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Jean-Baptiste Lecarpentier

De Wikimanche

Jean-Baptiste Lecarpentier ou Le Carpentier, né à Helleville le 1er juin 1759 et mort au Mont-Saint-Michel le 27 janvier 1829 [1] , est un homme politique de la Manche.

Député montagnard, il est ensuite le représentant de la Convention dans le département durant la Terreur et le siège de Granville.

Biographie

La personnalité de Jean-Baptiste Lecarpentier est controversée parmi ses contemporains et les historiens. « Né trop faible pour un poste si éminent, ou trop méchant pour que l’autorité ne fût pas funeste dans ses mains, son élévation qu’il ne devait regarder que comme un moyen de faire le bien, lui a semblé, au contraire, celui de développer son génie cruel et malfaisant… » Tel fut le jugement de ses contemporains valognais dans une adresse à la Convention sur celui que certains surnommèrent le « sauveur de Granville », sous-entendu de la République, et d’autres le « bourreau de la Manche », puisqu’il a envoyé à l’échafaud une mère de 13 enfants [2].

Les débuts d’un humble huissier

Maison natale vers 1910.

Fils de Marin Lecarpentier et son épouse, Suzanne Delallée, cultivateurs plutôt aisés [3], Jean-Baptiste Lecarpentier est baptisé quelques heures après sa naissance par l’abbé Pirou, avec comme parrain Jean-Baptiste Le Fillastre, apothicaire et maître chirurgien, d’Héauville, et comme marraine, sa tante, Jeanne Lecarpentier, analphabète au regard de la croix qui lui sert de signature [4].

Il est envoyé dès son plus jeune âge chez les bons pères eudistes du collège de Valognes, dirigé par l’abbé Jean Auger, comme plus tard son frère, Augustin (1762-1846), futur curé constitutionnel de Flamanville [2]. Il a pour camarades les enfants de son parrain [4]. Jean-Baptiste Lecarpentier ne se distingue pas dans ses études et trouve à dix-sept ans un emploi de saute-ruisseau chez le procureur Le Rouge avant d’être admis comme premier clerc chez Corbin la Fosse [4], notaire selon Jean-François Hamel [2], chez un huissier nommé Levrac selon Michaud [5]. Ces charges accréditeraient qu’il soit bachelier et licencié de droit à Caen, comme le supposent plusieurs auteurs, dont Leboyer [6], mais sans qu’on ne trouve de preuves tangibles pour le confirmer [4].

Installé à Valognes, il se marie le 10 novembre 1787, avec Marie-Françoise-Lénore Binet, de Gonneville, fille de Robert-Marie Binet-Ducoudrey et de Françoise-Marguerite Jean son épouse. Probablement grâce à la dot de sa femme, il acquiert quelques jours plus tard un cabinet d'affaires auprès du fils de maître Étienne Louvel, et devient, par ordonnance signée par Louis XVI le 12 décembre de la même année, « conseiller commissaire receveur ancien alternatif et triennal des deniers des saisies réelles du Bailliage en Vicomté et autres juridictions de la ville de Valognes », c’est-à-dire huissier [4]. Selon Michaud, la clientèle, déjà mince, ne fait que diminuer entre les mains de Lecarpentier [5].

Un ardent révolutionnaire

Tandis que son père est signataire du cahier des doléances de Helleville, le 8 mars 1789, Jean-Baptiste Lecarpentier est désigné pour représenter la corporation des officiers de justice dans la rédaction de celui de Valognes, et est choisi par la commune d’Auderville comme délégué aux côtés d’Alexandre Picot. Il n’est pas en revanche envoyé à Coutances pour l’élection des députés du Tiers État. Il poursuit son activisme et signe le 22 juillet 1789 une lettre collective félicitant les représentants du Tiers-État [4]. La municipalité de Valognes crée lors d'une séance à l'hôtel de Ville le 24 juillet, une milice ouverte à ceux qui paient plus de dix livres de capitation. Lecarpentier est contraint à la démission le lendemain, probablement à cause d'un rôle primordial dans la contestation [7].

Il fonde le 27 juillet 1789 avec « deux ou trois autres huissiers, également sans clientèle, un avocat sans causes, nommé Vabeuf, un nommé Gamas [5] » (ou Verbeuf et Gamat [4]), la Société des Amis de la Constitution qui entend « régénérer Valognes » et dont il devient président [8]. Cette société est parmi les premières en Normandie, tendant à corriger l’image conservatrice donnée au « Versailles normand » [6].

Le 5 février 1790, les élections municipales portent Charles Sivard de Beaulieu à la fonction de maire, mais il est accusé d'avoir acheté les voix. Vabeuf et Buhot siègent au sein de la municipalité [7].

Membre du conseil général de Valognes, Lecarpentier ne jouit pas d’une excellente réputation auprès de ses concitoyens qui, en mai 1790, l’écartent du grade de lieutenant de la garde nationale auquel il prétend [2]. Jacques du Mesnildot est colonel, Sivard de Beaulieu lieutenant-colonel, et Gamas sous-lieutenant [7]. Il s’appuie alors sur ses Amis de la Convention pour obtenir un nouveau scrutin qui le nomme capitaine, avant être désigné chef de légion du district de Valognes [4] malgré l’opposition farouche de Sivard de Beaulieu et de l’archidiacre Gravé de la Rive [6].

Le 22 décembre 1791, il est, avec son frère, des patriotes valognais qui félicitent l’Assemblée nationale de sa fermeté vis-à-vis du Roi : « Vous avez applaudi aux intentions du Roi... salut aux intentions du Roi. Deux décrets que le Roi a sanctionnés ont été promulgués pour comprimer l’évasion des personnes, du numéraire, des vivres, des munitions : salut à la double sanction du Roi ! ». Le 24 juin 1792, les deux frères sont aussi parmi les signataires d’un appel à une répression implacable des prêtres réfractaires [4].

