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Combat franco-anglais à Surtainville vu côté français (1795)

De Wikimanche

Combat franco-anglais à Surtainville vu côté français (1795)

Le 9 mai 1795, devant Surtainville, un combat naval oppose une flotte anglaise à quelques navires français, qui reçoivent de terre le soutien du fort local.

Le rapport des officiers du Crache-feu, l'une des deux canonnières engagées dans ce combat, avec un petit aviso, nous conte cette bataille, au cours de laquelle le maire de Surtainville fait preuve d'un grand courage.

Voici l'intégralité de ce rapport qui témoigne de l'inégalité des forces engagées.

« Nous, capitaine et officier major et officiers mariniers de la canonnière Le Crache feu certifions que le 19 floral à 8 h du soir, le commandant de notre convoi a fait signe à notre convoi de se tenir prêt à appareiller de Cherbourg par des pavillons et, à 8 h 30, il a fait le même signal par des feux. Nous avons tout de suite porté un grelin à bord de La Carmagnole pour appareiller dessus et avons défourché de suite.
À 9 h 15, le commandant a fait le signal à tout le convoi d'appareiller le plus promptement possible.
À 10 h 30, le premier bâtiment était sous voiles et, de suite, les autres ont suivi.
À 11 h 30, voyant que la plus grande partie du convoi était sous voiles, et que les autres appareillaient, nous avons fait larguer notre grelin d'à bord de La Carmagnole et nous avons appareillé et fait route à petites voiles, le long de la côte, les vents à l'est, bon frais, beau temps !
À 2 h 30, nous avons passé le raz avec treize navires marchands, et, en passant, nous avons eu connaissance d'un feu qu'on a brûlé sur la montagne entre Jobourg et la pointe de la Hague.
À 3 h 30, connaissance de cinq bâtiments qui étaient au large de nous au travers de la grande anse de Vauville que nous avons reconnu pour cinq frégates ou vaisseaux anglais (deux vaisseaux rasés, trois frégates de premier rang et un aviso).
À 4 h, le commandant a fait le signal du sauve qui peut à tout le convoi. Nous avons mis toutes nos voiles dehors et bordés nos avirons cinglant bâbord amures le long de la terre pour gagner Carteret. Mais voyant qu'il nous était impossible de la gagner sans tomber sous la volée d'un vaisseau anglais qui tirait sur nous, nous avons pris les amures à tribord pour nous rallier au convoi qui se disposait à faire côte sous la protection du fort de Surtainville.
Et voyant qu'il n'y avait plus d'autres ressources, à 7 h 15 nous avons échoué proche du lieu-dit le fort de Surtainville. Nous nous sommes embossés et nous nous sommes disposés à défendre les bâtiments proches de nous.
Le citoyen Lempérière, maire de la commune, s'est transporté à bord de nous, où il a montré pendant l'action, le courage d'un vrai défenseur de la patrie. Mais les frégates et vaisseaux faisaient un feu continuel sur nous. Malgré nos efforts et le feu du fort qui a fait tout ce qui dépendait de lui pour repousser l'ennemi, ils nous ont approchés de si prés que la mitraille passait par dessus nous comme un grain de grêle.
Le capitaine a donné ordre de saborder le navire et de le faire couler. On a de suite travailler en conséquence, mais nous n'avons pu effectuer ce projet.
Voyant qu'il ne restait plus que nous à bord, et que nous ne pouvions plus nous défendre, nous avons coupé tous nos câbles et amarres du large, et descendu à terre pour assurer notre vie.
Aux environs de 9 h 30, on débarque les fusils du bord pour nous battre de terre contre les ennemis qui venaient dans les canots pour s'emparer du navire que nous venions de quitter. Nous leur avons lâché plusieurs coups de fusil, mais, nous n'avons pu les repousser.
Dans cette malheureuse affaire, nous avons sauvé heureusement tout notre équipage malgré qu'il ait passé plusieurs boulets de part en part du navire !
Et dressé le présent pour servir et valoir ce qu'il appartiendra, à Surtainville, ce 20 floréal l'an III de la République française une et indivisible (9/5/1795) »
signé : Licorne, lieutenant / ïvon, officier / chevalier Lebrun / Ménage , capitaine. »


En complément, la lettre suivante met en valeur le rôle et le courage déployés par les canonniers du fort de Surtainville

« Cherbourg, 22 floréal an III [11 mai 1795]
Le chef de brigade, inspecteur général des côtes maritimes du département de la Manche aux canonniers supplémentaires de Surtainville.
Mes braves camarades,
Je m'empresse de vous féliciter sur le courage que vous avez déployé dans l'affaire du 20 floréal.
Les Anglais ne pourront oublier de longtemps, que pendant quatre heures entières, deux canons de 24 dont un s'est même trouvé démonté dans le combat, ont tenu contre plus de 250 bouches à feu dont un tiers était de 36 lives de balles.
Avec des forces aussi disproportionnées, avec une infériorité telle que l'histoire ne fait mention d'aucune semblable, vous avez bravé la mort, et incapables de mesurer le danger, vous avez calculé que vos devoirs et l'amour de la patrie. Votre intrépidité sera une époque glorieuse dont le souvenir ranimera d'âge en âge, la bravoure de ceux qui, comme vous, auront un poste à défendre.
Et si jamais, ils étaient tentés de compter le nombre de leurs ennemis, on leur citera l'exemple des canonnière de Surtainville (souligné sur l'original). Et, à l'instant, ils ne songeront qu 'à se rendre dignes de leurs modèles.
C'est ainsi, mes braves camarades, qu'il appartient aux héros de servir leur patrie, même au-delà de leur existence !
Jetons de fleurs sur la tombe des généreux Georges Rouil, cultivateur de Surtainville, et Jean Baptiste Gamas, douanier, morts au poste de l'honneur ! (Tous les deux s'étaient rendus au fort de Surtainville pour aider les canonniers)
Calmez la douleur des veuves de ces braves républicains.
Dites leur, que la Convention nationale, que le représentant du peuple Ruault s'est empressé d'intéresser à leur sort, ne va tarder à leur témoigner la reconnaissance nationale.
Nous allons travailler à réparer votre fort, et à remplacer vos munitions. Vous en avez fait trop bon usage pour qu'on vous en laisse manquer !
Et, si l 'ennemi veut encore se mesurer contre vous, je ne fais qu'un vœu, c 'est celui d'être aussi heureux que mon brave ami et camarade Buhot et de combattre à votre tête.
Je vous embrasse fraternellement. »