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Le Cavalier des landes (1847)

De Wikimanche

Le Cavalier des landes est une légende de la Manche.

Blason de Mary
Quand la feuille des bois, sur la terre fanée,
Annonce au voyageur le déclin de l'année,
On dit qu'on voit paraître aux landes de Jobourg
Un sombre cavalier, vers la chute du jour.
Je connais ce fantôme, et sa tragique histoire
Est un des ornements de ma faible mémoire,
Un de ces vieux récits, qu'auprès d'un foyer noir
La mère à ses enfants aime à conter le soir.
Autrefois, deux seigneurs, divisés par la guerre,
Habitaient ce pays, témoin de leur colère :
L'un, brave, généreux et loyal ennemi,
D'un agréable abord, se nommait de Mary ;
L'autre, en ses passions, ardent comme la poudre,
Avait un cœur féroce et s'appelait Lafoudre.
Un jour de Notre-Dame, un funeste hasard
Dans un même chemin les conduit à l'écart,
À l'heure où d'un bruit sourd les cloches solennelles
Appelaient au saint lieu la foule des fidèles.
Se mesurant tous deux d'un regard de dédain,
Ils courent l'un sur l'autre un glaive dans la main ;
Et, le bras étendu, le cœur exempt d'alarmes,
Aux rayons du soleil ils font briller leurs armes.
Les coups suivaient les coups, le fer croisait le fer :
On eût dit deux dénions échappés de l'enfer,
Tant ils se maudissaient, tant ils brûlaient d'envie
L'un sur l'autre acharnés, de s'arracher la vie.
La Foudre, transporté d'un infernal courroux,
En aveugle impuissant semblait porter ses coups,
Et, ne pouvant blesser son adroit adversaire,
S'agitait de dépit, de haine et de colère ;
De Mary, calme et froid, conservant sa vigueur,
De son brûlant rival excitait la fureur,
Et, s'aidant au besoin ou de ruse ou de feinte,
Évitait de son bras la meurtrière atteinte.
Déjà, depuis long temps, ces nobles chevaliers,
Essayaient sur leur sein leurs glaives meurtriers,
Quand l'écho de la plaine et le bruit de leurs armes
Vont porter au saint lieu de subites alarmes.
Soudain, dans tous les rangs, une sourde rumeur
Circule et fait germer l'effroi dans chaque cœur.
On dit que de Mary, percé d'une blessure,
De son généreux sang a rougi la verdure,
Et que son doux visage où siégeaient tant d'appas,
Est déjà tout couvert des ombres du trépas.
Sa femme, à ce récit, tremblante, désolée,
Vole au lieu du combat, la tête échevelée ;
Du geste et de la voix appelle son époux,
Et court en chancelant tomber à ses genoux.
De Mary, d'une main, laisse échapper son glaive,
Et de l'autre, aussitôt vivement la relève.
Mais, ô combat funeste ! ô mortelles douleurs !
Au moment où le bras de cette femme en pleurs
Veut ravir à la mort un époux qu'elle adore,
La Foudre, en forcené, vient le frapper encore .
Et plonge en ricanant son glaive furieux
Dans le cœur désarmé d'un rival malheureux.
Maintenant, une croix, symbole expiatoire,
De cet affreux forfait conserve la mémoire ;
Et deux glaives gravés sur ses angles saillants,
Du fatal homicide instruisent les passants.
Or, depuis cet instant, un fantôme, dans l'ombre
Marche pendant la nuit autour de la croix sombre.
Cet effrayant fantôme est un vieux cavalier,
Qui, la lance à la main, monte un pâle coursier,
Au caparaçon noir, à l'épaisse crinière,
Dont les flots ondoyants roulent sur la bruyère.
Un gros casque d'airain, surmonté d'un cimier,
Couvre comme un rempart le front du cavalier,
Dont la barbe blanchâtre et le triste visage
Semblent accoutumés à délier l'orage.
Mais sous sa barbe blanche et son casque d'airain,
Circule quelquefois un sourire de dédain,
Un sourire dont la lente et cruelle ironie
Décèle je ne sais quelle peine infinie.
On dit que quand il passe auprès de cette croix,
Il murmure des mots d'une lugubre voix,
Des mots qui font trembler au fond des cimetières,
Les morts ensevelis dans leurs poudreux suaires.
Lorsque l'orage éclate au bord de l'horizon,
Le voyageur le voit, couvert d'un tourbillon,
Sous des ruisseaux d'éclairs, de pluie et de tempête,
Marcher comme un géant, en redressant sa tète.
Tantôt, sa voix s'élève, et le hennissement
De son pâle coursier se mêle au bruit du vent.
Puis, on entend des voix, des pleurs, des cris funèbres,
Des chants et des sanglots passer dans les ténèbres ;
Et quand tout a cessé : plaintes, cris et sanglots,
Le cavalier, dit-on, disparaît dans les flots.
Jean-Baptiste Digard de Lousta, « Coup d'œil sur la Hague », Mémoires de la Société académique de Cherbourg, 1847

Digard de Lousta insiste, en préambule, sur la proximité de son texte vis à vis de la tradition orale. Il indique que le cavalier des Landes apparaît les soirs de tempêtes au milieu des landes, sans se distinguer par des actes cruels comme la plupart des revenants légendaires.

Pour Jean Henry, qui reprend ce poème dans Le Tour de la Hague en 1929, cette scène s'est bien déroulée un 15 août, qu'il situe entre les années 1650 et 1670 [1]. Mary affronte La Fouèdre pour sauver l'honneur de sa femme que le seigneur d'Auderville avait attaqué. Après la mort de De Mary, sa famille fait un procès à La Fouèdre, celui-ci n'étant condamné qu'à ériger une croix expiatoire sur le lieu du combat. Cette croix Ricard, déplacée dans les années 1990 sur le lieu supposé du duel, porte sur son socle deux sabres gravés, ainsi que sur la face antérieure, un corps allongé.

Notes et références

  1. En 1560 à Jobourg, selon Pierre Anquetil, La Hague fouille dans son passé, Cherbourg, Édition La Dépêche, 1974, p. 1-2.