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Allocution de François Mitterrand à Saint-Lô (1987)

De Wikimanche

Allocution de François Mitterrand à Saint-Lô (1987)

Texte officiel de l'allocution de François Mitterrand, président de la République, prononcé à la mairie de Saint-Lô le 22 juin 1987 sur la construction de l'Europe, le désarmement Est-Ouest, les chances économiques de la France et le dialogue social.


« Monsieur le maire,

- Mesdames et Messieurs,

- Je vous remercie de votre accueil dans cette salle de l'hôtel de ville, comme je remercie la population de Saint-Lô qui s'est assemblée en ce jour pour accueillir le Président de la République française. J'en suis très touché, je crois que c'est la première fois qu'il m'arrive de venir dans cette ville pour y remplir ma mission, pour y représenter la République dans un cadre officiel, et je dois dire que cette première fois n'a rien de décevant, au contraire ; venu déjà d'un bel endroit de votre département, je viens maintenant dans sa capitale, je viens de vous entendre, Monsieur le maire, M. Patounas, et je me permettrai, en quelques mots, de vous répondre.

- D'abord, pour remercier - j'ai commencé de le faire - remercier les élus, les représentants de ce département, des villes que j'ai déjà visitées, ou bien de la campagne ou des entreprises que je suis allé visiter. Cette journée a commencé sous d'agréables auspices, elle continuera, je l'espère, de la même façon. Je suis revenu, à titre officiel, dans un département que j'apprends depuis de longues années à connaître sans pouvoir le prétendre tant on se trouve ici sur un terroir riche de traditions, qu'il faut précisément tenter de comprendre dans cette sorte de contradiction qui peut n'être qu'un élément d'une prochaine synthèse entre sa réalité permanente et profonde, rurale, pastorale, autour des exploitations agricoles et sa modernité, par quelques-unes de ses villes et par quelques technologies qui se situent au premier rang dans le monde.

- Ainsi va la vie. Notre responsabilité à nous est de préparer la Manche et Saint-Lô aux années qui viendront, et pas seulement de s'entretenir, sur un ton ému, des richesses du passé.

Vous m'avez très aimablement fait observer à l'instant que Saint-Lô avait eu à souffrir de divers désagréments. Je viendrai, dans une minute, à ce qui fut non pas des désagréments mais des tragédies. Pour le reste, j'ai appris, de votre bouche, ce transfert de Saint-Lô à Angoulême, ça me faisait plaisir pour Angoulême et j'en éprouvais beaucoup de regret pour Saint-Lô, mais n'allez pas chercher des explications trop compliquées. Vous auriez pu rappeler aussi que le premier François à avoir gouverné la France venait de là-bas puisqu'il venait de la famille d'Angoulême, mais là cela reste vraiment la comparaison. Et s'il s'agissait demain de rendre justice à Saint-Lô pour lui permettre de développer ses chances et ses capacités naturelles que vous avez bien voulu, au demeurant, m'exposer, croyez-moi, j'y serais tout à fait favorable. Pourquoi ? parce que la France est la France, et qu'en quelques composantes que ce soit, il ne convient pas de faire marcher les chevaux de l'attelage l'un plus vite que l'autre, et que si telle région industrielle se développe, telle autre région qui ne dispose pas de ce moyen mais qui possède une riche tradition de métier, comme cette ville de Saint-Lô, de produire, réputée dans l'Europe tout entière, si j'en juge par ce que j'apprenais lorsque moi-même j'étais adolescent, eh bien, tout cela doit aller de pair. Et il appartient aux responsables de toutes sortes qui ont la charge de gérer la France, de s'associer pour vous aider sans faire intervenir en aucune circonstance les traditionnelles aussi mais nécessaires et légitimes rivalités ou compétitions politiques. La Manche et Saint-Lô doivent être promues, comme toute autre fraction de la France dans les mesures des moyens dont nous disposons. Mais vous avez un bon capital, ici. Vous l'avez exposé ; ce sont les qualités de votre population. Si l'on est capable d'aller plus vite, de courir plus vite, si on est capable de tenir un volant de voiture pour arriver dans les premiers des 24 heures du Mans, si l'on est capable dans tous les sports collectifs de se situer parmi les bonnes équipes françaises, c'est aussi que l'on est capable devant son métier, dans sa tâche familiale et civique, on est capable de faire aussi bien, et je n'ai aucune raison de penser que les habitants de Saint-Lô disposeraient de moins de moyens, de moins de ressources humaines que leurs autres compatriotes. Alors, tablons sur ces ressources humaines.

