Actions

Élément tourp(s) / torp(s)

De Wikimanche

L'élément tourp(s), tours ou torp(s), torpt apparaît dans de nombreux toponymes de Normandie, de la Manche à la Seine-Maritime, mais il est absent du département de l'Orne. Dans le nord de la Manche, on relève principalement des formes en tour-. Leur étymologie (scandinave ou saxonne) ne fait pas l'unanimité, mais la seconde semblerait s'imposer.

Étymologie

La plupart des auteurs ayant étudié cet élément l'ont assimilé, quelle que soit sa forme, à l'ancien scandinave þorp « ferme; maison paysane, village », etc. [1], [2], [3], [4], [5], [6].

Néanmoins, dans un court article resté célèbre, Louis Guinet [7] a contesté l'origine scandinave du type tourp(s) / tour(s) dans le nord du Cotentin et, d'une manière générale, le long du littoral normand. Selon cet auteur, ces formes sont plus anciennes que celles en torp(s) / torpt, et attribuables à un apport différent : en l’occurrence, l’ancien saxon des 3e-5e siècles °thurpa « village », de même origine que l'ancien scandinave þorp. L'argument est d'ordre phonétique : ŏ latin bref et entravé (c'est-à-dire en syllabe fermée) a abouti en gallo-roman à un ǫ ouvert (dans la notation des romanistes; [ɔ] en API) qui n'a jamais évolué ni en français ni en normand [8]. Le [o] du scandinave þorp, quoique d'apparition plus tardive, n'a pu évoluer autrement. Par contre, ŭ latin bref et entravé (et germanique assimilé) est devenu fermé ([o] en API) en gallo-roman puis en ancien français et normand, avant d'évoluer vers [u], aujourd'hui noté ou, au cours du 12e siècle [9]. La conclusion s'impose d'elle-même : la voyelle de tourp(s), etc., ne peut provenir que d'un ancien ŭ bref entravé, et donc d'une forme germanique antérieure au scandinave þorp [10].

Par contre, pour Louis Guinet comme pour les autres spécialistes, les formes en tor- ne peuvent être que d'origine scandinave : en l'occurrence, l'ancien scandinave þorp « ferme, village » cité plus haut. Ce dernier est également bien attesté en Grande-Bretagne, où il a abouti à l’élément thorpe de nombreux toponymes anglais. En Scandinavie, il est surtout caractéristique du Danemark et de la Suède, rare en Norvège et inconnu en Islande; il est considéré en Angleterre comme typique de la colonisation danoise. Il correspond à l'ancien danois thorp « village secondaire, résultant d'une colonisation à partir d'une plus grande agglomération », et à l'ancien suédois þorp « ferme, nouvel établissement », plus rarement « village » [11].

L'ancien saxon °þurpa et l'ancien scandinave þorp reposent tous deux sur le germanique commun °þurpa, à l'origine, entre autres, de l'ancien anglais þrop, þorp « ferme; hameau », du néerlandais dorp et de l’allemand Dorf « village ». Le radical °þurp- est lui-même issu de l’indo-européen °tr̥b-, degré zéro de la racine °treb- « habitation », auquel s'apparente le latin trabs « poutre, solive », à l’origine du mot travée.

Toponymes de la Manche contenant l'élément -torp(s) / -tourp(s)

Dans un premier temps, dans un contexte exclusivement germanique (saxon ou scandinave), cet élément est à l'origine de quelques emplois isolés, et d'un plus grand nombre de composés où il figure presque toujours en seconde position. Passé ensuite dans la langue romane locale, il y est devenu l'appellatif toponymique normand tour, tourp(s) / torp(s), torpt, toujours employé avec article.

Abréviations : a., ancien(ne); auj., aujourd'hui; c., commune; f., ferme; h., hameau; l.d., lieu-dit.

Toponymes en tour(s), tourp(s)

Composés anciens
Attention : Cametours, dont la forme a pu être influencée par ce type toponymique, est sans rapport (Campus motosus 1216, 1221, « champ motteux »).
Appellatif roman

Toponymes en torp

Composés anciens
  • Torgistorp (Turgistorp ~1150) [7], a. h., auj. le Prieuré, h. à Clitourps.

Notes et références

  1. Auguste Longnon, Les noms de lieux de la France, Paris, 1920-1929, p. 288, § 1206.
  2. Jean Adigard des Gautries, « Études de toponymie normannique, I Les noms en -Torp », in Études Germaniques, janvier-mars 1951.
  3. Albert Dauzat et Charles Rostaing, Dictionnaire étymologique des noms de lieux en France, Larousse, Paris, 1963, p. 197b.
  4. François de Beaurepaire, Les noms de communes et anciennes paroisses de la Manche, Picard, Paris, 1986, p. 102.
  5. Ernest Nègre, Toponymie Générale de la France, Droz, Genève, t. II, 1991, p. 1015, § 18293.
  6. René Lepelley, Dictionnaire étymologique des noms de communes de Normandie, Caen, Presses Universitaires de Caen / Condé-sur-Noireau, Éditions Charles Corlet, 1993, p. 96b.
  7. 7,0 7,1 7,2 7,3 7,4 7,5 7,6 7,7 et 7,8 Louis Guinet, “Mélanges : les toponymes normands «torp(s)», «torpt», «tourp(s)», «tour(s)»”, in Annales de Normandie 1980 n° 2, p. 193-197.
  8. Exemple : latin pŏrtum (accusatif de pŏrtus) > gallo-roman PǪRTU > (ancien) français port.
  9. Exemple : latin fŭrnum (accusatif de fŭrnus) > gallo-roman FỌRNU > ancien français forn > français four.
  10. Le passage du germanique commun °þurpa aux formes en þorp- débute dès le 5e siècle en scandinave, un peu plus tard dans les dialectes westiques dont fait partie l'ancien saxon.
  11. Eilert Ekwall, The Concise Oxford Dictionary of English Place-names (4th edition), Oxford University Press, Oxford, 1960, p. 468b.
  12. Jean Adigard des Gautries & Fernand Lechanteur, « Les noms de communes de Normandie », in Annales de Normandie XIX (juin 1969), § 729.