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Éloge de Jean-François Millet par René Bazin (1911)

De Wikimanche

L'écrivain René Bazin (1853-1932), de l'Académie française, écrit en 1911 dans l'hebdomadaire Les Annales un éloge du peintre Jean-François Millet (1814-1875) [1] :

« Millet est un génie humain, un homme qui voit vivre les hommes dans la campagne, qui les voit travailler, qui les voit souffrir, et qui nous le dit. Il est le peintre de l'émotion muette, des sentiments universels, des fatigues, des résignations, des courages, devenus habitude, devenus l'être lui-même. Un repensée fraternelle est dans chacune de ses œuvres et les soutiendra à travers les temps. J'oserai dire que le paysage n'est, pour ce grand paysagiste, que l'enveloppe, l'atmosphère d'une idylle ou d'un drame, visible ou deviné.

« Millet s'est peu préoccupé de la beauté des visages. Ses paysans et ses paysannes ont une rudesse de traits qui est loin d'être si commune dans la campagne, et il est évident qu'il n'a pas cherché à rendre particulièrement intéressante et expressive la figure des personnages du drame rural. Il lui suffit qu'elle soit en harmonie avec le geste de tout le corps, avec cette allure, cette attitude qui est, à lui, son principal, son plus puissant moyen d'expression. Ils ont des visages qui ne nous distraient pas de l'ensemble. On l'a reproché à Millet. Je me demande si ce n'est pas, au contraire, une des conditions du genre. Dès que, dans une scène rustique, les visages sont traités à part, l'attention du spectateur est attirée par le portrait ; elle se déprend de l'ensemble, elle oublie le symbole que tout le tableau veut exprimer, pour ne voir que le sentiment, le tempérament, l'histoire même de chacun des personnages. D'excellents peintres n'ont fait ainsi que des portraits groupés dans un décor agreste ; ils n'ont pas représenté la campagne qui laboure, la campagne qui récolte en hâte, la campagne qui fait les semailles, où l'homme n'est, dans le labeur, que l'héritier d'une fonction antique, où il a moins de place que la graine précieuse, la graine souveraine, attendue par par la terre ouverte, par le ciel mouillé, par la herse attelée au bout du champ. Peindre des hommes et ne pas faire de portraits, les mettre, comme ils sont, dans la vie rurale, quel problème difficile ! Millet y a réussi. C'est la statue entière qui parle dans les dessins et les tableaux de Millet. Et l'on peut dire qu'il a été une sorte de sculpteur en couleurs des hommes de la terre. »

Notes et références

  1. René Bazin, « Les paysans de Millet », Les Annales, n° 1442, 12 février 1911.