Vous avez abordé, avec discrétion, un sujet infiniment plus grave, c'est celui qui a vu vos compatriotes dans la nécessité d'avoir à rebâtir, à reconstruire, à recréer. Montant l'escalier qui nous conduit à cette salle, vous m'avez montré la photographie de Saint-Lô en 1944. Nul ne peut passer devant cette tragique image sans mesurer à la fois l'immensité du désastre et la force d'un peuple qui a su rebâtir. Nul ne peut mesurer une telle différence entre un temps passé où la guerre prévalait en Europe, où des peuples qui avaient pour destin de s'associer, se déchirer, et le résultat. Les plus anciens d'entre vous l'ont vécu, en ont souffert dans leur chair, dans leurs affections, dans leur famille, ils ont vu leur ville disparaître et les ruines qui s'élèvent sur ces photographies montrent bien le chemin parcouru, c'est-à-dire qu'on a su pendant quelques 43 ans, on a su, toute la population, les différentes équipes qui ont eu à administrer Saint-Lô, quelles que soient leurs origines, et quelles que soient leurs préférences, on a su ce que pouvaient être la continuité française, la continuité pour vivre et pour survivre alors que la mort avait marqué de ses empreintes la capitale de la Manche. Eh bien, par un jour comme celui-ci, même s'il paraît un peu gris, souriant cependant par -rapport aux journées précédentes, on ne peut qu'être frappé par la vitalité, l'accueil joyeux, par la spontanéité de celles et ceux qui vivent dans ces murs.

Et comment ne pas penser à partir de là, c'est-à-dire à partir de la dernière guerre qui a violenté la France et particulièrement la Normandie, comment ne pas songer aux événements qui depuis lors ont totalement changé la carte de l'Europe et d'une certaine manière la carte du monde, la carte de l'Europe coupée en deux, coupée en deux contre l'histoire, contre la géographie. Qui est le plus européen de l'Est ou de l'Ouest ? Je ne saurais le dire. L'Europe, c'est notre continent, on y relève ici et là, des deux côtés, les mêmes traces de la culture, tous les éléments qui ont formé ces peuples, dont les langages sont différents, mais dont les sources spirituelles, intellectuelles, esthétiques et morales sont les mêmes. Et voilà que par les hasards de la guerre, il a fallu l'accord diplomatique arraché aussi au hasard, un accord à mes yeux malheureux, un accord désastreux pour l'Europe qui a voulu que de part et d'autre, deux systèmes non seulement différents mais antagonistes, en tous ordres, matériel, social, économique, philosophique, s'édifient, continuent de s'observer comme si l'Europe n'avait pour rôle historique que de s'entre-déchirer. Alors il faut comprendre à partir de l'exemple de Saint-Lô, où l'on a vu des équipes se tendre la main, oublier un moment leurs oppositions légitimes, et se fixer pour premier objectif de rebâtir la cité, de rebâtir leur communauté, d'être ensemble capables de dominer l'histoire. De la même façon, on a vu des peuples européens, pas tous les peuples européens mais des peuples européens procéder de la même manière, se tendre la main et tenter, par dessus tant de malentendus, de se reconnaître. J'étais l'un de ces jeunes gens à l'époque, c'était en 1948, qui se retrouvaient dans une ville d'Europe. C'était à La Haye, en Hollande, avec des parlementaires des pays qui venaient de se combattre, représentant des hommes qui venaient de s'entretuer et chacun d'entre nous était porteur de ses deuils et de ses chagrins, chacun avait, il n'y avait pas si longtemps, pleuré ses morts et ses victimes, et cependant, Anglais, Allemands, Italiens, Français, Belges, Luxembourgeois, Hollandais, combien d'autres, étaient là. 1948 : trois ans après la fin de la deuxième guerre mondiale, et l'on était loin du compte puisqu'aujourd'hui encore, en 1987, quarante ans ou presque après on en parle encore comme d'une espérance beaucoup plus que comme d'un fait acquis.

