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Théonyme

De Wikimanche

Un théonyme est un nom de divinité, dont l'étude constitue le sujet de la théonymie. Par extension, il peut également désigner une appellation faisant référence de manière indirecte à une divinité.

Certains théonymes sont considérés par divers spécialistes comme des éléments constitutifs de toponymes, hydronymes et anthroponymes de la Manche.

Les théonymes dans la toponymie et l'hydronymie de la Manche

Noms gaulois

Alleaume; Allonne

Le radical pré-latin alaun- est attesté à de nombreuses reprises en France et en Europe occidentale, soit comme nom de localité, soit comme nom de cours d'eau. C'est sans doute celui de l'adjectif gaulois alaunos (féminin alauna) « nourricier » [1], qui s'est appliqué à de nombreuses rivières, mais a aussi servi d'épithète à des divinités qualifiées de « nourricières » dans des dédicaces religieuses [2].

Il apparaît dans la Manche dans le nom Alleaume (Alauna 3e s.), aujourd'hui rattachée à Valognes, et pour lequel il n'est pas possible de décider s'il s'agit d'un ancien hydronyme ou d'un toponyme à valeur dédicatoire. Il figure également dans le nom de la commune des Moitiers-d'Allonne, constituée de la réunion en 1818 des anciennes communes de Notre-Dame-d'Allonne et de Saint-Pierre-d'Allonne. On le trouve en outre employé dans un certain nombre de dédicaces religieuses gallo-romaines.

Divette

Le gaulois °deua « déesse » (variantes °deiua, °diua) [3] est à l'origine du type hydronymique Dive(s), attesté au moins six fois en France sous sa forme simple et plus d'une dizaine de fois par divers dérivés (Dienne, Divette, Divonne / Dionne, etc.). On y voit la latinisation, d’après le latin diva « déesse », d’un hydronyme gaulois °Deua, formé sur °deua, de même sens. Notons que la variante en di- de la racine est attestée en gaulois, ce qui permet aussi bien de poser une forme initiale °Diua. La forme °Deua, tout aussi plausible que °Diua, a sans doute été avancée par analogie avec les formes anciennes du nom de la rivière Dee en Angleterre, Cheshire, de même origine (Deoua ~150), postulant un britonnique °Deua [4]. Dans l’état actuel de nos connaissances, ce point (d’ailleurs mineur) ne peut être éclairci [5].

Le nom de la Divette de la Manche est un dérivé diminutif roman en -ette d'un hydronyme antérieur, qui a dû être °Dive. La raison de l'emploi du diminutif n'est pas claire, mais on constate ce procédé dans un certain nombre de noms de cours d'eau. Si, dans certains cas, le diminutif signale clairement le nom d'un affluent (par exemple, la Dives et la Divette, la Touques et la Touquette, la Vie et la Viette dans la Calvados), dans d'autres en revanche les motivations sont moins évidentes, ou de nature variable. Les spécialistes ayant étudié (ou du moins mentionné) le nom de la Divette de la Manche se sont contentés de noter l'existence du diminutif, sans l'expliquer [6]. Aucun, en outre, n'en cite de formes anciennes.

Graignes

Grannos ou Grannus est le surnom de l'Apollon gaulois. Il pourrait signifier littéralement « le barbu » (du gaulois °grannos « barbe (?) ») [7], mais cette opinion n'est pas partagée par tous. Ce théonyme est peut-être à l'origine, selon Xavier Delamarre, de l'anthroponyme gaulois Grannios, sur lequel paraît reposer le nom de Graignes, « le domaine / la terre de Grannios » [8].

Sélune; Sienne; Sénène

La racine indo-européenne °sen- « vieux » a souvent, outre son sens propre, une valeur laudative, et admet des significations secondaires telles que « ancien », « vénérable », « sage », voire « sacré ». En latin par exemple, elle est à l'origine des mots senex « vieux, vieillard » et senium « grand âge, sénilité », mais aussi de senatus « conseil des Anciens, Sénat » et senator « sénateur, sage » [9]. Elle a également généré le gaulois senos « vieux ».

Ainsi, en Gaule, les Senones, qui ont laissé leur nom à Sens (Yonne), étaient « les Anciens », « les Vénérables », plutôt que « les Vieux » [10], car en gaulois le mot senos avait aussi cette double valeur [11]. De même, le nom de l'île de Sein (Finistère), attesté sous la forme Sena dès le premier siècle de notre ère, était « la Vénérable », « la Sacrée ». Son nom se rattache à la présence en ce lieu d'un groupe de neuf prophétesses « Sacrées », les Senæ, et donc d'un probable sanctuaire où ces femmes prédisaient l'avenir par l'intermédiaire de l'oracle d'une divinité gauloise [10]. Ce lien avec le sacré se retrouve encore dans le toponyme Senantes (Oise, Eure-et-Loir), issu du gaulois °Seno-nemeton « vénérable sanctuaire, sanctuaire sacré ».

