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Histoire de Saint-Sauveur-Lendelin (1778-1787)

De Wikimanche

Histoire de la commune de Saint-Sauveur-Lendelin de 1778 à 1787

Description ancienne

En 1726 la paroisse est décrite ainsi :

« C'étoit autrefois un Bourg, qui a été transferé avec son Bailliage & sa Vicomté à Perriers. C'est à présent une grande Paroisse où il y a quatre Cures, dont les trois premières sont réunies sous un seul Curé, qui a aussi trois Presbitères ; elle est à la nomination de M. le Comte de Toulouse Engagiste du Domaine, & elle vaut mille écus de revenu. La seconde Cure, ou plutôt la quatrième, est peu considérable, & est à la nomination de l'Abbaye de Lessey. Il y a cinq ou six Moulins à l'eau, sur une petite Rivière qui la traverse : ce qui fait qu'il y a bien des boulangers qui portent leur pain à vendre à Periez & à Coutances, qui n'en est qu'à deux lieues. Ce village est du Doyenné de Periez, qui est le troisième du premier Archidiaconé de Coutances [1] »

1778

Le 22 (8) de janvier, le tonnerre tomba sur la tour de cette église, abattit les deux Éguilles du levant et du couchant, enfonça la côtière du chœur sur la croisée contre le lutrain, souleva tout le plomb de l'enfesture de la nef et se porta à quelques autres où il fit peu de dommage. Pour le réparer, les paroissiens convinrent à l'amiable de se cotiser sans y appeler le ministère public et fournirent la somme nécessaire pour cette réparation et ce sans aucun trouble ni plainte de la part de personne. Étaient à la tête de cette sage conduite les sieurs Ferrand de la Conté Lebrun de la Sesnière et Jacques Almy.

En cette année, dans le mois d'octobre, la paroisse perdit le curé de la petite portion (Monsieur Le Pelletier) qui permuta son bénéfice avec messire René de Guerpel, écuyer, curé de la paroisse de Neauphe, dioufre de Séez. La paroisse ne fit que gagner au change, monsieur le sieur de Guerpel parut destiné pour cette paroisse pour en faire les délices avec le sieur Vilet, curé des trois portions royales regardé pour le plus grand curé du diocèse et à très juste titre.

En cette année, courut une grande sècheresse depuis le mois de de may jusqu'au mois de 9bre qui fit que les orges ne purent croître ce qui rendit la paille de cette espèce rare et cherre et le prix monta jusqu'à ....... Le prix du froment fut depuis 24 à 30 la somme des cinq boisseaux. Elle fut abondante en fibre et on compta valoir plus de 80 000, le profit que cette denrée apporta dans cette paroisse.

Le 27 juillet, se donna un combat naval entre les François et les Anglais à la hauteur de Ouessant ; amiraux le duc de Chartres commandant mr le comte d'Orvilliers pour les François, de Keppel pour les Anglais qui furent battus par les François, on fit encore sur eux beaucoup ...

1779

En cette année, il régna dans le mois de juillet, août, septembre et octobre de très grandes chaleurs, qui occasionnèrent des fièvres malignes putrides et des dysenteries des plus universelles et qui dans la partie méridionale de ce diocèse furent très meurtrières. Les remèdes indiqués dans les livres de médecine ne pouvaient garantir de la mort, on ne put lui faire lâcher prise que par des vomissements occasionnés par le picacaona deux ou trois fois dans le commencement de la maladie, par des lavements d'eau de tripe, par la tisane faite avec de la vinette, on en boit un nouet gros comme un œuf dans un petit linge dans un pot d'eau : il fallait purger tous les trois jours et des lavements non obstant la diarrhée. Dans cette paroisse, sur huit personnes qu'elle attaqua, elle en emporta six, parce qu'elles voulaient dans leur maladie du vin, liqueur qui était mortelle pour elles. Il ne fallait point saigner .....

Dans la même année, continuait encore la guerre entre les Bastonniens et les François d'un côté, auxquels se joignirent les Espagnols et les Anglais de l'autre. La flotte combinée des deux nations fut la plus belle qu'on eut jamais eue sur mer : elle monta jusqu'à soixante-dix vaisseaux, elle donna la chasse à la flotte anglaise pendant huit jours, jeta l'épouvante dans Plimouth et rentra dans Brest n'ayant pris qu'un navire de ligne nommé "L'Ardent" ....