En juin 1792, il est élu 31e administrateur du département sur 36. Lors des élections à la Convention, ses amis de la Constitution, devenus puissants à Valognes, font campagne en sa faveur. Cependant, sa désignation, appuyée également par son parent Charles-François Buhot, ancien notaire, et officier municipal influent depuis février 1790, n’est pas facile [2]. À peine élu, le 7 septembre 1792 contre Le Fachet, le 7e représentant de la Manche sur 13, avec 425 voix sur 647 votants, Lecarpentier s’installe avec ses enfants, Marie-Françoise-Éléonore-Virginie, née le 14 août 1790, et Paul-Augustin, né le 30 décembre 1791, et sa femme, dans la Maison d’Antin à Paris, où loge également Pinel [4].

Dès la première séance de la Convention, le 21 septembre 1792, il s’installe sur les bancs de la Montagne, aux côtés de Robespierre, Danton, Marat et Hébert, et vote l’abolition de la royauté au profit de la République. Il est désigné pour siéger au comité des assignats et monnaies le 26 septembre, comme suppléant à la commission des domaines le 13 octobre, et membre du comité de législation le 15 [4]. Le procès de Louis XVI lui permet enfin d’exprimer sa haine de l’aristocratie. « Demander si Louis Capet est jugeable, déclare-t-il à la tribune de l’assemblée, c’est mettre en problème l’évidence, [...] c’est insulter à la raison et à la justice ! [2] ». Considérant que le roi s’est lui-même placé « sous le couteau de la loi » par ses actes, et ajoutant que « sa digne compagne, Antoinette, recevra aussi, il faut le croire, la punition qui lui est due » [4], il fait ajouter de nouveaux griefs à l’acte d’accusation, dont la fuite de Varennes, s’oppose à ce que les témoins de l’enlèvement des papiers de l’armoire de fer - et particulièrement Roland - soient entendus à la barre, et veut qu’on prononce la condamnation avant de décider la question de l’appel au peuple [5]. Au deuxième appel nominal, il déclare : « Je croirais servir les modérés, les endormeurs, les intrigants, les aristocrates, les royalistes ; je croirais manquer au devoir sacré de représentant du peuple ; enfin je trahirais les sentiments républicains qui m’animent, si j’hésitais un seul instant à prononcer non. » Au troisième appel, il ajoute : « Comme je n’écoute que la voix de l’impérissable justice, que le cri de ma conscience, je vote pour la mort de Louis Capet [8]. »

Première mission dans l’Ouest

Après la condamnation du souverain, la patrie est menacée par une coalition européenne. La Convention envoie des commissaires pour stimuler l’ardeur des patriotes et encourager les enrôlements [2].

Avec Maximilien Robespierre, Lecarpentier se rend auprès de la section parisienne de Popincourt le soir du 8 mars 1793, pour encourager les hommes à prendre les armes au sein de l’armée républicaine [4].

Le lendemain, il est envoyé avec Bourdon de l’Oise dans son département natal et dans l’Orne, pour y lever des volontaires prêts à défendre la patrie [9]. À Coutances, chef-lieu de département, le 18 mars, ils rencontrent une réponse favorable de la population. Trois bataillons de volontaires, dont 400 Saint-lois, sont immédiatement envoyés face aux Vendéens, mais l’organisation militaire à Saint-Malo, où arrivent les recrues pour l’incorporation, est inexistante. Rapidement, les enrôlements perdent de leur vigueur et Lecarpentier et Bourdon « emport[ent] avec eux la douceur du caractère des habitants et la tranquillité » de Coutances. À Valognes, les rangs grossissent peu, et la tentation de rejoindre les royalistes traverse plusieurs jeunes esprits. Aussi, quand les commissaires ont vent d’une séance de recrutement à Ozeville conclue par des « vive le Roi ! Au diable la Nation », ils font emprisonner le maire, les officiers municipaux, le procureur de la commune et le secrétaire greffier jusqu’à leur acquittement le 26 juin suivant, à l’exception de trois d’entre eux sur lesquels la Convention se réserve le droit de statuer, et dont on ignore le sort [4].

Arrivé à Valognes, Lecarpentier ne perd pas une seconde et prend immédiatement des dispositions rigoureuses contre les aristocrates et fait déporter au Cap-Vert de nombreux prêtres insermentés et religieuses [2], provoquant l’émoi d’une population y voyant un nouveau despotisme. En réponse à une bagarre au Mesnilbus prenant à partie le curé conventionnel Tristan Brision, Lecarpentier fait fermer l’église de la commune qui disparaît jusqu’en 1824, son territoire partagé entre les communes voisines. Il destitue le commissaire des guerres de Cherbourg, Benoît Rouhière, jugé trop proche du traître Dumouriez [4] et s’occupe de la protection des côtes face aux risques d’attaques britanniques [9].

Le 13 avril, il décrète la séquestration de tous les prêtres dans la Manche, l'Ille-et-Vilaine et les Côtes-du-Nord, conventionnels et réfractaires, sauf ceux ayant pris une femme ou s'engageant à le faire prestement. En mars 1794, 300 hommes d'Église sont détenus au Mont-Saint-Michel [4].

