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Attentat de Karachi (2002)

De Wikimanche

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Une de La Presse de la Manche du 13 mai 2002.

L'attentat-suicide de Karachi perpétré le 8 mai 2002 dans la capitale économique du Pakistan, provoque la mort de 14 personnes, dont 11 employés de la Direction des constructions navales, la plupart originaires de Cherbourg-en-Cotentin.

Les victimes françaises sont à Karachi pour apporter leur aide technique à la construction de l'Agosta 90B, dernier des trois sous-marins à propulsion classique vendus au Pakistan dans un contrat conclu en 1994, sous le gouvernement Balladur. Il porte sur 820 millions d'euros.

L'enquête met au jour un système de commissions occultes sur des contrats d'armement entre la France et le Pakistan.

L'attentat

Le 8 mai 2002, à Karachi, vers 8 h du matin, un kamikaze colle son véhicule rempli d'explosifs contre un autobus de la marine pakistanaise stationnant devant l'hôtel Sheraton et actionne le détonateur. Le bus et les premiers étages de l'hôtel sont détruits. L'attentat fait 14 morts dont 11 ouvriers et techniciens français de la Direction des constructions navales de Cherbourg-Octeville. On déplore également 12 blessés.

La nouvelle provoque la stupeur à Cherbourg-Octeville [1].

Les victimes

11 Français trouvent la mort dans l'attentat. Ce sont : Cédric Bled, 27 ans (DCN Cherbourg) ; Jean-Michel Chevassut, 42 ans (DCN Cherbourg) ; Jean-Pierre Delavie, 34 ans (DCN Cherbourg) ; Thierry Donnart, 38 ans (Assystem) ; Claude Drouet, 50 ans (DCN Cherbourg) ; Bernard Dupont, 48 ans (DCN Cherbourg) ; Pascal Groux, 43 ans (Navfco) ; Jacques Laurent, 51 ans (Assystem) ; Daniel Lecarpentier, 51 ans (DCN Cherbourg) ; Jean-Yves Leclerc, 51 ans (DCN Cherbourg) ; et Pascal Leconte, 39 ans (DCN Cherbourg).

12 Français sont blessés. Ce sont : Michel Bongert, 43 ans (DCN Cherbourg) ; Claude Étasse, 52 ans (DCN Cherbourg) ; Gilbert Eustache, 50 ans (DCN Cherbourg) ; Jérôme Eustache, 31 ans (Assystem) ; Frédéric Labat, 33 ans (DCN Cherbourg) ; Jean-Raymond Laupénie, 57 ans (Assystem) ; Jean-Marc Le Gall, 48 ans (York) ; Laurent Levéziel, 44 ans (DCN Cherbourg) ; Loig Madec, 24 ans (DCN Toulon) ; Christophe Polidor, 35 ans (DCN Cherbourg) ; Gilles Sanson, 40 ans (DCN Cherbourg), et Jean-Paul Zanté, 34 ans (DCN Toulon).

Cérémonie d'hommage

Stèle en souvenir des victimes de l'attentat de Karachi.

Le 13 mai 2002, à Cherbourg, un hommage national est rendu aux victimes dans une « ville morte », en présence de Jacques Chirac, président de la République, Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre, Michèle Alliot-Marie, ministre de la Défense, et devant 10 000 personnes [2]. Le chef de l'État prononce l'oraison funèbre : « C'est toute une communauté qui est bouleversée, choquée, une ville, une région qui sont profondément touchées. Chacun, à Cherbourg et dans toute la France, partage la douleur qui s'est abattue sur les familles de ces hommes... » Il ajoute : « Ce crime est monstrueux. Ses auteurs seront punis. Il ne peut y avoir de sanctuaire pour les terroristes. C'est un combat que nous avons engagé et que nous poursuivrons sans relâche, en France comme à l'étranger. Ma détermination, comme celle du gouvernement, est totale. Nous ne céderons ni à la menace ni au chantage;». Les victimes sont faits chevaliers de la Légion d'honneur.

Texte intégral du discours prononcé par Jacques Chirac

Incident

Le 17 juin 2011, en visite à Cherbourg, le ministre de la Défense Gérard Longuet dépose une gerbe de fleurs au pied de la plaque-souvenir rappelant la mémoire des victimes de l'attentat [3]. Les familles refusent de s'associer à la cérémonie pour protester contre le refus qui leur est opposé de dialoguer avec le ministre [3].

