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Meurtre du baron Montrond (1910)

De Wikimanche

Le meurtre du baron Montrond est une affaire criminelle de la Manche.

La victime

Le baron Paul Camille Marie de Montrond, né à Cherbourg le 24 juin 1839, est le fils de Paul de Montrond, polytechnicien, capitaine d'artillerie, adjoint à la direction de l'arsenal de Cherbourg, et de Stéphanie de Chivré, fille de Louis-Camille de Chivré, maire de Sottevast. Sous-préfet en Algérie puis procureur impérial sous l'Empire, il démissionne en 1878 de son poste de secrétaire général de la Préfecture de Nantes (Loire-Atlantique) et vit de placements financiers et immobiliers [1]. Son blason est « d'or à un globe d'azur surmonté d une croix de sable, au chef écartelé d'azur et de gueules, à un croissant d'or accompagné d'hermines ». Il est propriétaire du château du Clos Giot à Martinvast depuis que la comtesse Dumoncel lui en a fait don vers 1867.

Le meurtre

Louis Guéret, le coupable

Le 16 mai 1910, son jeune domestique, Auguste Lias, le retrouve mort dans sa chambre du château du Clos Giot, qu'il occupe depuis 1904, tandis que sa seconde épouse, née Suzanne de Milhau, vivait en leur domicile parisien au 43 rue de Clichy [1]. La presse nationale se fait écho du « crime de Martinvast », dont le Petit Parisien [2] :

« L'arme dont s'est servi l'assassin est de petit calibre, six millimètres à peine, presque un bijou, qu'une femme ou un enfant auraient eu plaisir à manier : la balle, dont la petite douille de cuivre a été trouvée dans le lit, n'aurait pas déterminé, une blessure mortelle, même tirée à bout portant, si l'assassin, dans sa volonté de tuer, n'avait ensuite étouffé sa victime. (...)
Ce qui a dû se passer en réalité, tel que le praticien le conçoit, est atroce. Le coup de feu tiré, M. de Montrond, qui dormait, s'est réveillé sous l'empire de la douleur instinctivement, ses mains se sont portées à son visage, ses yeux se sont ouverts, sa bouche s'est entr'ouverte pour crier. Surpris de ce geste de vitalité, auquel il ne s'attendait pas, le misérable, les doigts écartés comme des griffes, a voulu comprimer la bouche du vieillard et, de ses ongles, il lui a labouré les joues.
Pressé d'en finir, il a alors saisi un oreiller, l'a jeté sur la tête du malheureux qui agonisait, a sauté sur le vieillard à genoux, et, prenant le bois de lit comme point d'appui, il a exercé sur la figure une pression si violente que les cartilages du nez ont été broyés.(...)
Quand M. de Montrond rendit le dernier soupir, il pouvait être environ quatre heures du matin, et le jour était tout à fait venu. Il n'apparaît pas que l'homme, son forfait accompli, se soit affolé ou ait pris précipitamment la fuite.
Il ouvrit les portes, doucement, avec les clefs dont il s'était emparé, et les laissa entrebâillées pour ne pas faire de bruit. Il était entré d'ailleurs comme il est sorti, sans être remarqué, sans attirer l'attention de personne. Comme un fantôme, il a passé à travers la campagne et s'est faufilé dans les appartements du château, jusqu'à la chambre abandonnée où, en toute tranquillité, il a passé une partie de la nuit, attendant sans impatience que l'heure propice pour tuer ait sonné. »

L'enquête

L'enquête est dirigée par M. Houdaille, commissaire central de Cherbourg et M. Javier, commissaire spécial. Ils en appellent à l'expertise d'Alphonse Bertillon, le célèbre directeur du service anthropométrique, pour analyser les traces de sang du lieu du crime [2].

