Actions

Dans l'abri de la rue Gibert (1940)

De Wikimanche

Dans l'abri de la rue Gibert (1940)

La guerre a été déclarée le 3 septembre 1939. En mai 1940, l'armée allemande commence d'envahir la France après avoir contourné la ligne Maginot. Son aviation entreprend des raids sur les places fortes françaises. À Cherbourg, le port militaire est particulièrement visé. Les habitants sont inquiets. Thérèse Travers, une fillette cherbourgeoise, se souvient.


« Un bombardement est imminent. Dès l'alerte, les habitants doivent rejoindre impérativement, et au plus vite, les abris signalés dans les quartiers par une pancarte fléchée. Si l'on est au lit, on s'habille à toute vitesse. On prend un minimum de choses, un vêtement accroché à la patère, une couverture, de la nourriture... Et on court. Tout le monde court, jeunes, vieux... Les mères de famille tiennent fermement la main de leurs enfants, qui crient. Il faut rassurer, tout en se dépêchant.

Le black-out étant décrété lui aussi, la ville est dans le noir : l'éclairage public est éteint, les fenêtres obscurcies, les volets calfeutrés, les vitrines des commerces aveuglées.

Dans la rue Gibert, une petite rue sans rien, perpendiculaire à la rue Émile-Zola, se trouve un abri, dit « de la Poudrière », ce qui n'est guère rassurant. Une ancienne poudrière était jadis installée là, et l'on en a conservé le nom. C'est devenu par la suite un hangar pour les voitures des pompiers.

Donc, il s'agit, contrairement à l'habitude, d'un abri non souterrain. Un grand local tout simple, très haut, avec un toit qui n'apparaît pas bien costaud. La porte, plus solide, devait être métallique. Elle vibrait bruyamment. La Croix-Rouge était-elle présente ? Y avait-il des secouristes pour les éventuels blessés ou les malades ? Je ne m'en souviens pas.

L'abri regorge de tas de charbon, poussés contre les murs, en vrac, couverts par des « pouques » (sacs) pour limiter la poussière. Quelques pauvres bancs sans dossiers ont été amenés là. L'équipement est plus que réduit.

Naturellement, il n'y a pas de lumière à l'intérieur de l'abri. Certains, mais pas tous, ont pris par précaution une lampe de poche. Tout juste si on reconnaît ses voisins ! « Vos enfants sont où ? », demande une mère de famille à une autre. « Ils n'ont pas voulu bouger. » Ils n'ont peut-être pas eu tort quand on voit où l'on est. Les hommes discutent aussi. « Pas de doute, on est bel et bien fichus », assure l'un d'eux. « Qu'on le veuille ou non, il faudra partir de chez nous, renchérit un autre. La ligne Maginot n'a servi à rien. Pourtant, on nous en avait raconté là-dessus. »

Un tout petit bébé tête sa mère, et les femmes le regardent tendrement. Au fond, deux vieilles femmes, des jumelles, qu'on connaît de vue, inséparables. Une autre dit son chapelet. Et l'autre, là-bas, qui divague partout avec son grand sac, qu'elle traîne comme sa vie. Un jour, j'ai même vu deux jeunes et jolies Chinoises, en pyjama traditionnel, l'un rose, l'autre bleu. D'où sortent-elles ? Mystère.

Les hommes cachent leur angoisse. Ils essaient de deviner la suite. Si les bombes sont lâchées, où vont-elle tomber ? Chacun a son avis, bien sûr. Les femmes, elles, tentent d'oublier la situation en parlant enfants, cuisine, tricot ou couture. On envisage aussi, bien entendu, la suite des événements. Que faire, si ça continue, si des hommes sont encore réquisitionnés, si l'arsenal est bombardé, et l'usine Amiot, les hangars d'aviation ? Une chose est sûre, on n'a pas fini d'en voir. »

Lien interne