Eh bien moi je vous invite, Mesdames et Messieurs, à considérer l'objectif de l'Europe comme l'un des grands objectifs capables de mobiliser la nation française qui ne cessera pas d'être elle-même, en bâtissant la paix avec ses voisins et ses rivaux traditionnels, d'abord par la réconciliation franco-allemande - elle est faite - ensuite par le rassemblement des peuples de l'Europe de l'Ouest, cela se fait, enfin par la réconciliation et de l'Est et de l'Ouest pour que l'Europe reprenne sa place sur la scène du monde dont elle a disparu.

- Que de fois il m'est arrivé, comme à certains d'entre vous, de voyager loin d'ici, et d'observer, lisant les journaux du pays que le mot France, le mot Allemagne, Italie, Espagne, ne figuraient pas sur les colonnes parmi les faits de l'histoire du moment, surtout lorsqu'on se trouve en Orient ou en Extrême-Orient, là où se trouvent les grandes masses humaines, tandis que l'Europe elle, par la réunion de tous ses peuples représente par elle-même - c'est déjà le cas avec le Marché commun, la Communauté économique européenne - 320 millions d'êtres humains, beaucoup plus que les Etats-Unis d'Amérique, et plus encore que l'Union soviétique, et beaucoup plus encore que le Japon.

- Et j'ai pour devoir de vous dire à vous, Françaises et Français, reprenant les termes que j'ai déjà employés, et vous me le pardonnerez, mais j'y vois pour moi tout un programme pour la patrie : oui | La France est notre Patrie, mais l'Europe est notre avenir. Et j'observe là, à travers les coopératives de laiteries, là-bas à travers les usines nucléaires ou autres, partout ailleurs je le verrai en Normandie, qu'il existe des hommes, chefs d'entreprises, cadres, ouvriers, employés, paysans de toutes catégories, des femmes et des hommes capables d'aborder la période qui commence avec des chances de victoire, et sur l'adversité, l'adversité de la crise, et dans la grande concurrence mondiale, capables - comme on le dit en sport par un anglicisme qui ne me plaît guère - de supporter la France, bref, de montrer que notre pays est capable autant qu'hier ou qu'avant hier, de tenir sa place dans le monde. Où dire cela mieux qu'à Saint-Lô, qui porte dans sa chair cette plaie encore vivante, celle du souvenir qui brûle la mémoire des générations précédentes, celle qui doit entrer - si ce n'est déjà fait - dans la mémoire collective des générations nouvelles.

Nous avons construit notre pays et avant nous nos ancêtres. Ce pays est et sera toujours menacé. Il est enviable par sa beauté et ses ressources naturelles, par sa situation à l'extrême pointe de l'Europe. C'est un pays qui a su produire de grands artistes, de grands créateurs en tous domaines, et de grands scientifiques. Ses ingénieurs sont aujourd'hui capables de présenter au monde des réalisations non pas incomparables, mais qui supportent toutes concurrences et toutes comparaisons. Et ses travailleurs que l'on a trop tendance à méconnaître, ceux de la campagne et ceux de la ville, avec leur savoir-faire, les réussites en productivité, les entreprises qui se situent aujourd'hui, trop peu nombreuses, mais qui incriminera-t-on, ceux qui travaillent dans ces entreprises ? Ceux qui apportent le labeur de leurs mains et de leur esprit ? Nous avons en France les moyens : à nous de les utiliser le mieux possible | Cela dépend de qui ? N'attendez pas de moi que je vous dise : du gouvernement, des élus locaux, de la majorité ou de l'opposition. Non | Cela dépend de vous | Qui que vous soyez, vous Françaises et Français, cela dépend de vous. Choisissez selon votre préférence le groupe ou le camp qui vous paraît le mieux représenter votre idéal de société. C'est votre droit et je dirai même c'est votre devoir et je suis moi-même élu Président de la République, en ayant voulu et en continuant de vouloir représenter tout un mouvement qui à travers l'histoire a marqué notre pays dans ses profondeurs. Ce que je crois être le mouvement vers le progrès, qui ne peut exister sans solidarité, sans que soit préservée, que dis-je, raffermie la fraternité entre les groupes sociaux, entre les familles et les individus. Voilà notre tâche.