On suspecte rapidement Louis Guéret, né le 19 juillet 1891, à Gonneville, « fils de Jean et de Delaunay, Aimable (...). Signalement Dix-huit ans, taille 1 m 60, cheveux et sourcils châtains, front large, yeux gris et petits, nez gros, bouche moyenne, menton rond, visage pâle et rond, lèvres assez largement bordées et proéminentes, aspect chétif » [3]. Orphelin de mère et rejeté par son père à 16 ans après un vol, il a travaillé pour le compte du baron de juillet à septembre 1909. Déjà arrêté pour divers vols, il vient d'être condamné à un mois de prison avec sursis pour tentative d'escroquerie de vêtements au préjudice d'un tailleur de Cherbourg quand il est embauché. Il est renvoyé après avoir dit qu'il serait facile d'entrer dans la propriété et d'y dérober ce que l'on veut. Embauché à l'institution Ozanam d'Asnières et licencié pour vol, il est condamné le 25 février 1910, à trois mois de prison pour vol, falsification et usage de faux certificat. Il sort de la prison de Fresnes le 10 mai [4].

Aussitôt libéré, il achète un pistolet Cycliste, prend un billet pour Cherbourg, descend à Martinvast, pénètre dans l'enceinte du château, et passe cinq jours dans les communs en attendant le moment propice à son forfait. Le dimanche 15 mai, vers cinq heures du soir, profitant d'une promenade du baron dans le parc, Guéret s'introduit dans la demeure et se cache dans une mansarde au deuxième étage. Dans la nuit, il descend pieds nus au premier étage et s'introduit sans bruit dans la chambre du baron. Après l'avoir tué, il fait ses poches, et emporte 200 à 250 francs, une montre en or et une chaîne en or. Il s'enfuit après avoir changé de chemise, laissant celle tachée de sang sur le lit de la victime [4]. Revenant sur ses premières déclarations faites après son arrestation à Paris, dans lesquelles il avouait la préméditation, il indique au juge d'instruction : « En entrant dans l'appartement de M. de Montrond, j'ai été surpris par la lumière d'une lampe à abat-jour déposée sur la table. Il dormait. J'ai pris ce qui se trouvait sous ma main la montre et la chaîne en or, le porte-monnaie contenant 55 francs, deux petites bottes rondes déposées près de la lampe. Tout à coup, je me suis aperçu qu'il avait remué. Bientôt, il ouvrit les yeux et me dit : « C'est toi, je te reconnais Guéret, tu te mets dans un mauvais cas. Je vais prévenir la gendarmerie ». Horriblement effrayé, j'ai sorti mon pistolet de cycliste et j'ai fait feu sur le vieux. Craignant qu'il ne pousse des cris, j'ai sauté sur le lit. J'ai couvert le visage du baron avec les oreillers et j'ai pressé, pressé fortement. Puis, lorsque je l'ai vu complètement inanimé, j'ai continué mon vol. J'ai pris, au hasard, un petit bloc-notes avec miniatures, trois breloques, un cachet armorié, un crayon, un trousseau de petites clefs, un couteau au manche en nacre, une bonbonnière en écaille, un étui à cigarettes, un porte-mine, un carnet de bal en forme d'éventail en nacre et métal, une bague chevalière avec armoiries et cachets, un album de photos... » [5].

Le procès

Le vendredi 23 septembre 1910, à midi, Louis Guéret comparaît devant la Cour d'assises de la Manche à Coutances dans une salle comble [4]. « Grêle, imberbe, [il] est pâle. Il est habillé d'un veston bleu. Il essaye vainement de pleurer. Il a une figure mauvaise. Sa joue droite bouffie et sa lèvre supérieure pendante, par suite d'accident, lui donnent un aspect peu sympathique. Il a l'air sournois. » Les parties civiles (Mme de Montrond et son fils, Pierre, capitaine à Avignon), sont représentés par Maîtres Chevallier et Guillon, réclamant un franc de dommages et intérêts et la restitution des objets et s'opposant à la peine de mort [1]. Le procureur, M. Choisy, estime qu'il y a eu préméditation, ce que dément l'accusé, dont le défenseur, Me Maundrell, dénonce la peine capitale et plaide les circonstances atténuantes. Le jury, après quinze minutes de délibérations, admet les circonstances atténuantes et le condamne aux travaux forcés à perpétuité [1].

Notes et références

  1. 1,0 1,1 1,2 et 1,3 L'Ouest-Éclair, 24 septembre 1910.
  2. 2,0 et 2,1 Le Petit Parisien, 19 mai 1910.
  3. L'Ouest-Éclair, 24 mai 1910.
  4. 4,0 4,1 et 4,2 Le Radical, 23 septembre 1910.
  5. L'Ouest-Éclair, 4 juin 1910.