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Dans le placard

De Wikimanche

Dans le placard est une nouvelle inédite d'Annie Saumont, envoyée à l'association Wikimanche en 2012.

Contexte

Dans le cadre des 5 ans de Wikimanche, l'association avait demandé aux illustres natifs de la Manche, un message de soutien.

La nouvelliste Annie Saumont, née à Cherbourg, a répondu par l'envoi d'un texte :

Paris, le 28 mai 2012,
Monsieur,
J'ai reçu Wikimanche, et je suis bien perplexe. Parce que je suis dans la région parisienne de très longue date. Et je n'ai plus d'attache avec la Manche. Et avec la Normandie.
Si pourtant. J'ai souvent batifolé avec François de Cornière (de Caen) et même je suis allé à Cherbourg, à Cérences, à Saint Lô au cours de ses fameuses Rencontres pour lire.
Donc si je vous envoyais une nouvelle ?
Une très courte. Et le placard serait ... en Normandie ?
Bien cordialement

Dans le placard

Que faisait-il donc dans ce placard ?

Une robe de jersey rouge, un pull-over rayé se balançaient à leur crochet à chaque mouvement de Barnabé, il en avait le vertige. L'étagère aux chapeaux lui pesait sur la tête, I'obligeant à rester genoux pliés, dans une position fort incommode, un clou du mur lui vrillant l’omoplate.
Ce qu'il faisait là il I'ignorait, Fabienne avait ouvert la porte du placard et I'avait poussé violemment à I'intérieur. Il s'activait à redresser sa cravate et à effacer sur sa bouche les traces tenaces du rouge à lèvres. Il s'efforçait de négliger sa pénible situation mais comment aurait-il réussi à se persuader qu'il était assis sur une chaise au guichet des Contributions quand son centre de gravité allait s'échouer sur un paquet de linge sale, au fond d'un placard ?

Il s'appliquait à réfléchir, peser les raisons et les causes, savoir de quel démiurge il était la victime. Le monde une fois encore lui était hostile, le rôle qu'il devait y jouer en perpétuel devenir. Il était toujours un inadapté, il oubliait si vite, rien n'avait plus de succession logique. Que faisait-il donc dans ce placard ? Il cherchait, croyait comprendre : il se cachait. Mais il se cachait de qui ? Fabienne avait dit, Voici mon appartement. Quatre pièces assez petites. C'était bien suffisant pour lui, si timide, si effacé. Le placard n'était que dépendance, recoin, couloir, débarras, où l'on se perd dans les chiffons, les papiers et les souvenirs - Pour grand-ma regrets éternels - À la mémoire de l'oncle vénéré - non, il se trompait de classement. Remettre de l'ordre en soi est difficile. Il s'était souvent trompé.

En tordant le cou il pouvait contempler, au moins depuis la taille, la robe de jersey rouge. Une robe qui assurément appartenait à Fabienne. Pourquoi la robe si large et Fabienne si mince ? Fabienne avait peut-être été autrefois une jeune fille replète. En robe rouge il I'aimerait aussi. À I'instant elle était vêtue d'une robe noire et d'un petit tablier blanc. Un bonnet blanc sur ses cheveux. Sans doute mimait-elle I'accorte soubrette.
Fabienne avait dit, Pas de bruit. La sueur lui coulait dans le dos tant sa position était inconfortable. L'éternel emmuré de l'histoire. Il n'osait appeler Fabienne, elle avait dû l'oublier.

Il finit par sommeiller un peu, replié sur lui-même. Il découvrait les pièges de son enfance, sa sœur toujours rapportant ses frasques au père inflexible, la retenue des multiplications, sa mère le grondant sévère à cause des lacets de chaussures jamais noués d'un double nœud. Il rêvait d'autres gens qui ne rêvaient pas, qui dictaient des lettres, élaboraient des plans, fabriquaient d'ingénieuses machines à chercher le pourquoi des choses. Pas seuls au fond du placard Ou bien en étaient-ils sortis par quelque soudain miracle ?

Lui n'en sortirait pas vivant. Fabienne avait-elle branché un radiateur électrique passablement défectueux ou les enfants de l'étage joué avec les allumettes, on n'a pas pu préciser mais I'appartement a pris feu. Dans le songe il a eu très chaud, c'était un jour de vacances sur le sable fin des plages. La chaleur devenait suffocante, les images ont basculé et le noir à leur place, a été intense.

Il ne s'était pas aperçu qu'il était mort. Quand la lumière est revenue il a vu I'entrée du Paradis. Une paix immense si exaltante - Il s'est senti soudain conforme. Où il serait désormais on ne lui demanderai pas d'expliquer ses actes, de les justifier, on ne lui poserait plus sans cesse d'insidieuses questions auxquelles il ne savait répondre. Tout était enfin résolu. Les anges le berceraient mollement en une constante béatitude.

Pourtant, lorsqu'il a frappe à la Grande Porte, il a su qu'il gardait son angoisse. Est-ce vrai qu'on ne peut se renier tout à fait ? Pauvre et misérable il marchait d'un pas incertain vers son jugement particulier pendant que des voix autour de lui chuchotaient derrière les nuages.

Et que faisait-il donc, enfin, dans ce placard ? a dit, implacable, le Père Éternel.