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Goubelin

De Wikimanche

Dictionnaire manchois
Goubelin

Goublin dans un ancien fenestron, hameau de la Roche, Auderville.

Cette page est une entrée du dictionnaire manchois.

Goubelin (dial., fr. reg.), n. m., sorte de revenant ou d'esprit follet, plus espiègle que malveillant.

Répartition géographique

Gobelin est un mot français. Avec la graphie goubelin, goublin (etc.) il se rencontre surtout dans la Manche.

Attestations écrites

Dans les chansons et la littérature dialectales
Dans les glossaires et dictionnaires

Attestations orales

Transcription francisée.

  • goubliner, goubeliner, v. tr, non datée, (Équeurdreville) [7], « inquiéter, turlupiner ».

Attestations toponymiques

À Saint-Georges-de-la-Rivière.

Légendes et chanson

Les goubelins, goublins ou gobelins sont les elfes et nains de la mythologie scandinave, et les lutins celtes. Esprits de la nature, se métamorphosant en animaux familiers, ils sont facétieux mais plutôt bienveillants tant qu'ils sont choyés. Sans quoi, les maisons « goublinées » s'animent la nuit, leurs portes claquent, les bruits de vaisselles cassées résonnent, sans qu'aucune trace ne subsiste le lendemain matin. Ils peuvent également être les gardiens d'un trésor.

Selon Jean Fleury

Jean Fleury (1816-1894) en définit ainsi certaines de leurs caractéristiques, recueillies principalement au hameau Fleury à Gréville, ou encore à Omonville-la-Rogue [8] :

Le goublin n'est pas méchant, il est espiègle. Le jour, il prend toutes sortes de formes. C'est un gros chien qui vient se chauffer au coin du feu, c'est un lièvre ferré qui se promène sur un pont, c'est un cheval blanc qui apparaît dans le pré, c'est un gros matou noir qui ronronne près du feu et se laisse parfois caresser.
Le goublin du Val-Ferrand, à Gréville, apparaissait ordinairement sous la forme d'un lièvre familier. Il venait se chauffer au feu pendant qu'on cuisait le soir la chaudronnée de pommes de terre. Il assistait à la fabrication du pain, et, à chaque cuisson, on lui faisait une galette qu'on lui mettait en dehors de la fenêtre. Si l'on l'oubliait, on en avait pour quinze jours de tapage dans la maison. Ceci se passait il y a environ soixante ans [9].
Le lutin du fort d'Omonville-la-Rogue était encore plus familier, mais il était aussi plus espiègle. C'était parfois un mouton blanc; d'autrefois [sic] un petit chien qui se couchait sur la jupe de la jeune fille de la maison et se faisait traîner. La nuit, on l'entendait tourner le rouet, laver la vaisselle. Dans la cour, c'était souvent un veau que l'on voyait apparaître à l'improviste. D'autres fois, c'était un lièvre qui s'amusait tout à coup à partir au galop avec du feu sous le ventre. Parfois c'était un gros chien noir qui faisait sa ronde le soir en grondant. La jeune fille s'était prise d'amitié pour lui; il s'amusait à lui jouer toutes sortes de tours plaisants. Elle voyait à terre un peloton de fil, par exemple, elle le ramassait en se reprochant sa négligence; tout à coup le peloton de fil éclatait de rire dans ses mains et sautait à terre. C'était le goublin qui s'ébattait. Chez les Fleury de Jobourg, le goublin prenait ordinairement la forme d'un lièvre familier qui se laissait caresser comme un chat.

Selon Alfred Rossel

Alfred Rossel (1841-1926) en a fait le thème d'une chanson, Les Goublins [10], dont voici le premier couplet et le refrain :

Du temps qu'ma grand' mèr' vivait,
V'la déjà d'cha byin d'z'annâes,
À la veillyie no n'prêchait [11]
Que d' goublins et d' cont' de fâes,
De lutins et de rev'nants,
D'chorchyis [12]qui s'changeaient en baêtes…
Ryin qu'd'en prêchyi, mes bouon' gens,
Les q'veux [13] m'en dréch' su la taête.
Refrain
Ah ! coum' disait ma grand mère
Es servant' [14] de nous vaîsins,
Qui giblaient [15] en r'venant d' traire :
Déf'ious [16], déf'ious des goublins
Qui rôdent l'sai [17] dans les q'mins,[18]
Déf'ious, déf'ious des goublins
Qui rôdent l'sai dans les q'mins.

