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L'Italie et la Manche

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Carte de l'Italie.
Drapeau national.

La Manche a des relations historiques avec l'Italie.

Histoire

L'invasion romaine

Comme le reste de la Gaule, le territoire actuel de la Manche a été intégré par l'Empire romain, suite à la victoire des troupes de Quintus Titurius Sabinus en 56 avant Jésus-Christ. Les amphores vinaires retrouvées à Coutances et Urville-Nacqueville, comme les fines céramiques d’Arezzo à Coutances, témoignent d'une relation commerciale entre les côtes normandes et le siège de l'Empire. Le nom de Coutances, Constancia en, pourrait provenir de celui de l'empereur Constance Chlore, qui aurait, sans preuve historique formelle, fait fortifier au cours de son règne la ville vers 305-306. Cette époque gallo-romaine conserve quelques traces architecturales comme les thermes gallo-romains d'Alauna et surtout dans les noms de lieux.

L'Italie et la Sicile normandes

Robert Guiscard et Roger le grand comte.

L'Italie du Centre et du Sud au début du 11e siècle est tiraillée entre l'Empire byzantin en perte de puissance, les musulmans maitres de la Sicile, les princes lombards (Bénévent, Salerne, Capoue, Naples, Amalfi et Gaète) divisés et jaloux de leur indépendance, et la papauté, en quête d'autorité [1]. Haut lieu de pèlerinage (tombeau de Pierre et Paul à Rome, abbaye bénédictine du Mont-Cassin, reliques de saint Nicolas à Bari, celles de saint Michel au Mont-Gargan) et point de passage vers la Terre sainte (Bari et Brindisi), l'Italie est aussi un lieu d'exil pour des Normands bannis temporairement ou définitivement par le duc, tels Osmond Drengot et ses frères [2], ou plus tard (vers 1055) Guillaume Gerlenc, comte de Mortain[3], Arnaud et Robert II de Grandmesnil [4], et leur cousin Guillaume de Montreuil[5], [6]. On trouve également un Gautier de Canisy auprès des neveux de Mel de Bari dotés de la terre de Comino par l'empereur Henri II en 1022, et un Roger de Montbray en lien avec les Chiaramonte en novembre 1088[6]… Selon Jean Deuve, « il n'est guère de famille normande qui n'ait un de ses membres en Italie »[7]

Bénéficiant de la réputation des mercenaires normands[8], plusieurs membres de la famille de Hauteville, fils de Tancrède de Hauteville, combattent pour les princes locaux puis avec 300 Normands au sein de l'armée général byzantin Georges Maniakès, pour reconquérir la Sicile sur les musulmans, entre 1038 et 1040. N'y trouvant pas leur comptes, ils décident de revenir en Italie et poursuivent leur apprentissage des luttes entre les princes locaux et des enjeux politiques. Ils mettent ensuite à profit cette connaissance fine pour appuyer l'aspiration des cités lombardes à se libérer des Byzantins et à en prendre le pouvoir, sous l'égide de Guillaume Bras-de-Fer, puis de ses frères Drogon et Onfroi. La violence des Normands et leurs ambitions territoriales commencent à effrayer populations et puissances locales, mais la victoire de Civitate, le 17 juin 1052, quand la cavalerie normande écrase l'armée levée par le pape Léon IX auprès des Italiens, des Grecs et des Allemands, marque la domination des Hauteville et de leurs compatriotes sur l'Italie méridionale [9]. La supériorité des Normands paraît provenir de leur puissante cavalerie, lancée au galop contre les ennemis, forme de combat nouvelle en Italie, et de leur armement, cotte de mailles, bouclier et surtout lance, utilisée comme arme de jet, arme d'estoc pour désarçonner et arme de corps à corps, alors que les Allemands, également dotés de chevaux, préfèrent l'épée[6].