L'enquête

La police pakistanaise privilégie d'abord la piste du terrorisme islamiste. Elle y voit une confirmation de son hypothèse lorsque Oussama ben Laden, chef du réseau Al-Quaida, salue l'attentat le 12 novembre 2002. Deux suspects, Azif Zaheer, qui aurait fabriqué l'explosif, et Mohammad Rizwann, le conducteur du véhicule, sont arrêtés en juillet 2002. Ils sont condamnés à mort par la Cour antiterroriste de Karachi le 30 juin 2003. Mais la Haute cour du Sind (province de Karachi) les innocente le 5 mai 2009. Ils sont remis en liberté.

Le 27 mai 2002, une instruction est ouverte pour « assassinats et complicité de tentatives d’assassinats en relation avec une entreprise terroriste ». Les juges Jean-Louis Bruguière et Jean-François Ricard en sont chargés. En 2005, les juges Marc Trévidic et Yves Jannier les remplacent après le départ à la retraite de Jean-Louis Bruguière.

Le 15 janvier 2004, à Saint-Lô, le tribunal des affaires de sécurité sociale juge que la Direction des constructions navales (de Cherbourg (DCN) a commis « faute inexcusable » en sous-estimant les risques que prenait son personnel et la condamne à verser 765 000  aux familles des victimes au titre du préjudice moral [4]. L'entreprise fait appel.

En France, la presse émet très vite l'hypothèse que l'attentat a pu être commis en représailles à l'arrêt de versement de commissions promises à des intermédiaires pakistanais. Depuis le début, en effet, le contrat d'armement franco-pakistanais donne lieu à des soupçons de corruption [5].

Les familles des victimes se constituent partie civile et réclament de connaître la vérité sur les causes du drame [6].

Le député de Cherbourg Bernard Cazeneuve (PS) publie un rapport d'information [7]. Il y dénonce « le refus du gouvernement de lui communiquer toute source documentaire de première main ». Il estime « plausible » la piste islamiste, mais elle retient également deux autres hypothèses : «  la piste d’une affaire politico-financière ou un attentat lié à la montée de la tension entre l’Inde et le Pakistan depuis 2001 ».

Le 15 juin, les deux juges d'instruction français chargés de l'enquête annoncent aux familles réunies à huis clos au tribunal de Cherbourg qu'ils ont abandonné la piste islamiste initiale pour privilégier une action commandée par des militaires pakistanais. Pour eux, l'État français a connaissance de cette hypothèse « depuis longtemps » [8].

Parmi les autres hypothèses étudiées, les deux juges s'emploient particulièrement à vérifier si l'attentat n'aurait pas été commandité par des intermédiaires mécontents de ne pas avoir perçu la totalité de commissions prévues. L'affaire pourrait également se compliquer avec l'existence d'un retour frauduleux d'une partie de l'argent en France, des « rétrocommissions ».

Auditionné le 15 novembre 2010 par le juge d'instruction Renaud Van Ruymbecke, l'ancien ministre de la défense Charles Millon accrédite cette possibilité en déclarant que Jacques Chirac lui a demandé, peu après son élection à la présidence de la République en 1995, de « procéder à la révision des contrats d'armement et de vérifier dans la mesure du possible s'il existait des indices sur l'existence de rétrocommissions » [9]. En juin 2009, le même Charles Millon avait indiqué dans une interview à Paris Match qu'une partie de ces commissions revenaient en France et qu'elles avaient contribué à financer la compagne présidentielle d'Édouard Balladur, alors Premier ministre [10]. Un autre témoin, Gérard Menayas, ancien dirigeant de la DCNS, également auditionné par le juge Van Ruymbeke, précise qu'il a eu connaissance d'un rapport de la police luxembourgeoise selon lequel Nicolas Sarkozy, alors ministre du Budget (1993-1995) et porte-parole de la campagne d'Édouard Balladur, a organisé ce transit au Luxembourg via la société Heine [11]. Édouard Balladur et Nicolas Sarkozy réfutent cette thèse ; le président de la République la qualifiant de « fable » [11][12].

Une plainte pour faux témoignage est déposée par les familles des victimes contre l'ancien juge en charge de l'affaire Jean-Louis Bruguière le 16 juin 2011. Il lui est reproché d'avoir égaré le rapport d'autopsie du terroriste [13].