Rappelé le 30 avril, il retourne le 11 mai à Paris où il reste peu de temps. Aux côtés de Marat et de Robespierre, il parle à la séance du 23 juin 1793, où les Jacobins et les 48 sections de Paris viennent complimenter la Convention sur l’achèvement de la constitution. L’orateur de la députation ayant glissé dans son discours quelques conseils sur la nécessité de faire la guerre aux modérés, aux aristocrates, aux conspirateurs, etc., le Montagnard normand s’écrie : « L’orateur a raison, les mesures qu’on emploie sont insuffisantes. La Convention doit mettre hors la loi tous les administrateurs rebelles, et à autoriser tous les citoyens à courir sus comme sur des bêtes féroces ». Cette improvisation est accueillie avec des applaudissements de toute la salle et des tribunes. Lecarpentier peut dès lors surtout se considérer comme un personnage [5].

Le retour dans la Manche

Vox Populi ou Représentant du peuple aux armées, par Armand Le Véel (1846).

Après l’arrestation des Girondins, il est à nouveau envoyé dans l’Orne et des départements voisins, pour organiser la levée en masse décrétée le 23 août 1793 [9]. Selon le vicomte de Brachet, il négocie avec ses collègues Duroy, Bonnet et Robert Lindet à Caen, pour laisser l’Orne à Letourneur et se charger de la Manche, au mépris de la règle qui interdit les commissaires de missions dans leur département natal [4]. Pour Fernand Leboyer, indiquant que les ordres de mission ne sont fixés que par la Convention, c’est en faisant une halte à Caen en direction d’Alençon, que Lecarpentier apprend de Robert Lindet, délégué de la République à Caen, que Letourneur est nommé dans l’Orne, et qu’il lui échoit donc la Manche [6].

Le voici de retour à Coutances le 2 septembre 1793 [2]. Logé dans l’ancien évêché, il est accueilli par la garde nationale et le 8e bataillon du Calvados arrivé de Cherbourg. Alors que quelque temps auparavant, les commissaires de la Convention Prieur de la Marne et Lecointre ont été chassés par l’administration départementale, Lecarpentier choisit le soir même six sans-culottes parmi la Société populaire pour composer son conseil, et ne conserve que six des administrateurs du département au sein d’une commission administrative complétée par des patriotes reconnus pris dans chaque district, dont son cousin,le président du tribunal de Valognes Buhot, qu’il nomme procureur général syndic du département [4].

Pour célébrer ce retour à l’ordre, le représentant du Peuple organise une grande fête dans le jardin public où il apparaît en culotte en peau de daim jaune, bottes à revers, habit bleu à revers rouge, ceinturé par une écharpe tricolore et un baudrier de cuir noir portant le sabre, et chapeau rond avec trois plumes bleue, blanche et rouge. Un feu de joie réduit en cendres les ornements de la noblesse et de la royauté, ainsi que les délibérations de l’administration mise à pied. Après un goûter fraternel dans les salons de l’évêché, il passe en revue les troupes stationnées dans la ville [4].

Il poursuit ensuite l’épuration de l’administration. Dans le seul district de Coutances, cent quarante personnes sont arrêtées ou suspendues. Surtout, le conventionnel redouble d’acharnement contre les nobles, les parents d’émigrés et tous les « suspects ». Sa première victime est Marie-Charlotte Hébert de la Maillardère, épouse du comte Guillaume Kadot de Sébeville, capitaine de dragons émigré. Arrêtée le 4 septembre par le lieutenant de gendarmerie Jean-Baptiste Gautron sous le prétexte qu’elle a « dans le caractère quelque chose de hautain qui déplaît aux patriotes égalitaires », cette jolie femme de trente-sept ans a surtout le tort de refuser les avances de Lecarpentier qui l’envoie à la guillotine le 3 thermidor après lui avoir proposé le mariage [2]. Il s’attaque également au clergé, quoique Jean-Louis Ménard le dit « déiste [qui] combat l’athéisme » sans tomber dans les excès antireligieux [9]. Il exhorte les jeunes patriotes à s’engager, les hommes à forger les armes et à porter les vivres, les femmes et les enfants à participer aux efforts d’une défense de la République qu’il organise en réunissant dans chaque chef-lieu de canton tous les hommes,les chevaux et les subsistances disponibles [4].

Dans le département commencent à courir les rumeurs de despotisme du commissaire et de ses adjoints : Hervieu, nommé juge au tribunal du district de Valognes par Lecarpentier, Guillon, originaire de Cerisy, Longien, Le Cardronnel, Delalande, Brision et Lefebvre. Les prisons deviennent trop petites et on enferme les détenus au fort Colin (à l’emplacement de l’actuel lycée), à l’ancien hôtel Desplanques-Vautigny et au couvent des Jacobins [4].

Le 15 septembre, il quitte le chef-lieu de département pour Carentan où l’accueil des édiles lui déplaît, si bien qu’il nomme un nouveau receveur du district parmi son conseil de sans-culottes, l’ancien huissier Blanche à la réputation peu flatteuse. En deux jours passés dans la ville, il fait procéder à 122 arrestations [4].

Le 19 septembre au soir, il est à Cherbourg, port menacé par la flotte anglaise, ville à la population influencée par les fédéralistes concentrés dans le Calvados dont Wimpfen, général de l’armée des côtes de Cherbourg et membre de la Société populaire de la ville , a pris la tête, et lieu de départ supposé d’expéditions de grains pour les îles Anglo-Normandes et britanniques. Adjoint par un conseil de treize sans-culottes, présidé par Hèze, natif de Prétot, et parmi lequel on compte Pierre-Augustin Le Fourdrey, chef principal de la marine, et son père, Marin Lecarpentier, le commissaire raye de la Société populaire 130 de ses 300 membres, remplace tous les fonctionnaires, incarcère les nobles et les curés et les suspects qu’il expédie dans le nord, réclame une enquête au général Peyre contre les hussards rouges et blancs du 8e escadron et les soldats du 19e chasseurs à pied, accusés d’avoir crié en faveur du Roi et contre la République, à l’issue de plusieurs exactions dans la ville [4]. Il poursuit son inspection des défenses du port, et cherche à contenir les spéculations sur le blé.

