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« On va chez Ratti »

De Wikimanche

Une Cherbourgeoise, Thérèse Travers, se souvient des Grands magasins Ratti avant la Seconde Guerre mondiale.


« Nous les filles, on n'y allait pas forcément pour acheter, mais pour traîner, pour voir. « On va chez Ratti. » Et c'était parti. Tout était si bien fait pour exciter l'envie. Joli, bien rangé... Et cet escalier royal ! à monter, à descendre, pour se croire princesse. Et cet ascenseur ! Une merveille de l'art du fer forgé. On laissait nos mères en bas et on faisait le va-et-vient dans cette jolie cage, formidable. On aimait bien le rayon « meubles », un vrai décor, avec bibelots, lampes, gadgets... C'était la palais de la découverte et du rêve aussi pour ceux qui avaient peu de moyens. D'un rayon à l'autre, des projets naissaient suscités par l'envie. C'est bien là le commerce : vendre du rêve.

Publicité (1933).

Ratti, c'était bien organisé, bien pensé. Toutes les Cherbourgeoises y venaient... et y revenaient. Les femmes de la campagne aussi. On essayait un chapeau, plein de chapeaux. À cette époque, les femmes ne sortaient pas « en cheveux », ça ne se faisait pas. Et les escarpins, en daim, vernis, à talons. Regarder, essayer, et regarder encore. Une jolie façon de passer le temps. On y retrouvait ses copines, sa voisine, ses cousines. « Le dernier salon où l'on cause ». D'ailleurs, il y avait un salon de thé. On peut dire que c'était le lieu de rencontre, le pôle de la cité : « On va chez Ratti, as-tu vu ça chez Ratti, y'a des soldes chez Ratti, ma nièce se marie, je l'emmène chez Ratti, y'a tout ce qu'il faut. »

À Noël, c'était la féérie : l'immense sapin au pied de l'escalier impressionnait grands et petits. On venait de loin pour l'admirer. On s'émervaillait devant les poupées en porcelaine, avec leurs membres articulés qui nous tendaient les bras, les nounours plus vrais que les vrais. Quelle jolie sortie du jeudi.

Imaginons la stupeur des habitants quand il a fallu admettre, après la débâcle, que l'occupant ordonnait la fermeture ou la réquisition du grand magasin.

Les femmes ont pioché dans leurs petites économies pour constituer un fond de trousseau de linge. La peur de la pénurie, de l'utile, bien entendu. Mais pas de stock puisque c'est l'exode. La ville perd sa respiration. C'est le vide.

En 1944, le magasin est occupé par les Américains. La Red cross s'y est installée, un mess d'officiers aussi et un magasin de vêtements. On découvre sur les femmes-soldats les premiers bas en nylon « aussi fins que la fumée d'une cigarette », selon le slogan du moment. C'est aussi les premiers beignets donuts, une pure merveille.

Après, au début des années 1950, les Grand magasins Ratti deviennent les Magasins Réunis. Tout l'attrait a disparu. Ça ne s'explique pas. »

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