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Jean-François Millet par Jean-François Raffaëlli (1906)

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Jean-François Millet par Jean-François Raffaëlli

En 1906, le peintre et sculpteur Jean-François Raffaëlli (1850-1924) consacre un article à Jean-François Millet (1814-1875) [1] :

- « Je fis, naguère, à Gréville, à la pointe de la Hague, un pèlerinage à la ferme où naquit Millet. La ferme est modeste et les chemins qui y mènent sont pierreux. Devant la ferme, on trouve le puits à toit de pierre que Millet peignit si souvent dans ses tableaux. Sur la porte de bois de l'étable se voit un petit bateau de pêche, avec sa voile, gravé au canif, dans le bois, par Millet enfant. Les murs bas qui bordent les chemins sont faits de grosses pierres rondes posées les unes sur les autres, à peine cimentées, et les vaches, sur la valise, se détachent sur le ciel brumeux...

« Je passai un été dans le pays, tout près, à Landemer, un petit village de quelques maisons où le frère de Millet tenait une auberge. On m'y donna la plus belle chambre , et, sur le mur, je trouvai accrochées des petites peintures de Millet, conservées précieusement. L'une représentait un Christ en croix et l'autre une nymphe, nue, vue de dos. Ces deux modestes peintures, qui dataient de la jeunesse de Millet, semblaient indiquer, par les sujets mêmes, que Millet devait, durant sa vie, se montrer biblique et virgilien, en même temps que bon paysan français.

« Son frère était un grand paysan constamment calme et de geste simple. La femme de ce dernier nous servait tous les jours une certaine soupe à la graisse de bœuf, qui nous terrifia d'abord, et dont je ne savais plus me passer ensuite !

« J'ai vu aussi, à Barbizon, la modeste maison de paysan dont Millet fit son atelier. Pendant longtemps, Millet se contentait d'ouvrir la porte lorsqu'il voulait éclairer le tableau qu'il avait sur le chevalet... Plus tard, il fit établir un jour d'atelier sur la rue. Que de simplicité, et quel exemple !

« Millet travaillait de mémoire. Il faisait à peine quelques croquis tri simples pour ses figures. On en trouve chez les marchands. Mais, habitant, la campagne qu'il interprétait, il pouvait, sans cesse, revenir au même endroit, aux mêmes heures, retrouver l'effet cherché. De là l'admirable simplicité des plans et la suppression des détails non caractéristiques dans ses peintures. C'est ainsi que furent faits le Printemps et les Glaneuses du Musée du Louvre, où se trouvent les plus belles qualités de Millet : le rythme de la composition, la solidité de la terre, le beau dessin des personnages, dessin construit d'ensemble et qui atteint aux nobles lignes sans paraître y viser, et, par-dessus tout, ce sentiment intime et large de la campagne qui fructifie sans cesse, sans peine et sans s'épuiser, cmmd une mère magnifique et tendre.

« Son frère me conta qu'étant à l'École des Beaux-Arts, Millet peignit longtemps, pour vivre, des sujets à la Watteau !... Millet, humble et doux paysan, avait un haut et paisible esprit. Que l'on relise ses lettres : elles montrent qu'il eut le sens de la belle littérature, et qu'il fut un homme vertueux et candide, mystique et bon.

« Ses ouvrages se paient un haut prix. On sait que l'Angélus, qui aurait été payé à Millet huit cent francs en 1860, fut racheté par M. Chauchard, en vente publique, en 1889, la somme de six cent mille francs !

(...)

« Les Millet sont très goûtés. En Amérique, par exemple, à Boston, au musée, toute une salle lui est consacrée. Ses peintures se sont un peu alourdies; cela tient à ce qu'il les peignait et les repeignait jusqu'à arriver à accumuler une grande épaisseur de pâte. Et c'est même la seule critique que l'on puisse lui adresser : avoir rendu la nature par une sorte de trompe-l'œil de sa lourdeur. Par contre, ses pastels - les pastels dont on redoute tant et que l'on croit si fragiles - sont restés en admirable état de conservation.

« En plus de la création de son style, Millet a accompli, je l'ai dit déjà, une œuvre sociale considérable : avant Pierre Dupont et les poètes rustiques, le paysan était considéré cmmd une bête de somme ; après ceux-ci et Jean-François Millet, il a sa beauté et il est aimé de tous. Millet a élevé à la beauté le paysan. Sa gloire en sera deux fois immortelle. »

Notes et références

  1. « Les promenades d'un artiste au Musée du Louvre », Les Annales, n° 1213, 13 septembre 1906.