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Nicolas Eustace

De Wikimanche

Nicolas Eustace, né en 1639 ou 1640 et mort à l'abbaye d'Orval (Belgique) le 15 mai 1718 , est une personnalité catholique liée au département de la Manche, professeur de théologie au séminaire de Valognes.

Biographie

Originaire du diocèse de Sées, comme son ami Jacques Belier des Essarts, ou de celui de Lisieux, au dire de Pierre Guilbert, il passe quelques années pour éprouver sa vocation au séminaire de Valognes, où il a pu arriver dans les années 1660-1662. Alors que l'ensemble de cette maison a signé le Formulaire de condamnation du théologien Jansénius en 1665, de nouvelles attaques se font jour en 1668-1669 contre cette institution déjà soupçonnée de jansénisme quelques années auparavant. Eustace, devenu clerc vers 1665, remplace le professeur de philosophie Burnouf, lorsque ce dernier doit quitter le séminaire en 1669 ou 1670.

« Comme je n'avais point d'emploi déterminé [à Valognes], écrira Eustace le 2 juillet 1683 à Mme de Fontpertuis, l'on m'obligea de faire des conférences à une partie des ecclésiastiques qui y demeuraient ». Après deux années de calme relatif, le séminaire est de nouveau attaqué : on reproche en particulier à Nicolas Eustace le contenu de ses prétendus cahiers, bien qu'il s'agisse de ceux d'un ancien régent, et l'évêque de Coutances, Charles-François de Loménie de Brienne, refuse de l'ordonner prêtre. Eustace prend part à la défense de la maison, se rendant, en août 1674, avec Louis Le Bourgeois auprès de son évêque, qui ne se laisse pas fléchir. Après la fermeture du séminaire de Valognes, Eustace quitte François Le Tellier de la Luthumière à regret, écrivant en juillet 1683 à Mme de Fontpertuis : « J'aimais la douceur et le repos d'une vie communautaire réglée, où je trouvais le temps et la commodité nécessaires pour l'étude que j'avais embrassée ».

À sa sortie de Valognes, Nicolas Eustace devient, à Paris, précepteur de Louis-Angustin Angran, seigneur et vicomte de Fontpertuis, et de Lailly, fils de Jacques Angran, décédé, et de Mme de Fontpertuis, une amie très fidèle de Port-Royal, qui réside à Paris. Il est ordonné prêtre en 1677 avec la permission expresse de François de Harlay de Champvallon, archevêque de Paris depuis 1671 : l'ordination est conférée à Eustace par Henri de Laval, évêque d'Angoulême, dans l'église Saint-Jacques-du-Haut-Pas. Eustace est alors nommé curé d'une paroisse du diocèse de Rouen, Fresne-en-Vexin, une cure qui est alors à la nomination de Mme de Longueville, dont la protection a été assurée à Eustace par François de La Luthumière en personne.

On sait peu de choses sur cette nouvelle période de la vie d'Eustace, à l'exception de la visite que lui rendent pendant un mois, en juillet 1681, quatre amis de Port-Royal : Sébastien du Cambout de Coislin de Pontchâteau, Ernest Ruth d'Ans, Claude de Sainte-Marthe et le Normand d'Évreux Martin Le Métayer. Ce séjour, qui est par ailleurs, semble-t-il, peu apprécié des habitants du lieu, a pu être à l'origine de la candidature de N. Eustace comme confesseur des religieuses de Port-Royal des Champs.

Privées de leur confesseur attitré, Louis-Isaac Le Maistre de Sacy, en juin 1679, les religieuses font présenter plusieurs candidats en 1681 à l'archevêque de Paris : dans un premier temps, ce dernier refuse Nicolas Eustace, « qu'il croyait avoir été accusé de socianisme il y a treize ans », c'est-à-dire au temps où il était à Valognes. En 1683, l'archevêque accepte enfin Nicolas Eustace comme confesseur des moniales, grâce à une intervention de Mme de Fontpertuis. Le 9 août, selon le Journal de l'abbaye de Port-Royal, « M. Eustace arriva ici qui commença à confesser dès le lendemain, jour de la fête [de saint Laurent] ». Le 10 septembre, Antoine Arnauld commente, de son exil bruxellois, cette nouvelle, dans une lettre à Louis-Paul du Vaucel : « Il en est arrivé plusieurs [miracles] à Port-Royal, dont on vous pourra vous écrire une autre fois. On leur a accordé un fort bon confesseur ». Eustace va assurer ces fonctions pendant plus de vingt-deux ans, jusqu'en décembre 1705, sans pour autant rester coupé du monde.