Le comité du Salut public, inquiet de la bonne exécution de ses ordres, dépêche Garnier de Saintes pour seconder Lecarpentier, contre son gré. Le 25 septembre, ils assistent ensemble à la réunion de la Société populaire, en l’église de la Trinité, mais rapidement, leur incompatibilité d’humeur les pousse à se partager les missions. Lecarpentier part alors pour Valognes, cependant que les rues cherbourgeoises bruissent d’accusations de népotisme sur ses actions à Cherbourg, telle la nomination comme commissaire de la marine de Fossard, ivre la moitié de la journée, ou le remplacement de Jubé par Jean-Pierre Varin, conducteur géographe des ponts et chaussées.

Il fait arrêter tous les administrateurs adhérents ou suspectés de fédéralisme de Valognes où on ne compte bientôt, selon ses mots, plus un seul suspect en liberté [4]. Il continue à placer ses hommes, comme le fils de Buhot, adjudant auprès de Coffy, commandant temporaire de Valognes. Quand Brissot est traduit devant le Tribunal révolutionnaire, Lecarpentier dénonce Havin et Bonnesœur comme complices. Il délègue à Louis Genret, agent du comité, l’envoi des cloches des églises à la fonderie de Saint-Lô, qui de sa fondation le 21 avril 1793, à sa fermeture le 2 décembre 1794, reçoit 1 028 cloches provenant du département de la Manche, sans compter celles provenant du Calvados. Lui s’occupe de garantir les subsistances nécessaires aux troupes stationnées dans la région, et signe un arrêté pour répartir entre diverses communes de la Manche des grains arrivés par bateau à Cherbourg [4],

Le défenseur de Granville

Alerté par le représentant du peuple en Ille-et-Vilaine Pocholle, des mouvements des Vendéens sur Rennes, Lecarpentier place aussitôt à Valognes mille hommes du bataillon de la Côte-d’Or postés à Cherbourg, le bataillon de la Réunion défendant le fort de la Hougue et un détachement de hussards et de chasseurs, en vue de les envoyer dans le sud de la Manche. Les armes à feu réquisitionnées sont déposées dans les mairies pour équiper les troupes, la garde nationale de Valognes offrant ses fusils au 6e bataillon de la Manche. De son côté, Garnier de Saintes mobilise à Coutances 6 000 à 7 000 hommes mais seulement 200 fusils. À nouveau, les deux commissaires s’affrontent sur les manœuvres militaires à suivre [4].

La Convention cherche à écarter Lecarpentier en rappelant ses deux représentants dans l’Orne pour rejoindre l’armée qui doit marcher vers Avranches, mais il préfère rester sur place pour poursuivre la vérification de la défense du département, à Cherbourg et Saint-Vaast-la-Hougue [4].

Il est concerné par le rappel des commissaires du 13 brumaire an II (3 novembre 1793), mais voici que se précise la menace vendéenne dans le sud du département [2]. Revenu à Valognes alors que sont annoncées les défaites de Craon et Ernée, et que Letourneur est abandonné par les bataillons d’Argentan et Alençon, Lecarpentier fait grossir les troupes à la frontière bretonne par le bataillon de la Somme, les canonniers de la Croix-Rouge et de la section des Tuileries, affectés à la pointe du Val de Saire, puis par les gendarmes de Cherbourg, affaiblissant la protection de ce port que la Convention décrète avec Granville en état de siège par décret du 5 novembre. Tous les hommes de 18 à 22 ans des districts de Cherbourg, Valognes et Saint-Lô sont joints aux volontaires de Garnier pour combattre devant Avranches quand non loin les Vendéens emportent Vitré, Fougères et Alençon. Le Comité de Salut public charge Jeanbon Saint-André, en poste à Brest, de protéger Cherbourg, et rappelle à Lecarpentier qu’il est attendu dans l’Orne, pour épurer l’administration de Mortagne et dissoudre ses compagnies de grenadiers. Quand l’ordre arrive à Valognes, il est déjà en route pour Coutances où il arrive le 5 novembre avec Varin et Coffy [4].

Il n’envoie pas de troupes défendre Avranches et entre à Granville le 9, honoré par des salves des canons. Déjà, un comité de défense a été formé sous la présidence du maire Hugon-Latour, armé grâce au métal de toute sorte fourni par les communes environnantes, des hôpitaux ont été créés, un magasin de subsistance aménagé dans la nef de Notre-Dame où sont stockés « 12 000 fagots et 200 pièces de cidre ». De même, envoyé par Robespierre, Marc-Antoine Julien a éteint les tentations fédéralistes des édiles locaux, et exhorté la population à résister coûte que coûte aux attaques et sièges des ennemis de la Convention. Lecarpentier entre donc dans une place déjà en ordre de bataille. Il complète le comité de défense par des commissaires chargés de la répartition des vivres et des munitions, poursuit la collecte pour équiper les combattants et abriter les chevaux. Il arme tous les citoyens de 25 à 30 ans, fait du capitaine de grenadiers Finy le commandant du corps formé par les survivant du bataillon de la Côte-d’Or, et de Varin, le chef de l’armée, en remplacement de Peyre qui tarde. Il prend plusieurs arrêtés pour instaurer l’ordre dans la ville, et s’engage dans l’élaboration de stratégies militaires en lieu et place des généraux, ce qui émeut le Comité de Salut public [4].

Avranches, délaissé par les autorités locales et par Lecarpentier qui n’y affecte que trop tard les bataillons de la Somme et de l’Aunis, une compagnie de chasseurs à pied, vingt-cinq hussards et quatre canons, tombe aux mains des Vendéens. Pour éviter qu’on le lui reproche, il accuse la municipalité de trahison face à la rapidité de sa reddition. Il envisage de transporter les prêtres enfermés au Mont Saint-Michel à Saint-Malo, pour prévenir leur libération par une attaque anglaise, mais ne peut mener à bien ce projet [4].