Onfroi et Robert Guiscard poursuivent leur expansion vers le nord, avec la principauté de Bénévent, et le sud avec Reggio dont la chute marque la domination totale des Normands en Calabre[9]. Les alliances se renversent, la papauté se tournant vers les Normands contre l'Empire germanique[9], et Robert Giscard est sacré duc d'Apulie et de Calabre en 1059 [10]. Il missionne son frère, Roger, pour conquérir la Sicile[11], aux mains des musulmans (Aghlabides, calife fatimide de Kairouan, puis émirat indépendant) depuis plus deux siècles [10]. Grâce aux divisions entre les émirs de l'île[11], les cités tombent une à une : Cerami en 1063, Misilmeri en 1068[9], Palerme, la capitale, le 10 janvier 1072, Syracuse en 1086[11], Noto, dernière forteresse arabe, en 1091[9]. À la tête de toute l'Italie du sud et d'une grande partie de la Sicile, fort d'une flotte composée d'anciens navires et marins grecs et arabes, Robert et Roger deviennent les égaux en puissance des vieux empires byzantins et germaniques[9]. Malgré leur concurrence, voire leur hostilité entre 1058 et 1060, les deux frères évitent la confrontation et se partagent les conquêtes : à l'aîné l’Italie méridionale, au cadet la Sicile, dont Robert est duc sans exercer réellement le pouvoir au profit du grand-comte Roger [1]. Et tandis que Robert échoue à faire tomber l'empire byzantin en Grèce, et y perd la vie, Roger maintient la domination normande sur l'Italie et se construit un futur royaume [9]. Le pape Urbain II nomme à Roger en 1098, légat apostolique, lui donnant ainsi toute autorité sur le clergé de Sicile et de Calabre. Le comte meurt trois ans plus tard [11], laissant à son fils le soin d'unifier les possessions normandes en Italie.

Eric Barré voit dans les relations conflictuelles entre Léon IX et les Normands d'Italie, puis dans l'alliance de Nicolas II avec les Hauteville, une des raisons du refus par les premier du mariage de Guillaume de Normandie et de Mathilde, et de la validation de cette union par le second dix ans plus tard[6]. La Normandie n'oublie pas ses enfants, et Geoffroi de Montbray, évêque de Coutances à partir de 1049, part dans les Pouilles pour obtenir des Hauteville de quoi financer l'édification de la cathédrale qui est achevée en 1056 et sur laquelle trône en reconnaissance les statues de Tancrède et ses fils [12].

Le duché d'Apulie est dirigé par le fils, Roger, puis le petit-fils, Guillaume, de Robert Guiscard. Capoue a pour prince les descendants de Jourdain Ier, fils de Richard Drengot et d'une fille de Tancrède de Hauteville. Le jeune fils de Bohémond, fils de Guiscard, hérite en 1111 de Tarente. La Sicile est dirigée par la régente, en attente de la majorité du fils du comte Roger. Comte de Sicile comme son père à partir de 1105, Roger II profite de la mort sans postérité de Guillaume d'Apulie, en 1127, pour devenir duc des Pouilles et comte de Calabre, malgré l'hostilité des barons normands et du pape Honorius II [13]. Puis, il se fait couronner roi de l'île en 1130 avec l'accord de l'antipape Anaclet II. Il organise en 1140 l'assemblée d'Ariano, premières assises de l'île d'où naissent les premières lois régissant le royaume. Les conquêtes de l'émir melkite Georges d'Antioche ajoutent les côtes d'Ifriqya (Tunisie) au royaume. En 1154, l'année de la mort du souverain, le géographe musulman al-Idrīsī lui consacre le Livre de Roger avec un planisphère d’argent massif pesant 450 livres conçu par Roger II.

Son fils et successeur, Guillaume Ier se fait bâtisseur et instaure un pouvoir plus autoritaire jusqu'à sa mort en 1166 laissant place à Guillaume II, encore mineur. L'île se fracture autour de la succession. Le règle de Guillaume II, avec des conseillers arabes, grecs et anglais, qui commence réellement en 1171, lui vaut le titre de Guillaume le Bon en Sicile, mais fatigue le royaume dans la tentative de conquête de Constantinople [14] [1]. À sa mort en 1189, la maison de Souabe hérite de l'île. Frédéric II de Hohenstaufen, empereur du Saint Empire romain germanique, fils d'Henri VI et de Constance, fille de Roger II, accède au trône de Sicile en 1197 et souhaitant renouer avec l’œuvre de ses ancêtres normands. Il fait les croisades et se couronne roi de Jérusalem le 18 février 1229. Il meurt en 1250, son bâtard, Manfred, hérite du trône de Sicile mais meurt en 1266, laissant le titre à Conradin de Souabe, neveu de Manfred, qui meurt deux ans plus tard, marquant la fin de la lignée normande des rois de Sicile avec l’avènement de Charles d'Anjou, appuyé par le pape.