Nicolas Eustace est le témoin de la lente agonie de l'abbaye, mais aussi un acteur infatigable de la lutte pour sa survie. Il confesse, assure les offices religieux, assiste de ses soins les religieuses et les amis du monastère lors de leurs derniers moments ou de leur inhumation. En 1684, il accueille ainsi le corps de Le Maistre de Sacy, décédé le 4 janvier à Pomponne, et prépare à la mort, puis inhume la mère Angélique de Saint-Jean, abbesse, trois semaines plus tard. En 1687, Eustace se trouve au chevet du Normand Jean Hamon, qui meurt le 22 février ; en 1690, il enterre le corps de l'abbé de Pontchâteau, transporté à l'abbaye le 28 juin. Le 9 novembre 1694, Ernest Ruth d'Ans et Jacques Belier des Essarts apportent de Bruxelles, en présence de Jean Racine, neveu de l’abbesse, la mère Agnès Racine, le cœur d'Antoine Arnauld, mort deux mois plus tôt à Bruxelles : Eustace répond à la harangue du premier et revoit son ancien compagnon de Valognes, qu'il n'a plus fréquenté depuis très longtemps. En avril 1699, Eustace inhumera Jean Racine, tout près de la fosse de Jean Hamon.

Le confesseur de Port-Royal participe de près à la vie du monastère : par exemple il approuve et soutient l'abbesse, la mère Agnès Racine quand elle décide de fermer les portes de l'abbaye ; et, en 1695, il intervient, après Racine lui-même, auprès de nouvel archevêque de Paris Louis-Antoine de Noailles. Eustace se mêle encore de théologie ; et, quoiqu'il soit « très peu théologien », écrit Saint-Beuve, il tente d'infléchir sans succès les positions d'Antoine Arnauld sur la grâce générale dans le sens de Pierre Nicole. Plus grave pour le confesseur de Port-Royal est, semble-t-il, son intervention dans l'affaire du « Cas de Conscience », intervention peu claire et controversée : elle vaut en tout cas à Nicolas Eustace de devoir se cacher en décembre 1705, pour éviter de comparaître devant le lieutenant général d'Argenson.

Il pense d'abord vivre auprès de Pasquier Quesnel, avec qui il correspond depuis plusieurs années ; mais, après un court séjour à Vitry-le-François chez le frère d'une religieuse de Port-Royal, il part pour l'abbaye des cisterciens d'Orval (aujourd'hui en Belgique). Il y vit près de douze ans, sous des noms d'emprunt : « M. François », « M. Du Bourg », ou « M. du Soleil ». À Orval, l'ancien régent de Valognes « occupait un appartement voisin de la bibliothèque et de l'église, d'où il pouvait entrer dans une tribune en forme de chapelle, dans laquelle il assistait à tout l'office et où il disait la messe de temps en temps », à haute voix. Il meurt à l'abbaye d'Orval le 15 mai 1718 (et non 1716), et y est inhumé.

Bibliographie

  • BNF, fonds français, 17779, ff. 199-200 (lettre d'Eustace à Mme de Fontpertuis, 2 juillet 1683), 202.
  • Arch. d'Utrecht, P. R. 643.
  • Supplément au Nécrologe de Port-Royal, 1735, p. 623.
  • J. Besoigne, Histoire de l'abbaye de Port-Royal, 1752, t. II, p. 484, 593, t. V, p. 118, 123.
  • L. Delavaud, Le marquis de Pomponne, Paris, 1911, p. 191-192.
  • É. Jacques, Les années d'exil d'Antoine Arnauld, Louvain, 1976.
  • J. Lesaulnier, Chroniques de Port-Royal, 35, 1986, p. 71-106.
  • G. Duboucher, Chroniques de Port-Royal, 44, 1995, p. 423, 424.
  • J. Lesaulnier, notice « N. Eustace », dans le Dictionnaire de Port-Royal, dir. J. Lesaulnier et A. McKenna, Paris, 2004, p. 392-393.

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