Lecarpentier s’enferme dans la ville avec des renforts qui portent la garnison à 5 500 hommes [9]. Face à lui, 16 000 à 18 000 royalistes armés de 26 canons quittent Avranches le 14 novembre, pour s’emparer de la place. Lecarpentier prend la tête de trois bataillons qui, avec le général Peyre, le chef d’état-major Coffy, l’inspecteur général Varin et le commandant du génie Crublier, vont à la rencontre de l’ennemi, mais battent en retraite devant les royalistes, sacrifiant derrière eux une partie des troupes. Rentré dans l’enceinte de la cité, Lecarpentier est décrit par les témoignages d’époque comme absent des zones de luttes, contrairement à l’image de défenseur de la place qu’il se forge par la suite, comme dépassé ou effrayé par l’opiniâtreté des assiégeants tenus à distance par l’énergie des Granvillais [4]. Selon Michaud, il cherche à s’évader par le côté opposé à celui où les Vendéens donnent l’assaut, et il est ramené de force par une vingtaine de jeunes gens indignés de sa lâcheté. Après la levée du siège, Lecarpentier aurait fait rechercher ces jeunes gens afin de les soumettre à une commission militaire, pour avoir outragé un représentant du peuple en fonction, mais ils auraient échappé à ses poursuites [5].

"La mort du maire Clément Desmaison, Maurice Orange.

Lors du conseil de défense réuni au premier soir du siège, Lecarpentier ordonne d’incendier les faubourgs de la rue de Juifs et de l’Hôpital pour priver les Vendéens de tout abri. Le lendemain matin, à un homme qui l’incite à venir encourager les défenseurs de la batterie de l’Œuvre, il répond « Mon ami, je te fais capitaine : va les encourager toi-même ». En réaction, un officier municipal ceint de son écharpe tricolore, Clément-Desmaisons, décide de remplir cet office, et tombe sous les balles vendéennes. Cette scène de courage, mythifiée par Maurice Orange, permet de raviver les forces des combattants, et peu après, les Vendéens se retirent sur Avranches, stupéfiés semble-t-il par la détermination des Granvillais [4]. On dénombre 150 morts parmi les assiégés, 1500 chez les assiégeants [6].

« Que ni généraux ni député ne se glorifient de la belle défense de Granville, dit Perrin de Sainte-Eumélie, observateur du Comité de sureté générale. Cette ville ne doit son salut qu’à la bravoure du soldat et de l’habitant, qui n’écoutant que leur courage, sans commandement, ont envoyé balles, boulets et mitraille [4]. » Mais la victoire républicaine rejaillit sur l’aura du représentant en mission [4], bien que Lecarpentier écrive à la Convention tous les mérites qui reviennent aux combattants, les généraux comme Peyre, aussi bien que les simples Granvillais [6]. Impressionné, le Comité de Salut public, qui jugeait le 15 novembre que Lecarpentier et Garnier « ne montraient pas assez d’énergie, étaient toujours trembleurs sur les mesures, douteurs sur les succès, et que leur présence avait été trop peu active, trop peu efficace pour qu’on pût espérer quelque chose de leur séjour prolongé dans ce pays là », laisse désormais au premier les mains libres. Il fait fusiller treize prisonniers de l’armée catholique et royale et installer à Granville la guillotine qui tranche trente-neuf têtes [2]. Il fait démettre le général Peyre pour alcoolisme, remplacé à la tête de l’armée des côtes de Cherbourg par Varin, et réduit la garnison de Granville alors que la menace vendéenne existe encore [4].

Mission à Saint-Malo et en Ille-et-Vilaine

Le comité envoie Lecarpentier à Saint-Malo, menacé par les Britanniques et les Vendéens, où il arrive le 25 frimaire an II (15 décembre 1793). Entouré des sans-culottes Béchet, Crossey, Cherruel et Charles Moulin, qui s’installe à la tête de la municipalité, dans une région désormais globalement sécurisée, Lecarpentier entame l’épuration de la ville, emprisonnant aristocrates, armateurs, commerçants, prêtres et fédéralistes. Il dissout et recompose entièrement la société populaire de la ville, tout en gardant un œil sur les arrestations et condamnations des ennemis du peuple dans la Manche.

La Convention rappelle progressivement les deux tiers de ses représentants. Lecarpentier est des 58 qui poursuivent l’application de la Terreur en régions [9], tandis que Bouret et Frémanger sont envoyés dans la Manche comme députés plénipotentiaires. Demeuré à Saint-Malo, il constitue un tribunal d’exception qui, en cinq mois, à partir de janvier 1794, condamne à mort une centaine de Vendéens, de femmes jugées complices, et de prêtres réfractaires, guillotinés sur la place Saint-Thomas ou fusillés sur la grève du Talard. Il est appelé à Dinan pour arrêter une quarantaine de femmes, et en profite pour suspendre le président du district Néel de Lavigne, ainsi que les membres de l’administration et du tribunal, faire incarcérer les commissaires du comité exécutif Corbigny et Gouverneur, tentant de s’opposer à ses actions, et autoriser l’élévation d’une guillotine dans la ville [4].

N’étant pas sans ennemis à Paris, Lecarpentier est accusé d’avoir trempé dans le complot hébertiste, ce dont il se défend auprès de la Convention avant de demander la fin de sa mission et son retour dans la capitale pour se reposer. Il ne se rend ni à Saint-Brieuc ni dans le Morbihan où on l’appelle, mais poursuit son action dans l’Ille-et-Vilaine et la Manche. Dans ces deux départements, ainsi que dans les Côtes-du-Nord, il décrète la récupération de tout le fer, puis tout le plomb, dans les églises, lieux publics, maisons, afin de fondre des canons [4].