Étymologie

  • Le mot goubelin (forme française gobelin, d'où également l'anglais goblin) est mentionné pour la première fois sous une forme latinisée gobelinus chez Orderic Vital [19], donc entre 1123 et 1141 :
Dæmon enim, quem de Dianæ fano expulit [Taurinus] adhuc in eadem urbe degit, et in variis frequenter formis apparens, neminem lædit. Hunc vulgus gobelinum appellat, et per merita sancti Taurini ab humana læsione coercitum usque hodie affirmat.
« en effet le démon que [saint Taurin] chassa du temple de Diane pour qu'il ne fasse de mal à personne vécut jusqu'à présent dans cette ville [20], apparaissant fréquemment sous diverses formes. Le peuple l'appelle gobelin, et affirme que le pouvoir de saint Taurin l'a empêché jusqu'ici de faire le moindre mal aux humains ».
Le mot apparaît ensuite brièvement en ancien français sous la forme gobelin vers 1195, puis ne refait surface dans les textes qu'au début du 16e siècle. On estime qu'il a pour origine un diminutif en -inus du latin ecclésiastique °gobalus « génie domestique », emprunt tardif au grec ϰόβαλος (kóbalos « vaurien, filou », puis « lutin, génie malfaisant » [21]. Le rapport avec l'allemand Kobold « lutin », etc., quoique tentant, n'est pas établi avec certitude. Enfin, le mot breton gobilin « gobelin » représente simplement un emprunt au français ou au bas-latin.

Mots apparentés

  • gobeliné ou goubliné, adj. « se dit d'un lieu hanté par le gobelin »[3].
  • gobeliner ou goubeliner, v. t. « effrayer comme le ferait le gobelin »[3].
  • goub'lino, v. t. « hanter, faire le revenant »[5].

Bibliographie

  • Jean Fleury, « Les goublins », Littérature orale de Basse-Normandie, Maisonneuve & Leclerc, Paris, 1883, p. 63-69.
  • Jacques Henry, « Quand les goublins hantaient nos campagnes », L'Agriculteur normand, 17 avril 1970.
  • Charles Lepeley, « Les goubelins du carrefour à ch'vaux », Vikland, n° 8, 2014.

Notes et références

  1. Alfred Rossel, Œuvres complètes, édition du Millénaire, Paris, 1933, p. 62-64. Nous avons conservé l'orthographe non normalisée de l'auteur.
  2. 2,0 2,1 et 2,2 Louis du Bois, Glossaire du patois normand, augmenté des deux tiers, et publié par M. Julien Travers.- Caen : Typographie A. Hardel, 1856. (lire en ligne)
  3. 3,0 3,1 3,2 et 3,3 Henri Moisy, Dictionnaire de patois normand, Caen, 1887. (lire en ligne)
  4. Jean Fleury, Littérature orale de Basse-Normandie, Maisonneuve & Leclerc, Paris, 1883, p. 64-65.
  5. 5,0 et 5,1 Axel Romdahl, Glossaire du patois du Val de Saire (Manche) suivi de remarques grammaticales, Linköping, 1881.
  6. Jean François Bonaventure Fleury, Essai sur le patois normand de la Hague, 1886.
  7. Témoignage personnel d'au moins un contributeur de Wikimanche.
  8. Jean Fleury, Littérature orale de Basse-Normandie, Maisonneuve & Leclerc, Paris, 1883, p. 64-65.
  9. C'est à dire vers 1820.
  10. Alfred Rossel, Œuvres complètes, édition du Millénaire, Paris, 1933, p. 62-64. Nous avons conservé l'orthographe non normalisée de l'auteur.
  11. On ne parlait.
  12. Sorciers.
  13. Cheveux.
  14. Aux servantes.
  15. Folâtraient, jouaient bruyamment.
  16. Méfiez-vous.
  17. Le soir.
  18. Chemins
  19. Orderic Vital, Historiæ ecclesiasticæ, 1123/1141, éd. Le Prévost, Jules Renouard, Paris, t. II, 1855, lib. V, p. 331.
  20. Il s'agit d'Évreux, où saint Taurin aurait, selon la légende, chassé un « démon » d'un temple de Diane, pour le consacrer à une autre vierge : Marie.
  21. Alain Rey (sous la direction d’), Dictionnaire historique de la langue française, Dictionnaires Le Robert, Paris, 2e éd., 1998, p. 1602b.