Dans la même année, le quatre de juillet, l'isle de la Grenade fut enlevée aux Anglais par Monsieur le comte d'Estaing qui soutint le six du même mois un combat naval, où les Anglais eurent le désavantage ....

C'est à cette occasion qu'on a adressé ces vers à Mr d'Estaing ....
écoute, ô mon élève, espoir de ta patrie !
d'Estaing, pour tant de flamme, à qui le sang me lie
toi pour être un jour, par tes hardis exploits,
ainsi que ton aïeul, courtier de ton roy

1780

En cette année continua la sécheresse de l'année précédente. La récolte fut très bonne. Le blé ne passa point cent sols le boisseau. Le cidre fut fort cher et alla jusqu'à dix sept pistoles le tonneau. Ce fut en cette année que la grande route de Coutances à Périers fut tracée sur la paroisse et fut rendue pratiquable jusqu'au chemin venant du Cônet Martin à la petite Coterie.

La guerre continuait encore entre les mêmes nations, savoir les Français et les Espagnols d'un côté et les anglais de l'autre. Il n'y eut aucun événement remarquable dans cette année touchant cette guerre sinon la prise de Sainte-Eustache par les Anglais sur les Hollandais auxquels ces premiers déclarent la guerre dans le mois de décembre dans la même année et firent de grandes et riches prises sur eux.

En cette année, courut une maladie épidémique des plus contagieuses, c'était une espèce de fluxion de poitrine ou pleuraisie, qui commençait par un frisson, qui durait deux ou trois heures, après suivait la fièvre chaude : aussitôt, vous étiez pris d'une pointe de côté qui se faisait sentir vers le sein gauche ; cette pointe serrait violemment quelques-uns et d'autres moins pendant trois ou quatre jours au bout desquels elle cessait, symptôme funeste, puisque c'était la veille de la mort. On se croyait à la veille de guérir et le lendemain, on était dans son éternité. Elle emportait en cinq ou six jours et ne manquait presque personne. Depuis le commencement d'avril jusqu'à la fin de juin, elle nous enleva près de 70. Elle brava toute la médecine, et ceux auxquels appelaient les médecins étaient ceux qui partaient le plus vite. Au commencement, les médecins de Périers et de Coutances attribuant la cause du mal à une abondance de matières séjournantes dans l'esthomach et les premières voies employèrent l'émétique en lavage ou lepicacanua. Tous ceux qui furent traités de la sorte moururent.

Les vescicatoires sur les jambes n'étaient point capables de détourner l'humeur mortifère ; à la fin cependant on y réussit en mettant les vescicatoires sur l'endroit du côté où se faisait sentir la pointe. L'espèce de vescicatoire qui avait le plus de force pour enlever l'humeur c'était celui qu'on composait avec deux onces de poivre blanc et de trois gros de frêné en poudre. On déliait le tout dans quatre blancs d'œufs après les avoir battus jusqu'à ce qu'ils fussent réduits en broux, il ne fallait point manger du tout principalement pendant les dix premiers jours, ni boire de cidre; pour toute boisson, la tisane faite avec des fleurs pectorales et du ciro de viole, du bouillon de poulet et de veau. Ce bouillon devait être très léger et on devait prendre de deux heures en deux heures une cuillerée de lai blanc pour faciliter l'expectoration.

Mort de Me Marie François Vitel

Cette maladie fut bien funeste à la paroisse, puisqu'elle lui enleva son très respectable pasteur Me Marie François Vitel, curé des trois portions royales, pasteur sans pareil et qui fut regardé comme le plus grand curé du diocèse de Coutances. Monseigneur de Chalmarel de Talaru, alors évêque de Coutances, le regretta vivement et dit de lui, lorsqu'il en apprit la mort, oui c'était un curé qui faisait plus de bien dans le diocèse que moi. Né à Saint-Quay, paroisse de basse Bretagne, proche de Saint Brieuc, diocèse de Dol, le 18 août 1718 d'une honnête famille de navigants car son père et ses deux frères furent capitaines de navire. Il fit ses classes à Rennes. Étant fait prêtre, il fut nommé à sa paroisse pour curé. Il n'y résida point, il y avait procédé entre les présentateurs. Monseigneur de Dol qui soutenait son parti, l'ayant perdu, le nomma pour le dédommager à Saint Solem, paroisse de Dol où il résida sept ans. Monsieur de Montlouet, grand vicaire de Dol ayant été nommé à l'évesché de Saint-Omer le tira de cette paroisse pour l'avoir avec lui comme son soutien dans le gouvernement de son diocèse. Il fut l'âme de son conseil pendant 10 ans au bout desquels, cet évêque étant mort laissa monsieur Vitel chargé de toutes ses affaires.