Le Grand comte et ses descendants pacifient la Sicile et lui rendent la prospérité. Afin d'unifier la Sicile, les rois normands adoptent une politique tolérante et libérale, un mode de vie oriental, inspirés par l'empire romain de Byzance, créant à Palerme et dans les principales cités siciliennes, une culture arabo-normande[10]. Ils savent également utiliser les différentes communautés selon les occasions, embauchant par exemple les mercenaires musulmans pour attaquer les populations chrétiennes et les armées pontificales [13]. Ils tirent partie des cultures méditerranéennes traditionnelles, mais aussi de plantes récemment introduites par les Musulmans comme le henné, la canne à sucre et le coton, et des techniques agricoles arabes. Le luxe et les échanges commerciaux de Palerme et Messine enrichissent l'île et sa population, réunie par un pouvoir royal fort et dans la coexistence des communautés religieuses et culturelles. Rivale de Byzance, la cour de Palerme est également un havre intellectuel et artistique ouvert aux scientifiques, poètes, orateurs, géographes, ingénieurs et astrologues, parlant français, grec, latin, arabe et sicilien. Les églises se dressent dans un style roman, basiliques à trois nefs terminées par des absides, aux porches flanqués de tours puissantes et aux chevets à arcatures imbriquées, mais aussi aux coupoles orientales et byzantines, aux mosaïques dorées et au Christ Pantocrator, aux arcs outrepassés, trilobés, polylobés ou entrelacés arabes, aux plafonds de bois en alvéoles et aux décorations de l'art musulman. « Sainte-Sophie et la mosquée d’Omar s’associant à Saint-Étienne de Caen : voilà ce que la Sicile du XIIe siècle a rêvé et réalisé », écrit Charles Diehl en 1907, dans Palerme et Syracuse [1].

L'épopée des Normands en Sicile garde une place importante dans la culture populaire sicilienne, notamment à travers les décors des charrettes traditionnelles et dans le théâtre de marionnettes dit « Opera dei Pupi », inscrit par l'Unesco au patrimoine culturel immatériel de l’humanité. De nombreux emprunts lexicaux normands ont alimentés les dialectes siciliens et du Mezzogiorno [15].

voir aussi le Musée Tancrède à Hauteville-la-Guichard

Le monachisme

À la même époque, des clercs italiens du Nord développent l'influence intellectuelle des monastères normands, dans le sillon de Guillaume de Volpiano, invité par Richard II de Normandie pour prendre la direction de l'abbaye de Fécamp et prendre sous sa coupe d'autres sanctuaires du duché, comme le Mont-Saint-Michel [16]. Ainsi, ses disciples redonnent une vie monastique à l'abbaye du Mont-Saint-Michel vers 1027, parmi lesquels Suppo (1033-1048), dont l'administration permet le développement des richesses matérielles et intellectuelles de la communauté. Sa présence au Mont attire dans l'Avranchin des compatriotes comme Anastase le Vénitien, qui se fait moine, mais aussi Lanfranc, futur prieur du Bec, puis archevêque de Cantorbéry, qui enseigne à l'école épiscopale d'Avranches entre 1039 en 1042, et Anselme d'Aoste, lui-même prieur et abbé du Bec puis archevêque de Cantorbéry, saint et docteur de l'Église, qui séjourne à Avranches en 1058 [16]. L'Italien Michel devient en 1068 évêque d'Avranches [16].

Les échanges religieux se poursuivront durant les siècles suivants, à l'image de Pandolphe de Malatesta, nommé évêque de Coutances en 1418.

Périodes moderne et contemporaine

Le roi Victor-Emmanuel III vient en visite officielle à Cherbourg avec sa femme, le 16 novembre 1903.

À cette époque, la Basse-Normandie connaît une première vague d'immigration italienne jusqu'à la Première Guerre mondiale. En 1911, les Italiens représentent 20 % des étrangers du département, un taux double de celui du Calvados et de l'Orne. Une nouvelle vague durant l'entre-deux-guerres, portée par les besoins de main d’œuvres, triple le nombre d'étrangers dans la Manche en 1921, dont les Italiens représentent un tiers (1245 en 1931), soit la première communauté étrangère du département. La crise des années 1930 fait baisser le nombre d'étrangers, sans changer la part des Italiens dans cette population. Avec l'annonce de la guerre, certains rentrent en Italie, d'autres s'engagent dans l'armée française s'ils ont été naturalisés ou dans la Légion étrangère. À la Libération, l'immigration reprend puisque dès 1946, des accords entre Paris et Rome sont conclus.

Vue du Colisée et de l'arc de Constantin par Giovanni Paolo Pannini au Musée Thomas-Henryà Cherbourg.