Le 8 mai, les commissions et tribunaux militaires établis par les commissaires dans les départements sont supprimés par la Convention. Mais les tribunaux révolutionnaires demeurent et le 28, trente accusés, parmi lesquels douze femmes, sont envoyés à Paris pour faits d’aristocratie et de fédéralisme. Placés à la Conciergerie par Fouquier-Tinville, ils sont jugés le 25 juin et tous exécutés le lendemain à l’exception d’un acquitté [4].

Le « bourreau de la Manche »

Au terme de son séjour à Saint-Malo, celui qu’on surnomme maintenant le « nouveau sultan » ou le « proconsul » revient en juin 1794 dans la Manche où croît l’agitation religieuse. Perquisitions et arrestations reprennent de plus belle. Débutent ensuite les « fournées de la Manche ». La première est celle de Coutances, où Lecarpentier est de retour le 9 messidor. Vingt-trois « suspects » sont envoyés à Paris devant le Tribunal révolutionnaire qui en fait guillotiner dix-neuf. De passage à Carentan, il envoie 33 prévenus détenus au château de Sainte-Marie-du-Mont au Tribunal révolutionnaire. En tout des dizaines de personnes promises à la mort mais qui seront sauvées par le 9 Thermidor [2]. Il fait également juger, le 2 juillet, les participants à la messe nocturne célébrée par le curé réfractaire de Granville, Sorin de Lepesse, à Gonfreville, mais n’obtient aucun nom de suspects granvillais à guillotiner de la part des autorités municipales.

Arrivé à Valognes avec son épouse le 7 juillet, Lecarpentier s’installe dans l’hôtel du marquis d’Ourville, qui est déjà en prison. Dès le lendemain, il ordonne l’arrestation de tous les notables, puis de tous les bourgeois suspects. La prison étant alors trop petite pour contenir tous ceux que le représentant y entasse journellement, il ordonne que l’on utilise l’hôtel de Chiffrevast, l’un des plus beaux de la ville, qui ne tarde pas à être rempli de la cave au grenier [5].

Pourtant, de temps à autre, Lecarpentier dirige des prisonniers sur Paris. Dans une lettre datée du 25 messidor an II (13 juillet 1794), il écrit au président de la Convention : « Encore des têtes, encore de nouveaux détenus dans la maison d’arrêt ! Encore d’anciens détenus prêts à suivre les autres au tribunal révolutionnaire ! et que le vain espoir de ses ennemis tombe au dernier degré [5] ».

Lecarpentier, après avoir annoncé ce nouvel envoi, se met en mesure de tenir sa promesse. À peine a-t-il cacheté sa lettre que l’ordre est donné de préparer des chaises de poste en quantité suffisante pour que ses victimes arrivent à temps afin de ne pas manquer l’échafaud. Il semble pressentir le 9 thermidor et qu’il n’y a pas une minute à perdre. Mais on ne trouve qu’une seule chaise de poste en état de servir. Lecarpentier réquisitionne un nombre de charrettes suffisant pour compléter son envoi.

Selon la légende (cet épisode est entièrement faux), parmi tous les nobles incarcérés, on distingue particulièrement le marquis de Chiffrevast. Ce vieillard, plus qu’octogénaire, objet de la vénération de tous ses compagnons d’infortune, est en tête de la liste. Lorsque les charrettes et l’unique chaise de poste sont amenées devant la prison, tous les prisonniers désignés pour partir, pleins de déférence pour le rang, les vertus et l’âge du marquis de Chiffrevast déclarent que la chaise de poste serait pour lui seul, et qu’ils feraient le voyage en charrette. M. de Chiffrevast part donc seul et c’est ce qui fera sa perte. Il arrive à Paris dans les premiers jours de thermidor, est traduit devant le conseil révolutionnaire le lendemain de son arrivée et est envoyé à l’échafaud. Ce sera la dernière victime de Lecarpentier.

Résumons :

  • Premièrement Guillaume René d'Anneville n'a de marquis que le surnom, c'est le dictionnaire de la noblesse qui nous l'apprend [10].
  • Deuxièmement, le marquis en question est mort en 1790 dans son lit à Tamerville « muni des sacrements », et il est paisiblement enterré dans le cimetière paroissial [11].
  • Troisièmement : il y a bien un d'Anneville décapité à Paris en 1794 à l'âge de 42 ans, mais c'est le fils du soi-disant marquis : François Henri d'Anneville, surnommé « le comte de Chiffrevast ». Il n'est pas plus comte que son père n'était marquis, mais peu importe.
  • Cette légende sort d'un ouvrage titré « Souvenirs thermidoriens », pamphlet contre-révolutionnaire publié en 1844 [12].

Reprenons :

Les charrettes n’arrivent à Paris que le 11 thermidor (29 juillet 1794), dans la matinée; ce retard les sauvera [5]. Mme du Menildot, elle, ne supportera pas l’incarcération et meurt en prison à Paris avant d’être relâchée [4]. De passage à Cherbourg, il envoie neuf prévenus à Paris, dont Henri-Jacques du Moncel, mais qui arrivent eux aussi après la chute de Robespierre. Seul Jean-Baptiste Augustin Babou de Querqueville n’en réchappe pas, mourant de frayeur en passant devant le Tribunal révolutionnaire.