Ce fut un an après cette mort que, Monseigneur le Duc de Pontière le nomma à la cure de Saint Sauveur en l'an 1767. Il vint en prendre la conduite le 1er janvier 1768, mit le plus bel ordre dans la paroisse, nourrit sans cesse son peuple du pain de la divine parole, orna la maison de Dieu de son grand autel, de la chaire, des stalles et lambris du chœur, donna les deux petites chapelles, les deux plus beaux ornements et avait encore les plus beaux desseins pour son église, lorsque le deux juin, un dimanche matin en disant la messe à la chapelle de la Vierge, il fut pris de frissons après avoir célébré le Saint Sacrifice. Il s'en revint chez lui, passa la journée dans un malaise général. Le lendemain, la pointe de côté le saisit, elle dura jusqu'au mercredi au soir, le jeudy les médecins après lui avoir donné les deux jours précédents l'émétique en lavage perdirent la tête ne connaissant plus que faire. Ils nous l'abandonnaient le vendredy matin voyant que le mal était sérieux. Il appella Mr Le Noir alors son premier vicaire qui avait soin du temporet du bénéfice, lui fit rayer sur son mémoire toutes les dettes que lui devaient les paroissiens peu fortunés, légua le sarrazin et l'orge des aumosnes et du quartier du bourg dont il jouissait dans ce temps-là, pour les pauvres. Après ces bonnes œuvres, il se disposa à la mort, reçut le Saint Viatique et l'extrême-onction sur les deux heures après-midi et à neuf heures du soir, il passa dans son éternité après avoir gouverné sa paroisse 14 ans, 6 mois, 7 jours. Son oraison funèbre fut faite le jour de son inhumation le samedy 8 juin à 7 heures de soir d'une manière bien digne de lui et par des bouches qui firent entendre à quatorze curés qui étaient là ainsi qu'à tout le peuple qui y était venu de toutes parts en foule, quel pasteur elles regrettaient. Lorsque nous vînmes à entrer dans l'église avec le corps, de tous les côtés de l'église partirent des soupirs qui continuèrent dans un bruit sourd pendant qu'on chanta vespres des morts. Ces soupirs s'élevèrent lorsqu'ils le virent partir de l'église pour porter sous terre. Il n'y avait figure sur qui vous ne vissiez des larmes dans le cimetière. Lors de son inhumation, étaient mille personnes tous le mouchoir à la main et pour ainsi dire prosternées à terre. Des étrangers qui auraient passé par là auraient cru que c'était un père que cette famille pleurait (et c'en était un véritablement). Lorsque le clergé rentra dans l'église, ce fut alors le coup le plus frappant. Tout ce peuple qui était resté là pour dans l'église pendant l'inhumation nous voyant revenir sans son pasteur, il s'éleva une voix générale qui dit : "nous ne le reverrons donc plus". Alors les cris se redoublent, les larmes coulent des yeux et presque tout le monde tombe par terre. Le clergé comme le peuple se livre à la douleur qu'il s'efforçait de cacher au fond de son cœur et verse un torrent de larmes en présence du Saint Autel. Cependant, on ne put apaiser le peuple lorsqu'il s'agit de sortir de l'église pour en faire fermer les portes et jusqu'à neuf heures de soir, l'église retentit encore des sanglots et des gémissements d'une grande multitude que la tristesse, la douleur et les regrets retenaient comme immobiles. Jamais le plus tendre père ne fut pleuré de la sorte. Si la paroisse l'a perdu, sa mémoire vivra longtemps dans l'esprit des enfants qu'il a enseignés, des pauvres qu'il a assistés de ses biens et des riches même qui le regardaient comme l'âme du conseil divin. Il fut inhumé dans le cimetière de ce lieu car depuis le mois de may de l'année précédente, il avait été défendu par un arrêt du parlement d'inhumer dans les églises. Son corps repose contre la muraille du cœur sous la fenêtre qui donne vis à vis du lutrin à quatre pieds de la muraille entre le pilier du chœur et le mur du bout du bas côté du midi. Cette place doit être respectée et pour la vénération qu'on doit avoir pour ce digne pasteur, Mrs les curés à venir ne doivent pas permettre qu'on inhume dans cet endroit-là.