Aussi pour entrer dans un domaine tout à fait actuel lorsque j'entends proposer par le chef de l'un des plus grands pays du monde - je veux dire le dirigeant de l'Union soviétique - ce qu'un langage "barbare" appelle "une double option zéro", c'est-à-dire le désarmement d'armes nucléaires dites "intermédiaires", elles s'appellent intermédiaires, mesdames et messieurs, parce qu'elles peuvent tuer quiconque en Europe sans avoir la possibilité de traverser l'Atlantique. Moi, cette différence ne m'intéresse pas beaucoup puisque je suis de ce côté de l'Atlantique et donc à portée des fusées nucléaires qui viendraient de l'Est, de la même façon que l'Est se sent sous la portée des fusées de l'Ouest.

- Si l'on réduit cet armement, tant mieux dès lors que cette réduction est une réduction équilibrée et contrôlée, tant mieux : je suis pour le désarmement, non pas comme un facteur d'insécurité - alors il serait détestable - mais comme un facteur de sécurité et c'est une sécurité que de réduire autant qu'il est possible les moyens des tensions.

- Seulement voilà, il n'en reste pas moins que lorsque j'entends certains de mes compatriotes, et même certains de mes amis personnels, me dire "il faudrait que la France se défasse de son armement spécifique et particulièrement de son armement nucléaire, c'est une menace pour la santé du monde", je réponds bien entendu, s'il était possible demain de s'en défaire à 100 %, je dirais oui, mais je n'accepterai jamais que la France se trouve démunie dans ses moyens de défense tant qu'existera à côté ou en face une puissance, tant qu'existeront des puissances, qui disposeraient du moyen d'anéantir la France.

- Il faut donc que d'un mouvement commun, délibéré, d'une volonté commune, l'Est et l'Ouest s'entendent ; ils ont commencé de le faire ; je les approuve et je dis : vive la paix | vive le désarmement | vive le désarmement pour la paix | vive le désarmement pour la sécurité | mais veillons à notre sécurité, cessons d'obéir à de simples mouvements d'un moment ou de caractère utopique, considérant que notre pays mérite d'être défendu contre toute menace ; qu'il mette bas ses armes si, d'un mouvement général, les grandes puissances en font autant.

Je vous dis cela 'désarmement nucléaire' et vous me direz pourquoi, par ce bel aprés-midi, avec toute cette foule ici réunie et qui sur cette place attend qu'on en finisse avec les discours. Pourquoi ? Eh bien parce qu'il faut bien que le Président de la République, partout où il va, laisse - comment dirai-je - un enseignement ou une directive : où la France doit-elle aller ? Eh bien ici, à Saint-Lô, dans cette ville martyre, une ville que l'enseignement de la dernière guerre mondiale doit nous apprendre que la France ne peut pas accepter d'être à la merci de la volonté ou des ambitions des autres étant bien entendu qu'elle doit accompagner, sinon même précéder quand il le faut, le mouvement ou les démarches pacifiques, qui pourrait croire que la France menace qui que ce soit sur la terre ? Nous connaissons trop les malheurs hérités de deux guerres mondiales, notre peuple veut être grand par d'autres formes de conquêtes qui sont les conquêtes de l'esprit, qui sont les conquêtes de la paix. Alors, à partir de là, il faut se pencher sur la situation de nos usines, sur la situation de nos exploitations agricoles, sur la situation de nos commerces, sur la situation de nos sciences et de nos techniques, de nos universités, pour que les uns et les autres retrouvent du travail quand ils en ont perdu. C'est-à-dire l'instrument, l'outil qui leur manque. Et cet outil, cet instrument comment pourraient-ils le forger, s'il n'y avait un mouvement national et un Etat disposés à y contribuer, bref, à donner l'élan.

