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Hommage aux héros

De Wikimanche

La Presse de la Manche, 24 juin 2023.

Hommage aux héros est un ancien projet de parc à thème centré sur la Seconde Guerre mondiale qui devait être implanté à Carentan-les-Marais, dans le département de la Manche.

Historique

Le 10 janvier 2020 à Rouen (Seine-Maritime), lors de ses vœux à la presse, Hervé Morin, président de la région Normandie, révèle l'existence d'un projet de créer un « D-Day land » à proximité des plages du Débarquement, qui couvrirait une trentaine d'hectares dans un lieu à déterminer entre les départements de la Manche et du Calvados [1]. Il s'agit, explique-t-il, « d'un grand spectacle payant mis en scène par un réalisateur de haut vol » [1]. Et d'insister : « On ne peut pas se contenter de faire l'événement tous les cinq ans : l'objectif est de pouvoir retenir chaque année les touristes quelques jours de plus » [1].

Le projet est porté par trois promoteurs privés, Stéphane Gateau, producteur à la télévision de « La nuit la plus longue » pour le 60e anniversaire du Débarquement, Roberto Ciurleo, producteur de Bernadette, spectacle monté à Lourdes, et Régis Lefebvre, communicant [2]. L'objectif est d'ouvrir le parc en 2024 pour le 80e anniversaire du Débarquement.

L'annonce du projet suscite de nombreuses réactions. Dès le 15 janvier suivant, le député Philippe Gosselin apporte son soutien en projet, en défendant une implantation manchoise [3]. Marc Lefèvre, président du Conseil départemental de la Manche, fait de même le 15 septembre 2020 [4]. Mais les voix défavorables au projet sont les plus nombreuses. Des voix s'élèvent contre ce « Puy-du-Fou normand », des comités d'opposants se mettent en place à Ver-sur-Mer (Calvados), à Sainte-Marie-du-Mont et à Carentan-les-Marais. Deux pétitions sont lancées. Les vétérans français Léon Gautier, seuls survivants du commando Kieffer, et Hubert Faure, se prononcent contre le projet [5].

« Jamais nous n'avons parlé de parc à thème, affirment les promoteurs. Non, nous ne ferons pas un D-Day land ! Notre volonté est de respecter l'Histoire et de rendre hommage à ces milliers d'hommes et de femmes qui se sont battus pour la liberté » [2].

En revanche, le maire de Sainte-Marie-du-Mont, Charles de Vallavieille, est contre ce « projet de fric » [6].

Hervé Morin reprend la parole pour défendre le projet. « Le D-Day land ne sera ni un parc d'attraction ni un Puy-du-Fou (...) Il s'agit « d’une évocation historique, portée par des grands acteurs du monde de la production et de la culture. Il repose sur un comité scientifique intégrant les plus grands historiens, qui feront en sorte que cette évocation ne puisse pas faire l’objet d’errements » [7]. Et d'ajouter : « Oui, c’est un projet de développement touristique. Mais toutes les infrastructures déjà en place autour des plages du Débarquement vivent aussi du tourisme de mémoire : du Mémorial, jusqu’aux structures privées ».

Le 5 septembre 2020, l'écrivain Gilles Perrault signe une tribune dans Le Monde dans laquelle il voit ce « D Day Land » comme « une mascarade historique à visée commerciale (…) faisant appel à 150 comédiens et circassiens, avec la reconstitution d’un village » qui « assurera la vente de produits locaux et de produits dérivés ».

Le 8 septembre 2020, le Québécois Serge Denoncourt, choisi comme metteur en scène, explique que « les spectateurs seront assis et au fil de la mise en scène, ils avanceront dans des décors qui les transporteront dans le temps, à partir de 1943, mais aussi dans l'espace, des États-Unis à Londres, puis en Normandie. Une troupe d'acteurs incarnera des héros de cette époque. Il y aura aussi l'utilisation de films, de la 3D, de la 2D ou d'effets spéciaux lors de cette représentation théâtrale, mais toujours au service de l'hommage » [8].

Le même mois, 154 descendants du commando Kieffer, la seule unité militaire française à avoir participé au Débarquement, estime que « la transmission de la mémoire (...) ne peut en aucun cas se faire sur le mode spectaculaire, festif et commercial ».