Tous les coups les plus funestes qui pouvaient arriver à la paroisse furent frappés sur elle en ce mois de juin car le quatorze la mort lui enleva aussi le paroissien, qui faisait le plus de bien après Mr Vitel. Ce fut monsieur (H)aut Le Brun, écuyer sieur de la Scenière. Cet homme, né le 23 mars 1709, d'une honnête famille de laboureur de cette paroisse ayant voyagé pendant près de 16 ans acquit des connaissances supérieures dans les grandes affaires, s'étant marié en 1731, le 18 9bre, il eut trois fils. Il leur donna toute l'éducation possible quoiqu'il ne fut pas des plus fortunés, cependant il les envoya à Paris où l'ainé mourut diacre ; Jean Le Brun le second étudia à Montpellier en médecine et fut reçu docteur. Le troisième Charles Le Brun qui porte aujourd'hui le nom de grand brun devint premier secrétaire de Monsieur de Maupeon chancelier de France. Il fut regardé si puissant dans ce poste, qu'on lui attribue en partie l'écrit de cassation du parlement de France, que porta Louis quinze en l'an 1771. Monseigneur le chancelier ayant été disgracié lors de l'avènement de Louis seize à la couronne en l'an 1774, Monsieur Le Brun se retira avec lui et acquit sur la tête de son père la charge de conseiller secrétaire du Roy au parlement de Grenoble. Des privilèges de la quelle il commença à jouir en 1777 s'étant fait tirer du rôle à taille en signifiant ses titres et qualités à la paroisse à laquelle il fit alors présent du grand calice en vermeil qui porte son nom. Ce n'est pas là le seul bien qu'il a fait à sa patrie. Établi syndic de la paroisse en 1740, il fut chaque année continué dans cette place jusqu'à sa noblesse en 1776. On ne peut exprimer les biens qu'il a faits pendant le temps de cette gestion. Sans avoir une seule vergée de terre qui releva du domaine, il entreprit seul, car ceux qui avaient signé la délibération pour cet effet s'en désistèrent. Le procès contre le Receveur du domaine pour l'obliger à venir faire sa recepte à Saint-Sauveur, tandis qu'auparavant il la faisait où il voulait., après l'avoir ainsi obligé à faire sa recepte sur les lieux mêmes de Saint-Sauveur, il la fit imposer à la taille pour la totalité du domaine. Et malgré tous ces efforts, des receveurs qui passèrent pendant que le sieur de la Scenière fut syndic, ils ne purent jamais secouer ce joug qu'ils payent depuis 1780. Le receveur de ce temps voulut en signifiant un écrit sur lequel était porté que la paroisse devait cesser d'imposer le domaine, vu que c'était son Altesse Monseigneur le duc de Chartres qui régissait ses domaines, cet écrit fit peur et tous les principaux furent d'avis de cesser l'imposition. Le sieur de la Scenière soutint seul qu'on en avait rien faire, mena l'affaire en (section) et fit voir comme il l'avait dit que c'était pour mettre cette somme qu'il payait à la paroisse du (côté) de l'après que le Sieur receveur avait fait toutes ces démarches. Homme précieux, à qui la paroisse devrait une statue ! il demeurait à la Bouchetière, possédant bien pour 2 000 livres de revenu lors de sa mort, ses deux fils demeurant à Paris, l'ainé avait bien 12 000 livres et le jeune Charles 40 000 livres. Il avait deux filles, l'une mariée à Me Nicolas Bois du Boquet et l'autre à Mr Vray de la Forgette.