Il séjourne deux jours à Avranches, dans l’hôtel de Chevallier de la Martre sur la route de Bretagne (auj. rue de la Constitution). Il fait venir le tribunal criminel du département dans l’ancienne chapelle du collège et élever la guillotine sur la promenade entre la porte de Ponts et le château. Sous la présidence de Charles-François Loisel, le tribunal fait exécuter sept accusés le 24 juillet, et le consul fait comparaître le lendemain huit réfractaires exécutés le soir même. Les trente-deux prévenus envoyés à Fouquier-Tinville sont également libérés après un séjour à la prison du faubourg Saint-Jacques [4].

Il retrouve Saint-Malo, dont il destine cinquante-deux citoyens au tribunal révolutionnaire [4]. Au retour d’une inspection des travaux d’assèchement des marais près de Dol et Pontorson, le 10 thermidor, il apprend la chute de Robespierre [6]. Parmi les derniers représentants de la Convention en mission au printemps 1794, il est rappelé par le Comité de salut public le 19 thermidor (6 août 1794), et revient à Paris le 2 fructidor (19 août) [9] en passant par Villedieu. À l’issue de sa mission, il aurait fait arrêter 1 163 personnes [4].

La chute

Il revient siéger à l’Assemblée, intervenant parfois encore mais sans l’importance qu’il avait aux premières heures de la République. La fin de règne de la Montagne entraîne la chute du « bourreau de la Manche ». Les accusations contre lui affluent sur le bureau de la Convention. On crie justice contre ce « proconsul féroce qui fait ses délices des maux du peuple », contre ce « buveur de sang français » [2]. Le 19 pluviôse an III (7 février 1795), le représentant Legot écrit à la Convention depuis Avranches : « Lorsque je suis arrivé dans le département de la Manche, je l’ai trouvé sous le joug de la Terreur. Les partisans de Robespierre y dominaient et tenaient leurs concitoyens dans le plus affreux esclavage ; tout le monde y était dans la stupeur et la plus profonde consternation. » [4]. Le 23 avril 1795, des délégations viennent déposer contre lui à la barre de la Convention. Celle de Saint-Malo raconte ses fantaisies sadiques. Après avoir envoyé cinquante suspects à Paris, n’avait-il pas organisé un bal en présence des parents des victimes ? Pluquet écrira un siècle et demi plus tard : « En lisant les proclamations et les discours de Le Carpentier, il est facile d’acquérir la conviction qu’il était un de ces révolutionnaires que l’on appelle à notre époque des fous furieux. Mais, pour être impartial, il faut dire que ce n’était pas un malhonnête homme : il est sorti pauvre de la Convention ; et après avoir été le dictateur de quatre départements, il est mort dans la misère » [4].

Le 20 mai 1795, dans le désordre de la journée du 1er prairial de l’an III, une voix anonyme s’élève sur les bancs de la Convention : « Je demande le décret d’arrestation contre Lecarpentier, le bourreau de la Manche. » Sans avoir pu protester à la tribune, il est arrêté et condamné sur-le-champ à la déportation comme complice de l’insurrection. Emprisonné au château du Taureau, sur une petite île au large de Morlaix (Finistère), au terme d’une semaine de trajet en charrette, il n’est pas renvoyé à Paris cinq jours plus tard avec les autres députés incarcérés sur l’île, Bourbotte, Du Roy, Duquesnoy, Goujon, Romme et Soubrany [2]. Eux, écroués à la Maison des Quatre-Nations , sont traduits le lendemain devant un tribunal militaire à Paris, et condamnés à mort [4], devenant les « martyrs de prairial » [9]. Lui, est rapidement transféré au château de Brest [9], le 1er juillet, et bénéficie de l’amnistie générale décrétée après le 13 Vendémiaire (5 octobre 1795) et la naissance du Directoire [2]. La raison qui l’a fait échapper au sort des autres députés demeure inconnue, peut-être le résultat de relations encore influentes [9].

Il reprend sa charge d’huissier à Valognes [2], où il devient un objet d’horreur pour tous les habitants. Il ne voit plus que ses anciens amis, Vabeuf, Cama, etc., mais ne semble pas se désintéresser entièrement des activités politiques. En 1809, il se fait inscrire sur le tableau des avocats, mais en est rapidement rayé [5]. Sa demande d’intégrer la police de l’Empire n’a pas de suite [4].

La clandestinité et la prison

Acte de décès.

Oublié, il n’est pas inquiété sous la première restauration; mais, ayant accepté l’acte additionnel pendant les Cent-Jours, le 29 avril 1815 aux greffes du tribunal de Valognes, il est exilé après le second retour de Louis XVIII, en vertu de la loi du 12 janvier 1816 sur les régicides [5]. Dès le 19, il demande à la préfecture de la Manche des passeports pour s’y conformer en gagnant la Grande-Bretagne avec l’un de ses fils, ce qu’il obtient le premier jour de février. Afin d’éviter les représailles populaires, il aurait reçu ces papiers de nuit, des mains de Pezet, second du sous-préfet de Valognes, qui se serait ainsi acquitté de la dette de son père, sauvé de la guillotine par le conventionnel [4]. Le 14 février, il embarque à Cherbourg pour Portsmouth (Angleterre) à bord de l’Ami-du-Commerce, commandé par Jean-Baptiste Le Magnen, mais une tempête détourne son bateau sur Guernesey [13] ou d’anciens Malouins et Saint-Sevrannais le prennent à partie. Après un séjour en prison dans l’attente d’instructions de Londres, il décide de rentrer clandestinement en France à bord de l’Argus [2].