Le 15 octobre 2020, le conseil municipal de Carentan-les-Marais est saisi du projet [9]. On comprend que les spectateurs (de 800 à 1 000), seront installés sur une tribune mobile qui effectuera un parcours de 500 à 600 m en 45 minutes en assistant à une dizaine de tableaux différents [9]. Environ 600 000 visiteurs son attendus chaque année. Bayeux serait en concurrence avec Carentan [9]. Jean-Pierre Lhonneur, maire, se dit « très favorable » au projet, dont le coût est estimé « entre 50 et 100 millions d'euros » [9].

Le même jour, un débat est organisé à Carentan-les-Marais. Les promoteurs, Stéphane Gateau, Roberto Ciurleo et Régis Lefebvre y récusent une nouvelle fois le terme de « D-Day land » ou de « Puy-du-Fou normand ». « Ce ne sera pas un parc d'attractions, affirment-ils. L'Éducation nationale et un comité d'éthique seront garants ou pas du projet qui veut servir la mémoire de ceux qui ont combattu, se sont sacrifiés en terre normande et ont été les victimes civiles de la bataille de Normandie pour la transmettre aux jeunes dans le respect et la dignité » [10].

Hervé Morin choisit le Comité du Débarquement, présidé par Jean Quétier, maire de Sainte-Mère-Église, comme « comité d'éthique » et dit s'en remettre à lui pour agréer ou non le projet.

Mais, pendant ce temps-là, l'opposition se renforce. Le 27 juillet 2021, quatre associations écologistes, Cotentin Nature, Manche Nature, le Crépan et France Nature Environnement, condamnent le projet, le jugeant, « déjà très contestable sur le plan humain », et posant « de sérieux problèmes environnementaux », avec la destruction de terres agricoles, des rejets massifs d'eaux usées, l'accroissement des émissions de gaz à effet de serre...

Entretemps, une société par actions simplifiée (SAS) Hommage aux héros a été créée le 5 juin à Caen (Calvados), avec un capital de 10 000  [11], qui passe à 13 416  en juillet avec l'arrivée de deux nouveaux partenaires, la SAS AMB Finances et New Mercure [12]. Richard Lenormand est nommé directeur général le 21 septembre suivant [13].

Le 15 octobre 2021, une lettre est adressée à Barbara Pompili, ministre de la Transition écologique, qui dénonce un « saccage environnemental » [14].

Le 27 mai 2022, une centaine de proches et de descendants de vétérans américains, britanniques et canadiens réclament l'abandon du projet au motif que « la transmission de la mémoire n'est ici qu'un prétexte au développement d'un business bien éloigné des drames encore très présents dans nos histoires personnelles et familiales » [15]. Et d'ajouter : « Accepter ce projet serait le signe que la valeur et la douleur des sacrifices ont été oubliées, que nos morts, réduits au rôle de figurants d'un spectacle, ne valent pas plus qu'un ticket d'entrée dans un parc à sensations » [15].

Le 29 juin 2022, le projet est présenté officiellement [16]. Les promoteurs expliquent que le site occupera 32 hectares, dont 17 resteront « à l'état naturel » [16]. Le spectacle durera 45 minutes [16]. Il emmènera 1 000 spectateurs sur un « théâtre mobile » qui avancera sur 500 mètres ; chaque étape plongera le public dans un moment d'histoire de la Seconde Guerre mondiale, entre 1943 et le Débarquement [16]. Les reconstitutions se feront sur des scènes où évolueront des acteurs au milieu de décors et de murs d'images d'archives [17]. Le coût du projet est estimé à 90 millions d'euros financés entièrement sur fonds privés [17]. L'ouverture est retardée à 2025 [16]. Le site sera ouvert de mars à octobre, avec l'espoir d'y attirer 600 000 visiteurs chaque année, qui paieront leur billet 28,50  [17].

Une concertation publique a lieu du 16 août 2022 au 7 octobre à travers cinq réunions publiques mobilisant 810 participants et suscitant 98 interventions, complétées par 364 observations sur internet [18]. Le 29 décembre 2022, les promoteurs publient un document de 69 pages qui répond aux questions posées et annoncent qu'ils renoncent à constituer le « comité scientifique », qui devait donner une caution historique à leur projet, pour lui préférer « des recherches précises et ciblées auprès des meilleurs spécialistes » [19].