Toponymes

Jumelages et coopération

Culture

Économie

Des fondateurs d'entreprises manchoises sont issus de l'immigration italienne au 20e siècle :

Bibliographie

Revue de la Manche, n° 237.
  • Baron de Brix, « La Manche et l'Italie », Revue de l'Avranchin, 1941.
  • Ferdinand Chalandon, Histoire de la domination normande en Italie et en Sicile, 1907.
  • « Un Normand prisonnier en 1810 des bandits de la Calabre », Revue de l'Avranchin et du Pays de Granville, n° 250, mars 1967 et n° 251, juin 1967.
  • Jean-Marie Martin, Italies normandes (XIe-XIIe siècles), éd. Hachette, 1994.
  • Mariella Colin, L'immigration italienne en Normandie de la Troisième République à nos jours : de la différence à la transparence, Cahier des Annales de Normandie, n° 28, 1998 (lire en ligne).
  • Mariella Colin et François Neveux (dir.), Les Italiens en Normandie, de l'étranger à l'immigré, Les Colloques de Cerisy, Cahiers des Annales de Normandie, n°29, 2000 (lire en ligne).
  • Pierre Bouet, « Les Normands en Sicile », Bulletin de la Société historique et archéologique de lOrne, t. CXX, n° 1-2, mars-juin 2001, p. 61-91.
  • « Les Normands en Méditerranée », Dossiers Archéologie, n° 299, déc. 2004-janv. 2005 (lire en ligne).
  • Claude Blanluet, « Les Normands en Italie du Sud », conférence donnée à Louviers (Eure), 3 décembre 2005 (lire en ligne).
  • Jean-Louis Lebrun et Julien Lebrun, À la conquête de la Sicile, et La Maison Hauteville, éd. Les Chiens rouges, Anneville-sur-Mer, 2010.
  • Les Normands en Méditerranée, Revue de la Manche, n° spécial, fasc.237, 2017.

Notes et références

  1. 1,0 1,1 1,2 et 1,3 Pierre Lévêque, « Les Normands en Sicile », Nous partons pour la Sicile, Presses universitaires de France, 1989, p. 293-302.
  2. dont Rainulf Drengot, fondateur vers 1030 du comté d'Aversa, première possession normande en Italie du sud.
  3. dont la fille, Éremburge de Mortain, sera la deuxième épouse de Roger de Hauteville
  4. dont la demi-sœur, Judith d'Évreux, est la première épouse de Roger de Hauteville
  5. Il épousera la fille de Richard Drengot, neveu de Rainulf, et de Frédésende, fille de Tancrède de Hauteville, puis après avoir répudier cette première épouse, s’unira à une fille du prince Pandolf IV de Capoue.
  6. 6,0 6,1 6,2 et 6,3 Éric Barré, « Les Normands en Méditerranée », Revue de la Manche, tome 59, fascicule 237, Société d'archéologie et d'histoire de la Manche, juillet-septembre 2017.
  7. Jean Deuve, L'Épopée des Normands d'Italie, édition Corlet, 2015.
  8. Les premiers Normands combattent les Grecs auprès du lombard Mélès de Bari en 1017 et 1018, jusqu'à la défaite de Cannes.
  9. 9,0 9,1 9,2 9,3 9,4 9,5 et 9,6 Pierre Bouet, « 1000-1100 : la Conquête », Les Normands en Méditerranée aux XIe-XIIe siècles (2e édition), Presses universitaires de Caen, 2017.
  10. 10,0 10,1 et 10,2 Pascal Buresi, « Conquête normande de la Sicile musulmane », Encyclopædia Universalis, consulté le 10 janvier 2016 (lire en ligne).
  11. 11,0 11,1 11,2 et 11,3 Pascal Buresi, « Sicile normande (repères chronologiques) », Encyclopædia Universalis, 2016. (lire en ligne).
  12. Pierre Aubé, Roger II, Tempus Perrin, 2016.
  13. 13,0 et 13,1 François Neveux, « 1100-1194 : le Royaume normand », Les Normands en Méditerranée aux XIe-XIIe siècles (2e édition), Presses universitaires de Caen, 2017.
  14. - Aujourd'hui Istanbul
  15. Alberto Varvaro, « Les Normands en Sicile aux XIe et XIIe siècles. Présence effective dans l'île des hommes d'origine normande ou gallo-romane », Cahiers de civilisation médiévale, 1980, p. 23-91.
  16. 16,0 16,1 et 16,2 Pierre Bouet, « Les Italiens en Normandie au XIe siècle », Cahier des Annales de Normandie, volume 29, p. 27-44.

Liens internes

Lien externe