Il débarque le 11 mars 1816 à Diélette [14]. Aussitôt emprisonné au Petit Château de Flamanville, il s'échappe avec l'aide de son gardien, le gendarme Gauvin [14]. Traqué, il se cache durant trois ans dans l’arrondissement de Valognes et parvient à plusieurs reprises à contrer les tentatives d’arrestation grâce à ses amis. Durant cette traque, il fait l’école aux enfants des environs. Il n’est arrêté que le 6 novembre 1819, avec son fils Prosper, à Teurthéville-Hague. Écroué à Cherbourg, il bénéficie d’un article de soutien dans le journal d’opposition Le Conventionnel vantant « les vertus, la bienfaisance, l’intégrité de ce misérable ». Les autorités départementales et gouvernementales, embarrassées par ce prisonnier encombrant, hésitent entre un autre bannissement pouvant à nouveau être rompu et une déportation qui porterait le flanc aux attaques des opposants. Traduit devant la cour d'assises de la Manche pour avoir voté la mort de Louis XVI, accepté l’acte additionnel et rompu son exil, son pourvoi en cassation contre l’arrêté rejeté, il passe à la première session du 6 mars sous la présidence de M. Hubert, conseiller à la Cour de Caen, et devant un jury choisi avec soin pour leur modération [4].

Il se défend lui-même avec énergie, et, sur la question du président, s’il avait voté la mort de Louis XVI, il répond qu’il a été entraîné par les circonstances [5]. Condamné à la déportation le 15 mars, peine confirmée début mai par la Cour de cassation de Paris, Lecarpentier est enfermé le 6 novembre dans les geôles du Mont-Saint-Michel [4], dont l’aumônier le ramène aux sentiments religieux. Il sert la messe tous les jours et enseigne la grammaire, l’orthographe et le catéchisme aux enfants du Mont jusqu’à sa mort, en 1829 [2]. Pourtant, le registre des décès du Mont-Saint-Michel indique : « Comme il n’a pu donner avant de mourir aucun signe de repentir, il est mort sans sacrements ; il a été enterré civilement. On a cru devoir, avant de livrer aux vers la hideuse dépouille de ce monstre, lui couper la tête pour l’étudier d’après le système de Gall [9]. » Fulgence Girard décrit cette tête, conservée dans l’ancienne pharmacie des moines. Son corps aurait été enterré à Ardevon.

Bibliographie

  • Jean Pouessel, « Le retour de Le Carpentier à Valognes », Revue du département de la Manche, n° 131, 1991.
  • Fernand Leboyer , Jean-Baptiste Lecarpentier, conventionnel de la Manche. Vainqueur du siège de Granville en 1793, éd. Isoète, 1995.
  • Jean-Louis Ménard, Jean-Baptiste Lecarpentier, représentant du peuple délégué par la Convention nationale dans le département de la Manche et autres environnants, éd. des Champs, 2001.

Hommage

Notes et références

  1. Acte de décès n° 08.
  2. 2,00 2,01 2,02 2,03 2,04 2,05 2,06 2,07 2,08 2,09 2,10 2,11 2,12 2,13 2,14 2,15 2,16 2,17 et 2,18 René Gautier (dir.), Dictionnaire des personnages remarquables de la Manche, tome 1, éd. Eurocibles, Marigny.
  3. Parmi les 19 familles les plus riches de la commune sur 81.
  4. 4,00 4,01 4,02 4,03 4,04 4,05 4,06 4,07 4,08 4,09 4,10 4,11 4,12 4,13 4,14 4,15 4,16 4,17 4,18 4,19 4,20 4,21 4,22 4,23 4,24 4,25 4,26 4,27 4,28 4,29 4,30 4,31 4,32 4,33 4,34 4,35 4,36 4,37 4,38 4,39 4,40 4,41 4,42 4,43 4,44 4,45 4,46 4,47 et 4,48 Arsène de Brachet, « Le conventionnel Jean-Baptiste Le Carpentier », Le Pays de Granville, 1910, p. 77-248 (lire en ligne), réédité chez Perrin, 1912.
    (Cette biographie, jugée peu favorable au conventionnel par Fernand Leboyer est l'une des rares publications qui traitent de l’homme en profondeur).
  5. 5,00 5,01 5,02 5,03 5,04 5,05 5,06 5,07 5,08 5,09 5,10 et 5,11 Louis-Gabriel Michaud, Biographie universelle ancienne et moderne, volume 23, 1854.
  6. 6,0 6,1 6,2 6,3 6,4 6,5 et 6,6 Fernand Leboyer, Jean-Baptiste Lecarpentier, Conventionnel de la Manche, vainqueur du siège de Granville en 1793, éd. Isoète, 1995.
  7. 7,0 7,1 et 7,2 Jean-Louis Ménard, Jean-Baptiste Lecarpentier, représentant du peuple délégué par la Convention nationale dans le département de la Manche et autres environnants, éditions des Champs, 2001.
  8. 8,0 et 8,1 Dictionnaire des parlementaires.
  9. 9,00 9,01 9,02 9,03 9,04 9,05 9,06 9,07 9,08 9,09 et 9,10 Michel Biard, « Jean-Baptiste Lecarpentier, représentant du peuple délégué par la Convention nationale dans le département de la Manche et autres environnants », Annales historiques de la Révolution française, n° 328, avril-juin 2002 (lire en ligne).
  10. Aubert de La Chesnaye Des Bois, François-Alexandre - Badier, Jacques, Dictionnaire de la noblesse : contenant les généalogies, l'histoire et la chronologie des familles nobles de France, tome 1, Paris, 1863-1876, Paris (lire en ligne). Les appellations « marquis » et « comte » appliquées aux d'Anneville sont seulement des surnoms.
  11. Inhumation : Archives de la Manche ­— (BMS) Tamerville 1783-1792 (E9) — Vue : 207
  12. Georges Louis Jacques Duval, Souvenirs thermidoriens, Paris,1844 (lire en ligne).
  13. Michaud parle de Jersey.
  14. 14,0 et 14,1 Claude Pithois, « Le port de Diélette », Vikland, n° 1, automne 1975.

Articles connexes

Lien externe