La grande cure fut donnée par le Roy à Maître Adrien Brission, originaire de Grandville, grand vicaire de Saint-Flour, demeurant alors à Paris et par Mgr le duc de Chartres, le messire Charles Lubensacq, prêtre de Saint-Eustache de Paris et né à Limoges. Nous les attendons, ils sont à Paris à faire décider qui aura la cure. Mr l'abbé de Guerpel resigna sa portion à Mr le Noir ci-devant vicaire de la grande cure, il va prendre possession.

1781

En cette année continuait encore la guerre entre les françois et les espagnols et les provinces unies d'Amérique d'une part et les anglais de l'autre. La fortune fut plus favorable en cette année que dans les autres aux français qui enlevèrent aux anglais l'île de Tobago, battirent leur flotte en deux rencontres : 1° à la hauteur de la Martinique le 16 août ; 2° le 5 de septembre dans la baie de Chesapeake sous le commandement de Mr Degrace Lieutenant général des armées navales de sa majesté et aux espagnols qui enlevèrent aussi aux Anglais l'île Sainte Rose et une très grande étendue de terrain dans la Louisiane en Amérique et l'île Minorque port nation dans la Méditerranée, le port Saint-Philippe de cette île n'était point encore rendu au moment que j'écrivais ces choses-ci. L'armée combinée des américains et des français commandée par Mr Washington américain et de Roche (amiral) et de Lafayette prirent Yorktown et de Tharleton sur les Anglais en Amérique; évènements qui humilièrent beaucoup l'orgueil britannique, de longtemps l'Angleterre ne s'était vue ci bas que dans cette année. On parla de paix mais on ne la fit pas.

Heureuse dans la guerre qu'elle portait si loin de son centre, la France le fut encore davantage par le présent que lui fit le 22 octobre la divine providence; en ce jour à deux heures d'après midi la femme de son Roy mis un Dauphin au monde. La joye fut universelle et les français firent sentir combien ils aimaient le père à la réception qu'ils firent au fils. Peut-être depuis la fondation de l'empire aucun Dauphin ne fut si bien accueilli. Il fut nommé Louis Xavier Joseph.

En cette année furent supprimées les fêtes de Saint André, de Saint-Jean l'évangéliste, Saint Philippe et de Saint-Jacques, le mardi pentecôte, la Saint-Lô remise au Dimanche le plus proche ainsi que la fête de chaque patron. Suppression qui ne plut guère aux bons buveurs de ce temps là, qui, l'année ayant été abondante en cidre, se voyaient privés d'autant de jours de débauches, leurs femmes en bénirent le ciel et disaient que Monseigneur avait fait en cela coupé pied à bien du mal.

La récolte fut assez abondante et le sac de bled était pour l'ordinaire à vingt-cinq livres. Le cidre alla à soixante-dix livres le tonneau, diminution grande par rapport à l'année précédente où il avait monté jusqu'à cent soixante et dix livres.

1782

L'hiver en cette année fut changé de place : avril se trouva en février et février en avril. Le froid ne commença que le quinze de mars et continuait encore à la Pentecôte. Les herbes très avancées dans le mois de février furent beaucoup retardées par le froid inattendu dans la saison où il arriva. Les bestiaux souffrirent beaucoup par la disette du fourrage qui devint si rare qu'à peine, on en pouvait trouver pour son argent. On ne put ensemencer l'orge qu'à la mi-mai et les arbres n'ouvrirent qu'à la fin de ce mois. La quantité de grains qu'on transporta dans les colonies en augmenta beaucoup le prix et fit monter le sac jusqu'à trente-deux livres. Les François se rendirent maîtres en cette année des îles Saint-Eustache, Saint Christophe Démérary et Essequibo et Berbices. Le fort Saint-Philippe fut pris le 31 janvier de la dite année. Le pape Pie VI fit en cette année un voyage à Vienne chez l'empereur Joseph second : sa sainteté y vit le respect qu'on portait au chef de l'église et au père commun des chrétiens dans l'affluence immense du monde qui venaient de tous cotés recevoir sa bénédiction. On en comptait un jour plus de 40 000...

