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Allocution d'Alexis de Tocqueville au président de la République (1850)

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Allocution adressée au président de la République
(Louis-Napoléon Bonaparte)
lors de son voyage à Cherbourg, le 6 septembre 1850[1]
par M. de Tocqueville, président du Conseil général de la Manche



Monsieur le Président,

Le conseil général de la Manche, apprenant que vous veniez visiter ce pays, a voulu, après avoir terminé ses travaux, se rendre auprès de vous. Il m'a chargé d'apporter en son nom au premier magistrat de la République, avec l'hommage de notre profond respect, l'exposé des besoins et la confiante expression des vœux du département.

Vous avez sous les yeux, monsieur le Président, dans le port de Cherbourg, le plus audacieux et le plus merveilleux ouvrage qui soit jamais sorti de la main des hommes. Ces lieux doivent vous plaire, car vous y trouvez partout les traces de l'Empereur, de ce génie unique et, comme vous l'avez si bien qualifié dans une autre circonstance, inimitable, qui a remué le monde, et qui, en tant de lieux, a vaincu la nature aussi bien que les hommes.

Vous vous affligerez sans doute, avec nous, en voyant que son entreprise reste encore imparfaite, et vous jugerez, comme nous, qu'il y aurait tout à la fois de la honte et du péril à ne point terminer sur-le-champ une œuvre si grande et toujours exposée, tant qu'elle n'est pas achevée. Votre sollicitude, qui m'est si bien connue pour tout ce qui peut contribuer à la grandeur et à la sécurité de la France, vous fera juger que le complément indispensable de ce vaste instrument de guerre est un chemin de fer entre Cherbourg et Paris.

Vous entendrez, monsieur le Président, dans toutes nos villes, et jusqu'au fond de nos campagnes, réclamer l'exécution du même travail à un autre point de vue non moins digne de votre attention ; partout on vous dira que, tandis que les départements de France qui sont nos rivaux en industrie peuvent rapidement et à peu de frais, à l'aide des chemins de fer établis par l'État ou avec son secours, apporter leurs denrées sur le marché, les nôtres, privés du même avantage, luttent contre une concurrence ruineuse.

À ce spectacle, notre pays s'inquiète ; il s'émeut, il se plaint. Nous espérons que sa voix sera entendue, car l'égalité industrielle entre les départements n'est pas moins précieuse que l'égalité civile entre les citoyens. Ces deux grandes conquêtes de la révolution française sont également chères à tous les cœurs.

Vous allez traverser dans toute son étendue notre département. En parcourant ce beau pays que la Providence a fait si fertile, et que l'honnête industrie de ses habitants a rendu riche, vous rencontrerez partout l'horreur des théories subversives, le goût de l'ordre, le respect de toutes les lois, la gratitude pour tous les services rendus.

De toutes parts, monsieur le Président, vous trouverez les populations empressées à vous recevoir, joyeuses de votre venue, reconnaissantes du soin que vous prenez de venir étudier par vous-même leurs besoins.

Le département est calme, il connaît les difficultés qui nous environnent ; mais il se fie sur le temps, sur le bon sens public, sur la sagesse de l'Assemblée nationale, et sur la vôtre pour en triompher.

(Le Moniteur, 9 septembre 1849)[1]
Source
  • Alexis de Tocqueville, Œuvres complètes d'Alexis de Tocqueville. « Volume 9 : Études économiques, politiques et littéraires », Michel Lévy frères, Paris, 1866.

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Notes et réérences

  1. 1,0 et 1,1 Ceci est la retranscription fidèle de la reproduction faite par Mme de Tocqueville pour les Œuvres complètes d'Alexis de Tocqueville en 1866. Sa publication dans Le Moniteur est à dater de 1850, et non 1849.