Le 27 septembre 2022, une tribune publiée dans le quotidien Le Monde par quatre historiens, Annette Becker, Julian Jackson, Jean-Luc Leleu et Olivier Wieviorka, dénonce une opération « avant tout mercantile » qui veut « éblouir les sens plutôt qu'éclairer les esprits, provoquer les émotions plutôt que susciter la réflexion » et qui, de ce fait, participe à « l'industrialisation du tourisme de mémoire » [20].

Les promoteurs déposent leur demande de permis de construire le 18 novembre 2022 [21].

Le 22 novembre 2022, la Chambre d'agriculture de la Manche donne un avis favorable au projet sous réserve de « limiter la consommation d'espace le plus strictement possible » [22].

Le 13 décembre 2022, la Commission locale de l'eau Douve et Taute donne un avis favorable au projet par 12 voix, dont 5 avec réserves, contre 5 et 5 abstentions.

Le 27 décembre 2022, une tribune publiée sur le site internet de Libération par Guy Burgel, professeur de géographie urbaine, Thierry Paquot, philosophe, et Jean-Michel Pérignon, conservateur général du patrimoine honoraire, dénonce un « projet incongru contre l'intérêt général » [23].

Au début de 2023, la Mission régionale d'autorité environnementale Normandie (MRAE) s'inquiète « des impacts [du projet] sur les zones humides et la biodiversité » et demande aux promoteurs « d'approfondir les inventaires écologiques et d'élargir l'aire d'étude prospectée » et de présenter des solutions alternatives de moindre impact » [24]. De son côté, l'Office français de la biodiversité (BFO) pointe les « nombreuses insuffisances » de l'évaluation environnementale du projet [24]. Devant les oppositions que suscite cette installation, les porteurs du projet n'excluent pas de se rabattre sur des friches industrielles à Colombelles, à l'est de Caen (Calvados) [25].

Le 27 mai 2023, à Carentan-les-Marais, les opposants organisent un carnaval interdit par la municipalité : des « parpaings d'or » sont attribués au maire Jean-Pierre Lhonneur et au Crédit agricole [26].

En juin 2023, dans une lettre adressée à Emmanuel Macron, président de la République, la World Veterans Foundation, qui revendique regrouper 172 associations de vétérans de 121 pays et 60 millions de vétérans, exprime son « inquiétude » et « un véritable malaise » face à ce projet lié au « commercialisme » en qui elle voit un « Disneyland du Débarquement » [27]. Pour le vice-président Hug Milroy, signataire de la lettre, « nos morts au combat sont tout d'abord honorés dans l'éloquente tranquillité des cimetières du Commonwealth et des mémoriaux où le silence de ces lieux de recueillement en dit beaucoup plus sur la grandeur de leur sacrifice que la cacophonie de sons et d'images proposés » [27].

Le 23 juin 2023, lors d'une conférence de presse, Jean-Pierre Lhonneur, maire de Carentan-les-Marais, annonce que les promoteurs du projet renoncent à la réalisation du projet dans sa ville [28].

En septembre 2023, les promoteurs décident d'abandonner la dénomination « Hommage aux héros » et d'appeler désormais leur projet « Normandy Memory » [29].

Le 28 novembre 2023, le conseil municipal de Carentan-les-Marais décide d'acheter quand même les terrains qui avaient été prévus pour accueillir le projet, soit une trentaine d'hectares [30].

Retombées économiques

Selon les promoteurs, le chantier générera de 22 à 32 millions d'euros de dépenses et créera de 180 à 220 emplois [31]. Les promoteurs espèrent attirer 600 000 visiteurs chaque année qui dépenseront 20 millions d'euros par an en dehors du site [31]. L'activité, disent-ils, fera travailler 350 personnes d'avril à octobre [31].