Le 15 juin 2020, le tribunal correctionnel de Paris condamne quatre anciens collaborateurs de l'ex-Premier ministre Édouard Balladur dans le volet financier de l'affaire Karachi pour leur implication dans un système de commissions occultes sur des contrats d'armement avec l'Arabie saoudite et le Pakistan [14]. Nicolas Bazire, ancien directeur de cabinet et chef de campagne d'Édouard Balladur, alors proche collaborateur du ministre de la Défense François Léotard, sont tous deux condamnés à cinq ans de prison dont deux avec sursis et à de lourdes amendes. Thierry Gaubert, alors au ministère du Budget, à quatre ans de prison dont deux avec sursis et à une amende, et Dominique Castellan, alors patron de la Direction des constructions navales (DCNI), à trois ans de prison dont un avec sursis [14]. Les plus lourdes peines, cinq ans de prison ferme, ont été infligées aux « intermédiaires », l'homme d'affaires franco-libanais Ziad Takieddine, et son associé Rahman Al Assir [14]. La justice sanctionne ainsi « une atteinte d'une exceptionnelle gravité à l'ordre public économique et en la confiance dans le fonctionnement de la vie publique » qu'il qualifie de « véritable entreprise de prédation » [14]. Selon elle, entre six et dix millions d'euros ont atterri illégalement sur le compte de campagne d'Édouard Balladur pour l'élection présidentielle de 1995 [14].

Le 4 mars 2021, la Cour de justice de la République (CJR), seule habilitée à juger des ministres dans l'exercice de leurs fonctions, condamne François Léotard à deux ans de prison avec sursis et 100 000  d'amende pour complicité d'abus de biens sociaux. Elle explique que l'ancien ministre de la Défense a joué « un rôle central et moteur » dans l'imposition d'un réseau d'intermédiaires « inutiles » aux commissions « pharaoniques » alors que les contrats étaient quasiment finalisés. En revanche, elle relaxe Édouard Balladur, estimant qu'il n'existe pas de preuve de sa participation à un système de rétrocommissions illégales sur les contrats d'armement avec le Pakistan qui ont permis « frauduleusement » d'abonder de 10,5 millions d'euros son compte de campagne lors de la présidentielle de 1995 [15].

Bibliographie

  • Fabrice Arfi et Fabrice Lhomme, Le contrat : Karachi, l'affaire que Sarkozi voudrait oublier, éd. Stock, 2010
  • Bernard Cazeneuve, Karachi l'enquête impossible, éd. Calmann-Lévy, 2011
  • Magali Drouet et Sandrine Leclerc, On nous appelle les Karachi, éd. Fleuve Noir, 2010
  • Olivier Truc, Les Sentiers obscurs de Karachi (roman), éd. Métairie, 2022
  • Pascal Demarquoy, Karachi 8 mai 2002, éd. Balland, 2023

Notes et références

  1. France 2, 8 mai 2002 (journal télévisé de 20 h) (voir en ligne).
  2. Marc Pivois, « La grande douleur de Cherbourg », Libération, 14 mai 2002 (lire en ligne).
  3. 3,0 et 3,1 « Longuet à Cherbourg : les familles des victimes absentes », L'Express, site internet, 17 juin 2011.
  4. « La DCN jugée coupable dune “faute inexcusable” », Le Monde, 15 janvier 2004.
  5. Guillaume Dasquié et Renaud Lecadre, « L'argent au cœur de l'attentat de Karachi », Libération, 17 octobre 2009 (lire en ligne).
  6. Magali Drouet et Sandrine Leclerc, On nous appelle les Karachi, éd. Fleuve Noir, 2010.
  7. Bernard Cazeneuve et Yves Fromion, Rapport d'information sur les circonstances entourant l'attentat du 8 mai 2002 à Karachi, Assemblée nationale, 12 mai 2010 (lire en ligne).
  8. AFP, 19 juin 2009, 12 h 53.
  9. Mathieu Foulkes et Étienne Fontaine, « Affaire Karachi : la piste des rétrocommissions se précise », AFP, 17 novembre 2010, 14 h 57.
  10. « Charles Millon : Chirac m'a demandé de bloquer des commissions illicites », Paris Match, 25 juin 2009 (lire en ligne).
  11. 11,0 et 11,1 Thierry Lévêque, « Affaire Karachi : la piste de la corruption confirmée dans l'affaire Karachi », Reuters, 17 novembre 2010, 21 h 25.
  12. France 2, 19 juin 2002 (voir en ligne).
  13. lemonde.fr, 16 juin 2011.
  14. 14,0 14,1 14,2 14,3 et 14,4 « Campagne Balladur : prison ferme pour tous les prévenus dans le volet financier de l'affaire Karachi », AFP, 15 janvier 2020, 16 h 44.
  15. « Affaire Karachi : Édouard Balladur relaxé, François Léotard condamné à du sursis », AFP, 4 mars 2021, 17 h 47.

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