- Je disais tout à l'heure à Cherbourg qu'il ne fallait pas présenter de la France un visage défiguré. C'est vrai que nous avons nos défauts, c'est vrai que nous avons nos faiblesses, mais ce n'est pas vrai que les Français ne travaillent pas autant que leurs principaux concurrents. Il n'est pas nécessaire de parler d'allonger la durée du travail, quand il serait parfois nécessaire de l'adapter davantage aux conditions du travail. Il n'est pas nécessaire de dire que nous allons par une pente absolument irrémédiable, vers la disparition de notre croissance, alors qu'au cours des années dont j'ai eu à m'occuper depuis 1981, la croissance française jusqu'à ce jour, a été au total supérieure à la croissance allemande ; alors que dans tous les domaines que je pourrais aborder, je pourrais vous démontrer que la France est dans une situation - oui des hauts, des bas - à laquelle toute énergie nationale, et tout gouvernement volontaire, peut à tout moment remédier.

Je répèterai les termes de tout à l'heure. Pour reconstruire votre ville, votre département, pour réparer les dommages de la guerre, j'ai dit cela dépend de vous. Pour aborder les rivages difficiles, maintenant, de la paix à tout moment menacée par les ambitions et des uns et des autres, j'ai dit : à nous de veiller par nous-mêmes aux conditions de notre sécurité. Mais je dirai que pour notre redressement, cela vous regarde et cela vous concerne de la même manière. Vous d'abord : à vous, non pas seulement d'exiger, mais à vous de mettre la main à la pâte pour que nous soyons en mesure, avant la fin de ce siècle, d'aborder la grande compétition qui s'ouvre à nous, qui est obligatoire, à laquelle on n'échappera pas, et on se replierait derrière nos frontières, ce serait pire : nous subirions, alors, le déclin que je refuse, tandis que je vous appelle, mesdames et messieurs, mes chers compatriotes, à vous entraider, pour que la France soit plus forte encore, plus vaillante et mieux placée qu'elle n'est dans la compétition dont je parle.

- Je citais ces chiffres, parce que se sont des chiffres évidents. La France reste, malgré ses 55 millions d'habitants, chiffres démographiques trop faibles, par -rapport au développement de certains autres pays, la France reste cependant l'un des cinq premiers pays du monde par son économie, l'un des quatre premiers pays du monde par son industrie, en comprenant, bien évidemment, l'industrie agro-alimentaire, et l'un des trois premiers pays du monde - le troisième en tout cas - par les moyens de sa défense. Cela ne s'est pas fait n'importe quand, cela ne s'est pas fait simplement parce qu'on n'y aurait pas fait attention, presque parce que cela se serait fait tout seul. Cela s'est fait parce qu'on l'a voulu, nous tous ensemble, quel que soit le rivage de la politique sur lequel vous avez décidé de camper. Dites-vous bien que c'est l'oeuvre de la France pendant 40 ans, et qu'il s'agit maintenant de perpétuer cet effort. J'ai dit effort, parce qu'il ne suffit pas de se dire entre nous que la France a toujours les moyens de sa grandeur, à condition qu'elle les emploie, et qu'elle commence à les employer par l'éducation, par la formation, par le savoir, par les techniques, par la recherche. Si nous pénétrons tous les secrets de la matière, si nous sommes capables de la maîtriser, alors nous remettrons aux femmes et aux hommes de notre pays ce moyen-là dont je vous parle, alors ils seront capables de produire et de vendre sur tous les itinéraires de la terre, aussi bien que n'importe qui. A condition, bien entendu, de réunir un certain nombre de causes qui produiront quelques effets.

Je ne vous en dirai pas davantage. J'aurai le temps aujourd'hui, demain, une autre fois, de compléter cet exposé. C'est mon rôle à moi, puisque les choses sont ainsi, pendant cinq ans, une majorité, depuis quinze mois une autre, ce qui s'est déjà fait peut toujours se refaire, c'est toujours resté dans l'histoire du pays. Voilà cela, il faut dire que ceux qui succèderont maintenant ou plus tard, à leur tour, devront avoir la même humilité devant l'histoire. Et j'ai remarqué que c'est généralement cette humilité qui manque le plus et aux uns et aux autres, comme si, avec eux, commençait l'histoire, comme si, avec eux, elle devait finir. Eh bien non | Cela a commencé avant, et cela continuera après. Mesdames et messieurs les responsables politiques, apprenez l'humilité de l'histoire | Et, croyez-moi, quand vous ne voudrez pas refaire tous les quatre matins ce que d'autres ont fait avant vous, la France marchera mieux | Ce compliment, mesdames et messieurs, s'adresse, vous l'avez compris, y compris à ceux qui m'applaudissent |