1783

En cette année finit la guerre qui durait depuis cinq ans entre la France unie aux provinces révoltées d'Amérique et l'Angleterre. Ces provinces aidées de la France secouèrent le joug anglican et se formèrent en ordre de peuple qui prirent le nom provinces unies d'Amérique. Cette séparation porta grand préjudice à l'empire britannique. Le ministre pléni-potentiaire qui signa le traité de Paris (nom que portera dans les histoires le traité qui termina cette guerre) s'appelait Franklin, américain d'origine, homme qui se fit admirer à Paris et dont on a dit ces grands mots « Eripuit coelo fulmen Sceptrumque tyrannis (Il arracha au ciel sa foudre, aux tyrans leur sceptre.) » Expression attribuée à ce grand homme parce que ce fut lui qui enseigna le moyen de se mettre à couvert de la foudre par le moyen des par-à-tonnerre.

Cette paix se fit bien à l'avantage de la France qui recouvra la liberté des mers et fit perdre à l'ambition britannique le sceptre maritime.

Ce fut en cette année qu'on commença à poser le fondement du môle de Cherbourg.

Parut en cette année depuis le douze de juin jusqu'au quinze de juillet un phénomène qui jeta l'alarme dans tout le genre humain. Ce fut un obscurcissement dans le soleil qui dans son lever et son coucher principalement paraissait d'un rouge de sang. Les physiciens attribuèrent cet évènement à des vapeurs montées vers le disque du soleil provenues de ce que l'hiver précédent avait été trop humide et n'avait porté après la gelée. N'était-ce point un de ces phénomènes annoncés dans l'Évangile, qui doivent préciser le jugement dernier ?

La grande route fut prolongée ... un quart de lieux au dessous du bourg vers Périers.

1784

En cette année courut une très grande sècheresse qui fit craindre pour la récolte. Cependant l'eau étant venue après trois mois de sècheresse et ayant rafraichi suffisamment la terre à la mi-juin. Les blés reprirent vigueur et fournirent une assez abondante moisson, ce qui rendit un grand service aux pauvres qui avaient été réduits à acheter le sac d'orge 35 livres . Le froment alla jusqu'à 42 livres. Les pommiers pris pour deux tiers d'année donnèrent (les fleurs étant venues dans le mois de septembre et d'octobre, fort abondantes) une aussi grande quantité de cidre qu'aurait pu faire une année entière.

Construction de la grande rade de Cherbourg

On continua le port de Cherbourg, qui fut visité par les plus grands princes de la cour.

À la fin de cette année, la grande route de Coutances à Périers fut continuée jusqu'à 60 toises hors du bourg.

Le procès pour la grande cure continuait encore au grand préjudice de la paix et des pauvres.

On jeta encore quelques môles à l'eau à Cherbourg, ces môles étaient d'une forme cylindrique de 70 pieds de haut, 100 dans la base et 60 dans le haut montés par de grosses poutres, jointes les unes au bout des autres, placées à distance égale les unes des autres sans être jointes ni retouchées soutenues par des bois attachés à elles horizontalement en forme de cercles. Lorsqu'elles étaient montées et finies (on les travaillait sur la grève ou la mer venait battre son flux et reflux) on leur attachait 80 tonnes de 6 000 pots chacune lorsque la mer était basse et lorsqu'elle venait à monter, ces tonnes vides et bien bouchées étaient élevées par la mer. Leur élévation emportait successivement la machine à laquelle elles étaient attachées et lorsqu'elles l'avaient élevée de terre alors quatre gabares tirant à flancs la halaient au lieu où elle devait être posée arrivée en flottant à ce lieu des plongeurs descendaient dans l'eau et allaient couper les cordes qui lui attachaient tonnes. Par ce moyen, elle se précipitait au fond .....

1785

Ce fut en cette année, le 25 juin que fut terminée la grande contestation qui existait depuis trois ans entre sa majesté et le duc de Chartres au sujet de la présentation de la grande cure de cette paroisse.

L'affaire portée au grand conseil ( tribunal auquel ressortiront dorénavant toutes causes de cette espèce ) fut jugée en faveur de maître Claude Adrien Tristan Trippion, licencié es lois, grand vicaire de Saint-Flour natif des faux-bourgs de Granville, paroisse de Donville de ce Diocèse et ce fut sur la déclaration du roi de 1715 y recours que la présentation du roi l'emporta sur celle du duc de Chartres qui par cet arrêt perdit les cures des quatre domaines de Saint-Sauveur Lendelin, de Saint-Sauveur-le-Vicomte, de Valognes et Coutances. Toutes lesquelles cures sont rentrées entre les mains de sa majesté et seront dorénavant à nomination royale.

