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Cache Hellequin

De Wikimanche

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La cache Hellequin ou cache Hérode est une croyance traditionnelle de la Manche.

Définition

Il s'agit d'une chasse terrifiante censée traverser les airs certaines nuits, accompagnée d'un grand vacarme (sifflements, aboiements, galopades, etc.) [1].

Variation

Ce phénomène est connu sous différents noms, tant dans la Manche que dans le reste de la Normandie. En Normandie centrale, on parle plutôt de mesnie Hellequin, Hennequin ou Hannequin. Dans la Manche, les deux appellations principales sont cache Hellequin et cache Hérode, littéralement « chasse de Hellequin » ou « chasse d'Hérode ».

  • La cache Hellequin (forme francisée chasse Hellequin) semble la dénomination la plus répandue. Ce nom est parfois été altéré, dans le nord de la Manche, en chasse Hêle-tchien, cache hèle-tchyin (voir ci-dessous) ou encore chasse Helchien [2].
  • La cache Hérode apparaît plus localisée. On la relève par exemple à Portbail, où un informateur de l'Atlas linguistique de Normandie [3] déclare : « Certaines nuits, on entend [la kaʃ erɔd] (aboiements, sifflements). Les anciens disaient que c'est Hérode qui est condamné à chasser pour l'éternité ». Le témoin, rationaliste, explique que « c'est le passage des oiseaux migrateurs qu'on entend ainsi ».

Citations

  • La chasse Hêle-tchien par Jean Fleury [4]:
[…] Mais voyons, pendant les nuits d'été, il n'est pas que vous n'ayez entendu quelquefois la chasse Hêle-tchien !
—Qu'appelez-vous la chasse Hêle-tchien ?
—Une chasse qui se fait dans l'air. On entend les chiens aboyer, les chevaux hennir, les hommes crier [5]. C'est une chasse comme il y en avait autrefois avant l'invention de la poudre.
—Où la voit-on, cette chasse ?
—Dans l'air, je vous ai dit. Quelques uns prétendent qu'ils ont vu des chiens, des chevaux, des hommes passer comme une foudre. Les autres disent qu'ils ont seulement entendu le bruit sans rien voir.
—J'ai parfois entendu des bruits bizarres et comme des cris étranges pendant les belles nuits; mais je n'ai jamais vu ni entendu la chasse Hêle-tchien. Je crois que ce que j'ai entendu, c'étaient tout simplement des cris d'oiseaux, d'oiseaux de passage qui voyageaient en se rendant à leur destination [6], à moins que ce ne fussent des oiseaux officiers donnant des ordres à la colonie émigrante.
  • La Cache Hèle-Tchien par Pierre Guéroult [7] :
Vère ! que m'racontit, eun sé d'hivé en tisounaint, mon père, j'l'i entendue, la cache hèle-tchyin !… eun coup, ryin qu'eun coup, mais j'm'en souvyiendrai ma vie duraint, j'vivrais-t-i jusqu'à chent ains !

Étymologie

Le mot cache est bien sûr la forme dialectale normano-picarde de chasse < gallo-roman CÁPTIA.

Quant au mot Hellequin, il est attesté en ancien français comme nom commun et nom propre, sous les formes helequin, herlequin, halequin, etc. En tant que nom commun, il a signifié « feu follet; diablotin », et en tant que nom propre, il a désigné le Diable. La locution mesnie Helequin [8] est connue depuis au moins le 12e siècle, et désigne chez Chrestien de Troyes une bande de mauvais génies ou d'âmes en peine qui, sous la conduite de Hellequin (Satan), faisaient un vacarme nocturne effroyable. On trouve ainsi chez Adam de la Halle (13e s.) : J'oi [9] le maisnie Hielekin […] mainte clokete [10] sonnant.