Notes et références

  1. 1,0 1,1 et 1,2 Ludovic Ameline, « Un D-Day land devrait voir le jour à l'horizon 2024 », La Presse de la Manche, site internet, 11 janvier 2020.
  2. 2,0 et 2,1 Jean-Christophe Lalay, « Le projet de grande épopée sur la bataille de Normandie en 2024 dévoilé », Ouest-France, site internet, 30 juillet 2020.
  3. « D-Day land en Normandie : Philippe Gosselin rêve du D-Day land  », La Presse de la Manche, site internet, 16 janvier 2020.
  4. Nicolas Dentelle, « D-Day land : Marc Lefèvre favorable à un projet dans la Manche », Ouest-France, site internet, 16 septembre 2020.
  5. « D-Day : polémique autour d'un projet de site immersif », Le Télégramme', 22 septembre 2020.
  6. La Presse de la Manche, site internet, 3 août 2020.
  7. Énola Richet, « Hervé Morin défend le projet D-Day land », Ouest-France, site internet, 11 août 2020.
  8. Carole Le Goff, « Serge Denoncourt : “Ce n'est pas un divertissement mais un hommage” », La Presse de la Manche, site internet, 11 septembre 2020.
  9. 9,0 9,1 9,2 et 9,3 Julien François, « Hommage aux héros : le projet sort de l'ombre », Ouest-France, site internet, 17 octobre 2020.
  10. Yann Halopeau, « Carentan : au théâtre, débat courtois autour du projet Hommage aux héros », Ouest-France, site internet, 17 octobre 2020.
  11. « Annonce légale », Ouest-France, 5 juin 2021.
  12. « Annonce légale », Ouest-France, site internet, 31 juillet 2021.
  13. « Annonce légale », Ouest-France, site internet, 21 septembre 2021.
  14. « Projet Hommage aux héros : un “saccage environnemental” selon les opposants », ''AFP, 15 octobre 2021, 20 h 09.
  15. 15,0 et 15,1 « Des proches de vétérans anglo-saxons s'insurgent », AFP, 27 mai 2022, 20 h 31.
  16. 16,0 16,1 16,2 16,3 et 16,4 Jean-Christophe Lalay, « Le projet Hommage aux héros enfin dévoilé », Ouest-France, 30 juin 2022.
  17. 17,0 17,1 et 17,2 Ludovic Ameline, « Unique au monde, le projet “Hommage aux héros” se dévoile enfin », La Presse de la Manche, site internet, 5 juillet 2022.
  18. « Débats », Ouest-France, 29-30 octobre 2022.
  19. Stéphanie Séjourné, « Hommage aux héros continue sur sa lancée », Ouest-France, 30 décembre 2022.
  20. « Sur les plages du Débarquement, la mémoire biaisée », Le Monde, 27 septembre 2022.
  21. Jean-Christophe Lalay, « Hommage aux héros veut éviter les recours juridiques », Ouest-France, 25 janvier 2023.
  22. Guillaume Le Du, « Hommage aux héros : 32 hectares contestés », Ouest-France, 14 février 2023.
  23. Guy Burgel, Thierry Paquot et Jean-Michel Pérignon, « D-Day Land : un projet incongru contre l'intérêt général », Libération, site internet, 27 décembre 2022.
  24. 24,0 et 24,1 Jean-Christophe Lalay, « Hommage aux héros : des avis qui font mal », Ouest-France, 9 mars 2023.
  25. « L'Hommage aux Héros. Mal reçu à Carentan, le projet irait à Caen », La Manche Libre, site internet, 17 mars 2023.
  26. Émilie Michel, « Un carnaval contre le projet Hommage aux héros », Dimanche Ouest-France, 28 mai 2023.
  27. 27,0 et 27,1 Jean-Christophe Lalay, « Nouveau frein pour l'Hommage aux héros », Ouest-France, 16 juin 2023.
  28. Émilie Michel, « Hommage aux héros ne se fera pas à carentan », Ouest-France, 24 juin 2023.
  29. « Le spectacle immersif sur le D-Day change de nom », Ouest-France, 14 septembre 2023.
  30. « La Ville achète les terrains prévus pour le projet “Hommage aux héros” », La Presse de la Manche, site internet, 1er décembre 2023.
  31. 31,0 31,1 et 31,2 Jean-Philippe Massieu, « Les retombées économiques espérées », La Presse de la Manche, 24 septembre 2022.

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