- Mesdames et Messieurs, il s'agit maintenant de reconstruire notre outil industriel. Dans certains domaines cela marche très bien, trop de domaines marchent médiocrement, quand certains autres marchent mal. J'ai dit qu'il fallait de la volonté. Mais de la volonté sans savoir, cela ne sert à rien : donc il faut apprendre. Pour apprendre, il faut avoir une université et des écoles que la nation serve mieux, il faut que plus d'enfants soient appelés aux responsabilités du savoir qui les conduira tout naturellement aux responsabilités du métier : à quelque couche de la société qu'ils appartiennent, les portes doivent être grandes ouvertes.

À partir de là, ce sera ma conclusion, je tiendrai un dernier petit discours. Si j'ai cherché à Saint-Lô à développer les chances de la France, il faut bien être sûr que rien ne se fera sans efforts, il n'y a pas de conquête qui n'exige un effort continu, patient, obstiné. Il faut respecter la philosophie de l'effort, c'est la noblesse de l'homme. Rien ne vaut la peine si on ne l'a conquis avec son intelligence et ses mains. Tout est effort et tout est difficile, rien n'est jamais donné, que les Français s'en convainquent. Il ne faut pas s'adresser toujours aux autres en disant : c'est à vous | Non, c'est à nous, à chacun d'entre vous, mesdames et messieurs, mes chers compatriotes. J'ai mes idées, je n'ai pas l'impression qu'elles soient toujours celles que j'entends exprimer à côté de moi. Bon, cela va, c'est comme cela, c'est la démocratie en France, elle est faite comme cela, l'essentiel, maintenant, c'est d'essayer d'éviter à la démocratie les pires périls, en cherchant à préserver la paix physique, en maintenant une capacité de dialogue et de tous les dialogues, le dialogue politique dans vos conseils municipaux, dans vos conseils généraux, dans vos assemblées régionales et si possible, même si cela paraît bien difficile, au Parlement, à la condition, bien entendu - il n'y a pas de dialogue si on n'est pas là - à la condition qu'on y soit. Ainsi doit-il y avoir une capacité de dialogue social. Et toute loi qui permet de renforcer ce dialogue est nécessaire si l'on veut reconstruire l'outil industriel et ainsi de suite. Je dirais la même chose s'il s'agissait d'un débat esthétique des artistes ou des créateurs, je dirais la même chose, sans y être autorisé, s'il s'agissait de débats spirituels. Nous sommes faits pour chercher ensemble.

- C'est si difficile une vie d'homme, c'est si difficile de la naissance jusqu'à la mort. Tant de joies, oui, mais tant de chagrins, tant d'espérances, oui mais tant de deuils. Quelle vie est épargnée ? Et cependant, dans une famille, ceux qui s'aiment, savent bien que leur force principale vient de là. Ils ne sont pas seuls, ils ne sont pas tout seul, ils disposent tout simplement de l'amour ou de l'amitié de quelques autres. Elargissons ce raisonnement, et pensons - sans tomber dans un discours qui ressemblerait à un sermon, je n'en ai pas entendu depuis longtemps pourtant - il faudrait bien se rendre compte que c'est à partir de là - il y a d'ailleurs d'excellents sermons - qu'il conviendrait de proposer à la France quelques objectifs simples dont le premier est de préserver la trame de notre unité nationale. Personne, sauf quelques groupes, par ci, par là, ne la menace vraiment. Mais, en profondeur, si l'on observe la manière dont certains s'expriment, proposent ou menacent, on a droit de le craindre.

- Alors, je vous appelle, Mesdames et Messieurs, mes chers compatriotes, ceux qui sont dans cette salle et ceux qui sont là-bas que je ne vois pas, je les entends de temps à autre, par les rumeurs qui montent jusqu'à ces fenêtres, je vous dis : soyez fermes sur votre état national, sur votre réalité sociale. Il ne s'agit pas des acquis, il s'agit de votre droit. Soyez fermes pour la défense du meilleur de la France. Et je vous dirai alors de plein cœur.

- Vive Saint-Lô,

- Vive le département de la Manche,

- Vive la République,

- Vive la France. »