Ce nom est d'origine germanique, peut-être francique ou plus probablement d'introduction plus tardive (moyen néerlandais). Il semble représenter un dérivé diminutif en -kin du moyen néerlandais helle (ancien néerlandais hellon) « enfer », apparenté à l'anglais hell et à l'allemand Hölle [11]. On remarquera que dans certaines attestations normandes, où Hellequin devient Hennequin ou Hannequin, il s'est opéré un croisement avec un diminutif d'origine flamande de Jean (Johannes, d'où toute une série d'hypocoristiques en Hann-, tels que Hanneke, Hannele, etc.).

La substitution postérieure de Hérode à Hellequin s'explique par le fait qu'il s'agit d'un des « méchants » des Évangiles. Cette substitution a sans doute été facilitée par la similarité des initiales de Hérode, Helequin ou Herlequin.

Analyse

La cache Hellequin ou cache Hérode se rattache au thème bien connu de la chasse fantastique et des fantômes chasseurs, présent sous de multiples formes dans les traditions populaires européennes. Le personnage central en est le plus souvent un puissant (roi, prince ou seigneur) qui a encouru la colère divine en sacrifiant tout à sa passion pour la chasse, et revient ensuite expier ses excès après sa mort. Mais il peut être aussi un personnage exécré (Caïn, Hérode, Hérodias…) assimilé à ce thème [12], voire une ancienne divinité ou une créature infernale [13]. Cette croyance véhicule ainsi un message moralisateur, reposant sur la crainte religieuse de l'enfer et le châtiment des péchés. On s'explique alors le lien entre ces manifestations supposées et les mauvais présages.

Annexes

Notes et références

  1. Définition de J.-P. Bourdon, A, Cournée, Y. Charpentier, Dictionnaire normand-français, Paris, conseil international de la langue française, 1993, p. 62.
  2. Pierre Le Filastre, « Superstitions du canton de Bricquebec », Annuaire de la Manche, 1832.
  3. Patrice Brasseur, Atlas Linguistique et Ethnographique Normand, CNRS, Paris, vol. II, 1984, carte 617 « (aller) à la chasse à la lanterne », note marginale « la chasse ».
  4. Jean Fleury, Littérature orale de Basse-Normandie (Hague et Val-de-Saire), Paris, 1883, p. 119-120.
  5. D'où ici l'intéressante remotivation de Hellequin en hêle-tchien « appelle-chien ». La forme [tʃ'jɛ̃], tchien, correspond à la prononciation palatalisée de quien « chien » dans l'Ouest de la Normandie.
  6. La remarque de l'informateur de l'Atlas linguistique de Portbail citée ci-dessus a peut-être pour origine la lecture de l'ouvrage de Fleury (à moins que cette rationalisation ne soit, elle aussi, d'origine traditionnelle).
  7. Pierre Guéroult, En rabûquiaint dans l' vûx temps, contes en patois du nord de la Manche, Cherbourg, Imprimerie Commerciale, 1953, p. 101-104.
  8. L'ancien français mesnie signifie « maisonnée, famille ».
  9. J'entends.
  10. Clochette; forme normano-picarde.
  11. Du germanique commun °haljō- « enfer, monde souterrain », littéralement « lieu caché », tiré de l'indo-européen °kol-, degré en o de °kel- « cacher, dissimuler ».
  12. Ainsi près d'Orbec, dans le Calvados, a existé la chasse Caïn, annonciatrice de malheurs.
  13. Amélie Bosquet consacre tout un chapitre de son célèbre ouvrage (La Normandie romanesque et merveilleuse, Paris / Rouen, 1845) aux chasses fantastiques (p. 60-83), et répertorie pour la Normandie : la chasse Proserpine, la chasse Chéserquine, la Mère Harpine, la chasse Caïn, la chasse Arthur, la chasse Artus, la chasse Saint-Hubert, la chasse Saint-Eustache, la chasse du Diable, la chasse Hennequin, la mesgnie Hennequin, la mesgnie Herlequin. A. Madelaine, dans son ouvrage sur le Bocage Normand (Au bon vieux temps, Récits, Contes et légendes de l'ancien bocage normand…, Henri Delesques éd., Caen, 1907, p. 134-140), mentionne encore la meute Herpin, et dans la région de Vassy, la meute Hennequin.