On peut donc considérer que les hydronymes en Sen- sont des créations gauloises qui relèvent du même sémantisme de « vénérable, sacré », analogues aux noms de cours d'eau en Div-, (Dive(s), Divette, Divonne, etc.), eux-mêmes issus ou dérivés du gaulois °deua « déesse ». °SENONA, dont le nom de la Sélune (Senuna ~850) représente apparemment une variante, doit représenter °SEN-ON-A formé comme °DIV-ON-A, à l'origine du type Divonne / Dionne, ou encore °MATR-ON-A « la déesse-mère », nom gaulois de la Marne. Parallèlement, la Sienne est simplement °SENA « la Vénérable », « la Sacrée », dont le nom de la Sénène représente le dérivé adjectival °SEN-AN-A.

Noms gallo-romains

Céaux

Le latin celsus « élevé » paraît représenter, par l'intermédiaire du gallo-roman °CELSU, l'étymon du nom de Céaux. François de Beaurepaire [12] envisage, entre autres hypothèses possibles, un sens figuré de l'appellation : le mot celsus aurait dans ce cas été le qualificatif d'une divinité locale, « Très-Haut », et donc indirectement désigné un lieu de culte.

Les théonymes dans l'anthroponymie de la Manche

Article connexe

Notes et références

  1. Ce mot doit remonter au celtique commun °alamnos, °alamna, dérivé agentif en -mno- de la racine indo-européenne °al- « nourrir », également à l'origine du latin alumnus « nourrisson », alere « nourrir », d'où procède entre autres le français aliment.
  2. Xavier Delamarre, Dictionnaire de la langue gauloise, Errance, Paris, 2001, p. 32.
  3. De l’indo-européen °deiw-ā. C’est le féminin de deuo- « dieu » (variantes °deiuo-, diuo-, deo-) < indo-européen °deiw-o-s (forme suffixée de la racine °deiw- « briller »), qui a désigné le ciel lumineux, diurne (même racine), considéré comme une divinité (même racine). Le mot connaît également de nombreuses variantes en indo-européen, sans doute liées à un tabou linguistique.
  4. Cf. Dominique Fournier, Les noms de lieux du Pays d’Auge (communes, hameaux, lieux-dits), vol. 1 : Éléments pré-latins (gaulois ou transmis par le gaulois), Société historique de Lisieux, Lisieux, 2004, p. 45-47.
  5. Ceci n’est pas la seule hypothèse, et certains spécialistes ont également pu rapprocher ce nom de la racine indo-européenne °dʰeu- « couler ». Cf. François de Beaurepaire, La toponymie de la Normandie, méthodes et application, in Cahiers Léopold Delisle XVIII, fasc. 1-2, 1er sem., 1969, § 19, qui met en rapport la Dives avec d’autres hydronymes de Grande-Bretagne.
  6. Marcel Baudot, « Stratigraphie hydronymique de la Normandie », Proceedings of the 9th international congress of Onomastic sciences, Londres , 1966, p. 134-150; reproduit dans Marcel Baudot, Études d'onomastique et d'histoire normande, Société parisienne d'histoire et d'archéologie normandes, Nogent-sur-Marne, 1982, p. 81-97; Albert Dauzat, Gaston Deslandes et Charles Rostaing, Dictionnaire étymologique des noms de rivières et de montagnes en France, Klincksieck, Paris, 1978, p. 39b; Ernest Nègre, Toponymie Générale de la France, Droz, Genève, t. I, 1990, p. 112, § 2108.
  7. Xavier Delamarre, Dictionnaire de la langue gauloise, Errance, Paris, éd. 2003, p. 182.
  8. Xavier Delamarre, Noms de lieux celtiques de l'Europe ancienne (-500 / +500), Errance, Paris, 2012, p. 161a.
  9. Cette valeur se retrouve également dans le germanique commun °senaz « âgé, ancien » : le °sini-skalkaz « vieux serviteur », désigne en fait l'officier qui a le plus d'expérience, et aboutit au français sénéchal.
  10. 10,0 et 10,1 Jacques Lacroix, Les noms d’origine gauloise III, La Gaule des dieux, Errance, Paris, 2007, p. 216.
  11. Xavier Delamarre, Dictionnaire…, p. 229.
  12. François de Beaurepaire, Les noms de communes et anciennes paroisses de la Manche, Picard, Paris, 1986, p. 94.