1786

La récolte de l'année dernière quoique modique d'un tiers vis à vis des années précédentes produisit néanmoins plus de grain que les plus fortes années et la tonne de froment ne passa pas vingt huit livres, ce qui trompa beaucoup le cultivateur qui ayant vu son tas très petit attendait une chèreté.

Les pommiers annoncèrent dans les mois d'avril et mai la plus grande abondance de pommes et déjà nos bons buveurs se faisaient fête du jus de la pomme qu'annonçaient ces belles fleurs ; mais ils furent fort surpris lorsque dans le mois de juin, un envoi de chenilles vint infecter les pommiers et fit périr tous leurs fruits naissants, ce qui fit augmenter considérablement le cidre ; il alla jusqu'à 25 pistoles, on en vendit même 100 écus. Le cidre se vendait 12... le pot.

Dès le 15 octobre, l'hiver commença par une gelée qui dura quinze jours.

La grande route fut poussée depuis le bas bourg jusqu'au petit.

Visite de Louis XVI à Cherbourg

Cette année sera remarquable dans la suite des siècles surtout en Normandie par le voyage de sa majesté Louis XVI à Cherbourg qui à la Saint-Jean eu ce bonheur de voir le Roi appelé Louis le bienfaisant qui entreprit ce voyage pour visiter les môles qu'on continuait de lancer à l'eau (voyez les évènements de 1784) pour construire le bassin que sa majesté jugeait nécessaire dans cet endroit de la Manche pour mettre à couvert des insultes des ennemis et des mauvais temps les flottes qu'on destinerait pour la Manche qui jusqu'à ce temps n'avaient pu trouver de sureté dans cette mer.

Il est incroyable la multitude qui s'assembla de toutes parts de la France... pour voir son Roi dans ce voyage pendant les trois jours qu'il demeura dans cette ville pour faire la visite des ouvrages, on y compta plus de quarante milles étrangers, ce qui enrichit beaucoup Cherbourg, fit bien juré les postillons et maigrir les chevaux de poste jusque de Rennes en Bretagne, ils passaient par le bourg de cette paroisse par troupes de trente à quarante pour être employés aux voitures de sa majesté.

Le Cotentin n'avait point vu de Roi sur son continent depuis les rois d'Angleterre faisant la guerre à la France aussi, reçut-il bien son Roi dans cette visite et marqua par ses acclamations de « vive le Roi » la joie dont son ... ... à la vue de son monarque qui n'y fut pas insensible. Il n'avait pas encore connu d'une manière si claire , comme il l'apprit là, combien les français aiment leurs Rois. Il y eut tant de plaisir et fut si content de la réception qu'on lui avait faite qu'il promit d'y revenir, nous l'attendons. Le reste pour l'histoire.

voir l'article détaillé Louis XVI à Cherbourg (1786)

1787

En cette année, la disette du cidre le porta à un prix où on ne l'avait jamais vu. Le tonneau valut jusqu'à 35, 38 et 40 pistoles. En échange, le blé diminua beaucoup, le froment descendit jusqu'à 18 francs la ..... et l'orge à neuf francs, ce qui fit qu'on commença dans le pays à faire de la bière. L'eau de vie à laquelle se donnèrent nos buveurs faute de cidre en fit mourir une grande quantité.

Il régna une maladie (appelée fièvre maligne putride) qui fut beaucoup meurtrière surtout sur le jeune sexe. Elle ne tuait que depuis le 27e à 31e jour du mal ordinairement. En réchappèrent ceux qui avaient soin de boire beaucoup d'eau et n'appelèrent pas les médecins.

La grande route de Coutances à Périers fut poussée sur la rivière de Vaudrimesnil et laissa aux voyageurs l'espérance de la voir finie l'année qui vient. Nous leur dirons au bout de cette année, ce qui aura été fait.

Source

  • Registres paroissiaux

Notes et références

  1. Saugrain, Claude-Marin, Dictionnaire universel de la France ancienne et moderne... - Tome 3, Paris, 1726 (lire en ligne).