) par Pierre Levacher, curé. Bien qu'écrite 33 ans après le décès de Dieny, cette conférence semble être un recueil plausible de témoignages.
  7. Baptême de Victoire le Vacher : Archives de la Manche ­— (BMS) Teurthéville-Bocage 1778-1791 (E11) — Vue : 15
  8. Bans de mariage Archives de la Manche ­— (BMS-NMD) Teurthéville-Bocage 1792-An VI (E12) — Vue : 24
  9. Mariage civil Archives de la Manche ­— (BMS-NMD) Teurthéville-Bocage 1792-An VI (E12) — Vue : 41
  10. Localisation du Hameau Vastel : sur Maps
  11. Naissance de Jacques Christophe Louis Dieny : .Archives de la Manche ­— (BMS-NMD) Teurthéville-Bocage 1792-An VI (E12) — Vue : 235
  12. Baptême de Jacques Christophe Louis : Archives de la Manche ­— (BMS) Teurthéville-Bocage 1795-1807 (316 J 129) — Vue : 13
  13. Naissance de Marie Victoire : Archives de la Manche ­— (NMD) Teurthéville-Bocage An VI-An X (3E 593/4) — Vue : 200
  14. Baptême de Marie Victoire : Archives de la Manche ­— (BMS) Teurthéville-Bocage 1795-1807 (316 J 129) — Vue : 43
  15. Curieusement, l'article de Jean Baptiste Lechat dit ne pas trouver trace de la petite. L'acte de naissance est pourtant écrit en clair dans les registres.
  16. Giovanni Battista Caprara, archevêque de milan, légat a letere auprès du gouvernement français, a conclu avec Napoléon, premier consul, les termes du Concordat de 1801, qui rétablit en France le culte catholique. À Milan il couronne Napoléon Roi d'Italie en 1802.
  17. Nous voilà encore avec un doute sur la date de naissance qui tomberait alors en 1767
  18. Rescrit : acte administratif donné par écrit
  19. Naissance de Christophe Bon Augustin : Archives de la Manche ­— (NMD) Teurthéville-Bocage 1802 (An XI) - 1807 (5Mi820) — Vue : 113 , le petit est décédé le 13 juillet suivant : Archives de la Manche ­— (NMD) Teurthéville-Bocage 1802 (An XI) - 1807 (5Mi820) — Vue : 122
  20. 20,0 et 20,1 Baptême de Christophe Bon Augustin : Archives de la Manche ­— (BMS) Teurthéville-Bocage 1795-1807 (316 J 129) — Vue : 81
  21. Naissance d'Anne Victoire Agathe : Archives de la Manche ­— (NMD) Teurthéville-Bocage 1802 (An XI) - 1807 (5Mi820) — Vue : 176
  22. Baptême d'Anne Victoire Agathe Archives de la Manche ­— (BMS) Teurthéville-Bocage 1795-1807 (316 J 129) — Vue : 102
  23. a latere = littéralement « aux côtés de »
  24. fulminer = publier, rendre public
  25. custos = sacristain
  26. Mariage religieux : Archives de la Manche ­— (BMS) Teurthéville-Bocage 1795-1807 (316 J 129) — Vue : 100
  27. Naissance de Victoire Agathe Diesny : Archives de la Manche ­— (NMD) Teurthéville-Bocage 1802 (An XI) - 1807 (5Mi820) — Vue : 176
  28. Baptême de Victoire Agathe, qui y est prénommée Anne victoire [sic] :Archives de la Manche ­— (BMS) Teurthéville-Bocage 1795-1807 (316 J 129) — Vue : 102
  29. Batême de Jacques François Louis Goueslain : Archives de la Manche ­— (BMS) Teurthéville-Bocage 1795-1807 (316 J 129) — Vue : 111
  30. Naissance de Christophe Dieny : Archives de la Manche ­— (NMD) Teurthéville-Bocage 1808-1812 (3E 593/6) — Vue : 29
  31. Naissance de Jean Baptiste Louis Nicolas : Archives de la Manche ­— (NMD) Teurthéville-Bocage 1808-1812 (3E 593/6) — Vue : 115
  32. Naissance de Justine Aimable : Archives de la Manche ­— (NMD) Teurthéville-Bocage 1818-1822 (3E 593/8) — Vue : 97

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